Epouse (1953)
Après plusieurs années de mariage, un couple a sombré dans une inéluctable routine qui a désormais crée une incompréhension eux.
Aouch ! Il est particulièrement rude celui-là. Un film pessimiste et grave sur le délitement d'un couple, filmé avec une simplicité et un refuse des gros effets qui rend son histoire encore plus déprimante. Il ne semble avoir aucune issue à cette relation en forme d'impasse. L'homme et la femme sont désormais devenus des inconnus l'un pour l'autre et ne parviennent plus à se mettre à la place de l'autre pour essayer de se redonner une chance.
Aucun jugement de la part du cinéaste qui se garde bien de désigner un coupable ou un responsable. Chacun ont leur travers, leurs égoïsmes et leurs lâchetés. L'épouse, à force d'ennui au foyer, est devenu une personne froide, négligée et méprisante envers son mari. Celui-ci, incapable d'aider sa femme, se réfugie dans l'alcool et les sorties avec les collègues avant de se trouver une maîtresse. Une situation qui va encore plus envenimer leurs relation, puisque par narcissisme et pression sociale, l'épouse va refuser que son mari la quitte tandis que ce dernier n'a même pas le courage d'essayer de traiter le problème et préfère le silence et la fuite.
Tout ceci pourrait être larmoyant, lourd, démonstratif, accumuler les scènes de disputes. Il n'en est quasi rien, le cinéaste porte un regarder légèrement en recul, sans parti pris, préférant l'observation. Il se sert justement de l'incommunication entre les 2 personnages pour nourrir cette approche.
Nous sommes un peu comme les locataires de cette grande maison dont le couple loue plusieurs chambres : des témoins en retrait un peu gêné de la situation qui n'osent pas réellement interférer. C'est aussi cela qui participe à ce climat sombre et triste : les autres protagonistes ne valent pas forcément mieux et chacun ont leurs propre défauts. Là aussi, Naruse sait à tout moment éviter de sombrer dans la misanthropie grossière et appuyée. Si le film donne une impression si marquante, c'est qu'il est d'une sobriété réaliste (et loin du naturalisme à la Pialat/Cassavetes).
Il faut dire que si l'
Epouse fonctionne si bien, c'est que Naruse exploite une nouvelle fois le décor, le mobilier, l'ameublement ou les costumes pour traduire cette déliquescence du mariage : un carreau fissuré, un vieux torchon suspendu, un motif dépareillé, un tatami tâché, des vêtements mal ajustés, une manière de se curer les oreilles... Tous ces éléments cassent ainsi l'équilibre et l'harmonie de chaque plans qui suintent ainsi le laisser-aller, le mépris, le mal-être.
Ce n'est sans doute pas aussi abouti que dans
l'éclair ou
l'étau mais l'intelligence de la réalisation de Naruse est vraiment admirable et d'une retenue d'autant plus percutante même si c'est avant tout la qualité de l'écriture et de l’interprétation qui en font la grande force. La fin est à ce titre d'une grande réussite ; contrairement à la majeure partie de l'oeuvre du cinéaste, celle-ci n'est pas une fin ouverte optimiste, elle est une prison construite involontairement mais surement par ses protagonistes. Le pire étant qu'ils ne comprennent ni ne l'assument pas, ils sont passifs de leur propre décision. Ils ont eux-mêmes laisser infuser doucement un lent poison.
Avec son regard amer, sans être complaisant,
L'épouse est un constat terriblement déprimant sur le mariage en même temps qu'une cinglante critique d'une société japonaise vivant sur l'hypocrisie et les apparences. Son visionnage n'en pas confortable car il renvoie à des questions et des peurs universelles, il le fait avec lucidité, sans éclat, sans manichéisme, sans moralité, ni facilité. Les douleurs existentialistes de ses personnages n'en deviennent que de plus en plus profondes, scènes après scènes. Contrairement à tous les cinéastes de la modernité qui pouvait traiter de ce même sujet (Antonioni le premier), le trait de Naruse est pure, presque invisible. C'est pour cela que son impact est d'autant plus prégnant : il y a un effet miroir qui ne propose aucun effet déformant. Il renvoie au spectateur quelque chose de terriblement intime.
Il aurait été sympa que David Fincher regarde ce Naruse avant de s'atteler à son
Gone Girl