John S. Robertson (1878–1964)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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feb
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John S. Robertson (1878–1964)

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The Single Standard - John S. Robertson (1929)
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Arden Stuart (Greta Garbo) est une jeune des années 20 qui croit au principe du "single standard" : équité et liberté doivent être applicables aux hommes comme aux femmes dans leurs relations. La jeune femme ne s'attache à aucun homme alors que ceux-ci, souvent mariés, tentent de la séduire mais sans succès. Un soir elle fait la rencontre de Packy Cannon (Nils Asther), un séduisant ex-boxeur devenu peintre à ses heures perdues et qui aime partir vers les mers du Sud à bord de son bateau. La jeune femme tombe sous le charme de cet homme, part avec lui sur son bateau mais après quelques mois idylliques, le marin décide de la ramener vers la ville en lui expliquant qu'il souhaite être seul pour son prochain voyage. Le temps passe, Arden oublie petit à petit Packy en se mariant avec Tommy Hewlett (John Mack Brown) et en donnant naissance à son fils. Mais Packy recroise sa route et la jeune femme est prête à tout abandonner pour repartir avec lui...
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L'année 1929 est une année importante dans la carrière de Garbo, une année charnière qui doit lui permettre de rentrer dans le cinéma parlant en capitalisant sur le succès de sa carrière muette commencée fin 1925 à la MGM. 4 films de la Divine vont sortir durant cette année (Wild Orchids, A Woman of affair, The Single Standard, The Kiss), tous réalisés par des réalisateurs différents mais tous les 4 liés par un même point commun : Garbo. Les films de la fin de carrière muette de l'actrice sont marqués par une beauté plastique absolument remarquable - qui nous rappelle à quel point ce cinéma était avant tout un cinéma d'images et d'artistes talentueux - et le visage de Garbo n'est pas anodin à cela. Sans jeter aux oubliettes les 5 précédents films tournés par l'actrice pour la MGM (et les 2 tournés en Europe), il faut simplement mettre en avant le niveau d'excellence que le cinéma de la fin des années 20 a réussi à atteindre en termes de photographie, de production ou de mise en scène et que l'on peut retrouver dans des films comme The Single Standard. Après un tournage de Wild Orchids marqué par la mort de Mauritz Stiller qui, tel Von Sternberg avec Marlene Dietrich, a façonné le personnage de Garbo, l'actrice entame en mars 1929 le tournage de son avant-dernier film muet après une fin d'année passée en Suède. Elle retrouve de nouveau l'acteur suédois Nils Asther, la MGM souhaitant profiter de la réussite du précédent film où le couple suédois s'était entendu à merveille, pour leur seconde et dernière collaboration sous la direction de John Stuart Robertson dont c'est l'unique film avec Garbo.
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Le films de Robertson se découpe en 2 parties qui ne sont pas du tout symétriques mais qui se distinguent simplement par le changement de comportement, de caractère du personnage principal. La première partie repose sur une introduction du personnage de Arden Stuart et sur sa rencontre avec Packy Cannon quand la seconde, plus courte, est liée à sa seconde vie avec Tommy et au choix final entre ces 2 vies que va devoir faire le personnage. Le passage entre ces 2 chapitres repose sur un élément "marquant" et chacune de ces 2 parties est l'occasion de découvrir un personnage de Arden Stuart différent - et par conséquent une facette de Garbo elle-aussi différente -.
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A noter l'apparition, dans un de ses tous premiers rôles, d'un jeune Joel McCrea (à droite sur la capture 4)
Le film démarre sur une présentation de ce que représente le "double standard" aux yeux du personnage de Arden avec ces hommes mariés qui rentrent de soirée accompagnées de "flappers" mais qu'ils abandonnent dans la voiture pour retourner voir leurs femmes qui les attendent bien sagement. Arden refuse cette idée de la relation homme/femme où le mari profite de la vie au détriment de son épouse, elle souhaite vivre en rapport avec le "single standard" où les 2 parties peuvent jouir de leur vie en totale égalité et liberté. Arden est en quelque sorte l'archétype de la femme libérée, celle qui ne se lie à aucun homme et qui peut partir pour une nuit avec un inconnu car elle se considère égale de l'homme. Dans cette première partie Robertson décrit parfaitement cet état d'esprit avec un personnage féminin qui se moque de ce qu'elle vient de voir, qui repousse un de ces 3 hommes et fait comprendre à Tommy qu'elle ne veut pas se marier avec lui malgré son insistance. Une fois ces hommes repoussés, Arden redevient leur égal en appelant le chauffeur pour lui proposer une virée nocturne au clair de lune.
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Renvoyé par le propriétaire des lieux à cause de cette escapade amoureuse, le chauffeur préfère se suicider en jetant sa voiture contre un mur, laissant la jeune femme dans l'incompréhension et permettant à Robertson d'introduire la rencontre entre Arden et Packy. Le personnage interprété par Nils Ashter va être décrit comme le pendant masculin de la jeune femme, à savoir un homme indépendant, qui n'est attaché à personne et qui se sent libre de partir vers des horizons lointains à bord de son bateau.
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Ce n'est pas le hasard qui les fait se rencontrer mais un simple signe du destin car elle se retrouve dans la galerie d'art de Packy en essayant d'échapper à un homme qui tentait de la séduire. - avec un petit clin d'oeil à la phrase magique de Garbo -. En croisant le regard de Packy, Arden trouve en lui un idéal masculin, un homme qui répond à ce qu'elle désire le plus à savoir le "single standard". De son coté, le navigateur/peintre/ex-boxeur voit en elle, une jeune femme libre, désintéressée de toutes considérations financières ou matérielles, différente de toutes celles qui l'entourent quotidiennement.
John S. Robertson nous décrit très simplement cet amour naissant en jouant sur les regards échangés, sur l'éclairage de la pièce - une lumière éteinte plonge légèrement Packy dans le noir alors qu'Arden est elle éclairée par une source extérieure comme pour faire oublier la pièce et mettre uniquement en valeur la jeune femme - ou en resserrant petit à petit son cadre comme pour montrer le rapprochement entre les 2 personnages - d'abord distante la jeune femme se laisse approcher, puis se laisse porter dans le taxi et enfin cède au baiser du jeune homme -.
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Invitée à bord de son bateau le lendemain matin pour prendre le petit-déjeuner, Arden va succomber définitivement au charme de Packy et à son envie de liberté en choisissant de rester à bord lorsque le capitaine leur annonce qu'il est l'heure de larguer les amarres. A partir de ce moment là, le film bascule en une description, dans ce qu'elle a de plus simple, de l'amour qui lie ces 2 jeunes gens : la croisière vers les mers du Sud est l'occasion pour chacun d'eux de se libérer, de tout oublier et de se recentrer uniquement sur l'amour. La photo de Oliver T. Marsh est superbe et le terme lumineux prend ici tout son sens : baignant littéralement dans une lumière naturelle sur le pont du bateau, Arden et Packy semblent coupés du monde et laissent les jours et les semaines s'égrainer.
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Mais cette harmonie est brisée lorsque Packy lui annonce qu'il souhaite retourner sur la terre ferme et mettre un terme à cette union prétextant qu'il a lui aussi besoin d'être seul pour travailler et qu'il souhaite garder une trace de ce moment si parfait. La jeune femme se retrouve déboussolée par cette annonce, assimilable à une trahison, puisqu'elle perd d'un coup tout ce qu'elle avait attendu et espéré depuis très longtemps et cette nouvelle liberté n'a plus la même saveur que celle qu'elle avait l'habitude de gouter auparavant.
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La jeune femme retrouve une vie qu'elle avait délaissée en prenant place sur le bateau de Packy - le bien nommé "All Alone" - mais avec un tout autre regard sur les hommes, puisqu'elle cède à la demande en mariage de Tommy et tourne le dos à ses principes fondamentaux. Par cette union, elle perd en liberté ce qu'elle gagne en stabilité et surtout elle devient mère ce qui a pour incidence de créer un lien très fort entre eux car, dorénavant, Arden est attachée à Tommy de par son fils. La rupture entre Arden et Packy marque également la fin de la première partie, celle de la jeune femme libre, et bascule le film dans la seconde partie où Arden/Garbo devient mère avant de devoir de nouveau croiser la route de Packy. Comme dans Love, les scènes où Garbo partagent l'écran avec son fils sont d'une grande beauté et d'un tel naturel que ses scènes donnent l'impression que l'actrice joue avec son propre fils.
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Et comme dans Love, son personnage se retrouve coincé entre l'amour porté à son fils et son choix entre son mari et son amant, chacun d'eux représentant un idéal de vie en totale opposition. Arden se retrouve à nouveau perdue, tiraillée entre ces 2 vies : cette rupture si douloureuse avec Packy la force à rester auprès de son mari et de son enfant mais son envie de liberté toujours présente la force à repartir avec lui laissant derrière elle son fils et son mari.
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Ainsi les 10 dernière minutes du film sont centrées sur ce choix que va devoir faire Arden mais également sur la réaction de son mari : alors que la jeune femme semble attirée par ce bateau si proche de la maison et si prête à tout quitter pour repartir avec son amant, Tommy menace Packy de ne pas partir avec sa femme mais de lui laisser le temps de "préparer" un suicide qui permettrait à Arden d'être libre et de vivre cette vie qu'elle a choisie sans salir la réputation de sa famille.
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Mais nous sommes en 1929 et il est de bon ton de ne pas choquer la morale en laissant la femme repartir avec son amant au détriment de sa famille et c'est tout naturellement, en revenant chez elle et en allant embrasser son fils endormi, que le personnage d'Arden va prendre conscience de l'erreur qu'elle est en train de commettre. Elle décide alors de revenir dire à Packy qu'elle souhaite vivre normalement avec son mari et son fils et qu'elle désire le voir grandir sans qu'il ne soit l'objet de toutes les critiques comme ce fut le cas pour elle à son retour. Elle quitte le bateau, sous les yeux de son mari, laissant derrière elle ce qu'elle souhaitait vivre au début du film mais qu'elle refuse maintenant.
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La scène finale montre un couple enfin uni, Packy n'est plus qu'un lointain souvenir - on voit simplement son bateau reprendre la mer - et Arden prend à bras le corps son rôle de mère et de femme mariée.
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The Single Standard est un très beau muet de la carrière de Garbo, où le rôle de l'actrice importe plus que ses qualités cinématographiques. Si ces dernières sont tout ce qu'il y a de plus honnêtes - une très belle photo signée Oliver T. Marsh qui se montre à la hauteur du travail de William H. Daniels sur les précédents muets, de très belles tenues signées Adrian mettant superbement en valeur Garbo, de très beaux décors art-déco signés Cedric Gibbons et une mise en scène de Robertson sans fioriture même si on est un peu loin du superbe travail de réalisateurs comme Goulding, Mamoulian ou même de Brown - le film vaut avant tout, et surtout, pour le rôle de Garbo. Loin des habituels rôles de tentatrices qu'elle a tenus sur les films précédents, son rôle de Arden Stuart lui permet de se fondre dans la peau d'un personnage 100% américain, ce qui n'avait jamais été le cas auparavant, imposant un peu plus son empreinte dans le studio MGM en tant que superstar mais lui permettant également de prouver qu'elle était capable de jouer autre chose. Si Woman of affairs avait ouvert la voie d'un personnage plus femme que tentatrice et plus humaine, The Single Standard impose un peu plus ce type de personnage qui tranche avec le reste de la filmo muette de l'actrice. Et une fois encore Garbo est rayonnante dans ce film de Robertson surtout qu'elle eclipse sans grande difficulté un casting assez léger - Nils Ashter, très sobre, campe un personnage qui manque de profondeur et qui aurait gagné à être un peu plus développé et John Mack Brown, qui se montre sensible et touchant dans son rôle, aurait profité d'un temps de présence un peu plus élevé - et que Robertson n'est pas avare en close-up. En fait The Single Standard profite énormément de son époque de tournage - fin des films muets avec une qualité technique qui n'est plus à prouver - et de sa durée de 70 minutes seulement - rythme suffisant pour ne pas décrocher - ce qui en fait un film particulier dans la filmographie pré-Anna Christie de Garbo car il se retrouve coincé entre un très bon Clarence Brown, A Woman of Affairs et un petit bijou de maitrise technique signé Jacques Feyder, The Kiss, et qu'il doit également être mis en concurrence avec l'autre film du duo Garbo/Asther réalisé par Sydney Franklin, Wild Orchids, tout aussi beau mais souffrant lui aussi d'un scénario convenu et assez léger. Le film de Robertson, très peu diffusé et souvent oublié par les critiques lorsqu'ils évoquent la carrière de l'actrice, est un film à remettre en avant car il est tout aussi important que les 3 films cités précédemment car on y voit une Garbo dans un rôle plus naturel et plus humain, parce que sa réalisation se montre agréable - même si elle n'atteint pas les sommets atteints par Jacques Feyder dans le film suivant - et enfin, même si c'est plus un avis personnel mais chez moi il prend une importance toute particulière :mrgreen: , parce que Greta Garbo y est divinement belle et c'est loin d'être négligeable...
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