Les prédateurs
Sujet du premier long-métrage de Tony Scott : l’immortalité. Et parce que le vampirisme s’y prête parfaitement, le cinéaste le conçoit à la manière d’un opéra fantastique esthétisant, d’un spot de publicité qui se répèterait à l’infini. Le sang, les transformations mutilantes, le sexe castrateur, l’amour sacrifié, le vieillissement comme hantise permanente constituent les ingrédients de cette nouvelle version du mythe de Faust et d’Orphée, qui plonge ses personnages dans un New York infernal. D’une sophistication formelle frisant toujours l’artifice léché (voilages ondoyants, halos bleutés, colombes volant au ralenti, verres dépolis, contre-jours photographiques), elle témoigne d’un certain brio dans la création d’atmosphères baroques et langoureuses, dont le magnétisme est relayé par un séduisant trio d’acteurs. 4/6
True romance
Série noire plus série rose. Scott adapte le premier scénario de Tarantino et marche sur les traces de Sailor et Lula. Puisqu’il ne possède pas vraiment le talent de Lynch, son équipée sauvage et rock’n’roll, traversée d’éclairs de romantisme et d’ultraviolence, n’évite pas une certaine puérilité arrogante, vaine et tapageuse. Mais le guignol fonctionne plutôt bien, nourri à l’humour corrosif, aux seconds rôles colorés (à cet égard, le casting est assez jubilatoire), à la dinguerie convulsive et à l’énergie décapante. Les plus charitables y verront sans doute le reflet de la culture éclatée d’une fin de siècle sans repères et le désarroi d’une génération dont le futur est plus qu’incertain. Sachons raison garder : ce petit polar teigneux et rouleur de mécaniques est plus naïf et inoffensif, donc plus sympathique qu’il n’y paraît. 4/6
USS Alabama
Un bâtiment nucléaire censé tirer ses charges et déclencher ainsi une guerre totale perd, à la suite d’une avarie, tout contact avec la hiérarchie et le pouvoir politique. L’hypothèse, vraisemblable, concentre l’attention sur les officiers : le capitaine est une ganache (républicaine) accrochée à l’ordre, le lieutenant-commander un second éclairé (démocrate) plus sensible au facteur humain. Et Scott d’orchestrer le bras de fer de deux sensibilités, entre discipline et cas de conscience. Frénésie des va-et-vient dans les coursives, sueurs froides face aux écrans de contrôle, accidents de parcours : son techno-thriller s’appuie sur un scénario bien charpenté et un tandem de poids. Sans arriver à la cheville de l’Octobre Rouge de McT, il constitue un honorable et efficace avatar à ce genre qu’est le film de sous-marins. 4/6
Ennemi d’état
Le cinéma US a toujours secrété une mouvance paranoïaque et libérale déclinant la vision d’une Amérique en voie de fascisation, gagnée par l’obsession sécuritaire, qui n’est sauvée du pire que par la volonté d’un homme (presque) seul. Ce suspense diabétique en relève, mais frôle le grotesque lorsqu’il inscrit son récit dans un contexte géopolitique, comme si malgré toutes ses bonnes intentions il ne pouvait que perdre pied en quittant les strictes limites de l’action. Hachée menue dans un montage épileptique, l’intrigue hitchcockienne est comme bloquée par son postulat du fait même de la fascination du cinéaste pour la situation déshumanisante qu’il a installée : une traque suivie par l’œil froid et omniscient du chasseur, qui fait sienne les images de télésurveillance. On en sort avec une migraine carabinée. 2/6
Unstoppable
Comment arrêter un train chargé de substances dangereuses et lancé à une telle vitesse sur les rails de Pennsylvanie qu'une catastrophe en zone habitée semble inévitable ? Bon vieux postulat de film-catastrophe, auquel Scott apporte son métier éprouvé de bourlingueur de l’action. Bien évidemment, il ne peut pas s’empêcher de réfréner sa panoplie d’effets de prises de vue, de multiplication des angles, de mouvements d’appareil frénétiques et autres zooms rapides sur les visages tendus. Mais il faut reconnaître qu’il sait apporter une intensité dramatique optimale à cette course-poursuite, dont le récit est successivement pris en main par chaque personnage (conducteurs, ingénieurs, techniciens, bureaucrates) et dont les envolées héroïques sont mises au veilleuse pour ne pas nuire à l’injection d’adrénaline. 4/6
Mon top :
1. Les prédateurs (1983)
2. Unstoppable (2010)
3. USS Alabama (1995)
4. True romance (1993)
5. Ennemi d’état (1998)
Réalisateur-bazooka dopé à l’adrénaline surchargée et au filmage-montage-forceps, chantre de l’esthétique Bruckheimer qui a pollué le cinéma américain dès le milieu des années 80, Tony Scott me fatigue souvent mais parvient malgré tout, parfois, à m’embobiner. Ma clémence à son égard vient peut-être que, du peu que j'en connais, je n'ai sans doute vu que le haut du panier. J'ai de vagues souvenirs (consternés) de Top Gun, aussi.