Déjà à sec pour avoir rapidement dilapidé aux jeux le produit d'un précédent vol, Frank Harper propose à son patron un coup ambitieux, le vol de la banque de San Felipe en Californie où à certaines dates 1 million de dollars peuvent se trouver dans les coffres. D'abord réticent, Flood accepte finalement de monter le casse avec une équipe de spécialistes et pour commencer, il envoie là bas Kay, sa petite amie, qui emménage avec Harper, le faux couple nouant progressivement des liens avec le voisinage, notamment le directeur de la banque et sa famille, et même le policier du quartier. Alors que Harper, qui a racheté un garage pour parfaire sa couverture, a parfaitement préparé son affaire, bientôt arrivent en ville les autres membres de l'équipe …
The Big Caper, c’est à dire « le gros coup », comme son titre le laisse supposer, nous montrait la préparation puis l'exécution d'un casse longuement planifié, sujet qui constitue, plus qu'un sous genre du film de gangsters, quasiment un genre à part entière qui avait donné au cours de la décennie plus d'un chef d’œuvre :
The Asphalt Jungle (Quand la ville dort), 1950 ;
Du rififi chez les hommes, 1955 ou
The Killing (L'ultime razzia), 1956 … C’est dire que passant derrière de tels films constituant des aboutissements probablement perçus comme tels à l'époque, au moins parmi les scénaristes, réalisateurs et producteurs, on peut comprendre que l'auteur du scénario ai voulu innover mais parmi les mille et une façons de montrer le ratage du « hold-up du siècle » (le plus souvent pour cause de dissensions au sein des équipes, en cours de route ou plus fréquemment au moment de partager le butin, en raison de la rivalité entre des gangs se disputant le même magot ou bien tout bêtement par pure malchance, comme dans
Plunder Road / Hold-up, sorti lui aussi en 1957), il a choisi une option défendable, c’est à dire de sacrifier tout suspense en nous montrant dès leur apparition à l'écran une équipe de casseurs, pour certains pour le moins imprudents, pour d'autres visiblement très perturbés, si bien qu'au bout de 20 min il devient évident que le fameux coup ne peut finir que de manière catastrophique mais si ce qui était écrit poussait déjà probablement le film vers des extrêmes à la limite du vraisemblable, les interprètes et probablement la façon dont ils ont été dirigé a encore accentué l'outrance de ces personnages secondaires qui faisait basculer le film vers la quasi parodie et je pense qu'on ne peut pas ne pas rire, d'un rire navré ou bien complice, en voyant la petite bande de givrés réunie par Flood.
Flood (James Gregory), le cerveau de la bande visiblement fatigué ou tout simplement lui aussi finalement malade malgré les apparences, est pourtant d'abord montré comme quelqu’un de prudent, méticuleux et intelligent, qui hésite à se lancer dans un trop gros coup qu'il estime trop risqué et qui affirme vouloir éviter d'avoir recours aux armes et à la violence … La suite prouvera que cette personnalité esquissée n'était qu'une façade mais qu'elle que soit les failles du personnage dont on aura plusieurs aperçus par la suite, jamais les développements ultérieurs n’invitent à le percevoir comme quelqu'un d'autodestructeur, ce qui expliquerait ses choix suicidaires concernant la constitution de l'équipe ou même les préparatifs du casse où d'emblée il prend des décisions risquées.
Car bien que Harper (Rory Calhoun) respecte Flood, le considère comme son mentor et semble loyal, il est toujours risqué d'installer sa petite amie avec un homme plus jeune et plus ouvertement séduisant que soi. C'est Kay (Mary Costa) qui commence par se déclarer et Harper qui va dans un premier temps la repousser. Mais les mois passants, la situation pourra évoluer …
Cette période d'infiltration du faux couple au sein de la petite communauté de San Felipe donne au film, dans ce qui pourrait apparaître à priori comme son ventre mou, en réalité ses meilleures séquences car si le but initialement visé était de connaître les habitudes des habitants et faire la connaissance du banquier afin de recueillir tous renseignements utiles, les deux étrangers se faisant passer pour un couple normal de la classe moyenne vont tour à tour être finalement séduit par cette vie confortable et sûre. C’est assez vite la
moll qui va exprimer sa lassitude pour son existence vaine de femme entretenue et cette expérience imprévue de faux bonheur conjugal va lui donner des idées. Harper ne va d'abord exprimer que de l'ironie pour cette aspiration et une sorte de mépris pour leurs nouvelles relations dont, en tout cas, il n'envisage absolument pas pour lui même le mode de vie mais il va finir par sembler être séduit lui aussi par la normalité de ces vies rangées où l'on se retrouve le soir ou le week-end autour d'un barbecue, pour un pique-nique et il va même finir par faire des parties de pêche avec le policier local ou sembler trouver plaisir à jouer au Scrabble avec « son » banquier !
Mais c'est surtout le rapprochement longtemps repoussé avec Kay qui va probablement avoir une influence sur une conversion du charmant mauvais garçon que certains spectateurs pourraient considérer avec un brin d'ironie quand bien même, sans préciser trop, certains détails sonnaient très juste quant à la volonté de Kay de devenir une femme d'intérieur et si certains dialogues ne manquaient pas d'acuité et de sensibilité pour montrer ce basculement successif puis concordant des deux personnages vers davantage de respectabilité. Mais brusquement, tout ce coté sérieux et tenu du récit volait en éclat dès l'arrivée des complices du trio de base du gang, même si déjà au sein du dit trio, l’annonce par Kay de son intention de rompre avec Flood dès le casse accompli va tendre la relation entre les deux vieux amis, quand bien même à ce moment là, le faux couple en est toujours un. Mais le ton du film bascule vraiment avec l'arrivée des autres membres du gang …
Passe encore pour le vieux Dutch (Florenz Ames), le perceur de coffres en retraite depuis 10 ans (mais qui le soir de l'exécution du casse semble encore bien plus rouillé et fatigué que ça), c’est surtout quand se pointe Zimmer (Robert H. Harris) puis Roy (Corey Allen) que les choses se gâtent franchement. Le premier se présente à la porte du faux couple, en sueur, les yeux mi clos pour cause de très mauvaise vue et ayant l'air de sortir tout juste d'une poubelle. La première chose qu'il réclame, c’est une bouteille de gin (dans presque toutes ses scènes, soit il picole, soit il réclame de l'alcool). Quand Harper le promène en ville pour lui faire voir les lieux, l'autre s'illumine soudain en voyant le nombre de beaux bâtiments qu'il serait si tentant de faire sauter ou de voir brûler et, de retour à la maison, une fois seul, on le voit griller une allumette avec un regard de malade atteint de plus d'une maladie mentale incurable ! Bref, le spécialiste en explosifs est un pyromane alcoolique et complètement cinglé (et son interprète en fait des caisses, mais des caisses …). Si j'ai une preuve ? Plusieurs même :
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Quant à Roy, il a été recruté pour sa force et sa jeunesse (il doit casser un mur le soir du vol) mais le jeune homme aux cheveux blond platiné et ras est aussi perturbé que le précédent. Dans sa première scène, cet adepte de la culture physique, obsédé par son corps et sa santé commence par reluquer Kay de manière inquiétante puis se rapproche d'elle et lui demande de toucher son biceps bandé (tout le monde suit ? Tu sens comme il est gros ? ), avant de faire une démonstration grotesque de sa force. Cette séquence a une suite immédiate encore plus croquignolesque quand Flood interroge Roy sur son attitude avec sa compagne, lui rappelant que les femmes lui ont causé bien des problèmes (violence ? Viol ? ) et quand le très perturbé jeune homme lui raconte ce qui s’est passé, Flood, qui visiblement jubile intérieurement durant toute la confession, anticipant en parfait sadique ce qui va suivre, finit par corriger Roy après avoir hésité entre la corde et le ceinturon ! Sado-masochisme, homosexualité refoulée de Flood, plus que suggérée … le scénariste n'a pas lésiné sur les moyens et le jeune acteur, qui débuta au cinéma chez N. Ray, passe lui aussi inaperçu
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Quant au dernier, Harry (Paul Picerni), s'il est moins ouvertement tordu que les deux précédents, ce n'est pas non plus une lumière car pour se mettre au vert avant le casse, il ne trouve rien de mieux que de ramener la dernière poule levée dans une boite, laquelle est en revanche absolument hilarante car la bien nommée Doll (Roxanne Arlen) en fait aussi beaucoup en fille facile se pendant au cou du premier venu (Flood a droit à un gloussement et un : « You're Cute ! « quand elle comprend qu'elle a affaire au chef de la bande) et elle se montre plus tard bien stupide et imprudente quand elle s'adresse à Flood en lui disant qu'elle a compris ce que toute la bande faisait là et réclame sa part du butin pour prix de son silence. Roxanne Arlen m'a immédiatement fait penser à Jean Hagen à laquelle elle ressemblait, mais malheureusement plus à la Jean Hagen de
Singin' in the Rain que celle de
The Asphalt Jungle.
Je ne dis rien des péripéties de la partie finale sinon que le déroulement du casse en lui même … ne casse rien et que de manière très prévisible en raison de ce qui précède, Harper n'y tient pas le rôle neutre prévu pour lui (le soir du casse, le faux couple est invité à un barbecue chez le banquier) car c’est au cours de la soirée qu'il apprend que le fils de son hôte et les autres enfants de l'école doivent répéter des chants sur le lieu même où une explosion de diversion est programmée. C’est cet imprévu qui va le faire définitivement basculer – même si la fin est ouverte – du coté de la respectabilité.
A la fin de la projection de ce film déroutant c'était la déception et l’agacement qui dominait devant ce que j'estimais être un beau sabordage du sujet tant même le personnage interprété par l'excellent Character actor qu'était James Gregory devenait presque ridicule mais finalement, avec un peu de recul, je retiens aussi le fun occasionné par les débordements comiques imprévus dus aux excès de certains des comédiens et de leurs personnages. Dommage quand même car le travail du grand directeur de la photographie Lionel Lindon était remarquable et la belle musique jazzy d'Albert Glasser faisaient de ce film noir plutôt du haut de gamme pour le duo de producteurs de séries B Howard Pine et William C. Thomas. Le metteur en scène Robert Stevens est surtout connu pour son travail à la télévision. Il réalisa notamment 44 épisodes de
Alfred Hitchcock présente, c’est à dire plus que n'importe quel autre cinéaste. Pour le cinéma, il fut beaucoup moins productif, réalisant 2 autres films criminels ; 1 pas bon :
Never Love a Stranger, 1958 et 1 pas vu :
I Thank a Fool (Choc en retour), 1962, avec Susan Hayward et Peter Finch. Vu ' à peu près ' en vost.
Final :