Prima della rivoluzione
Le film est comme la confession d’un enfant du siècle, le point de rencontre, encombré de rhétorique et d’influences disparates, d’une recherche de spontanéité héritée de la Nouvelle Vague et d’envolées opératiques à la Verdi, le mariage stendhalien des digressions politiques et de l’effervescence romantique. Il illustre le dilemme d’un jeune bourgeois parmesan à la fois communiste et pétri de culture, révolutionnaire et conservateur, qui finira par préférer la lente mais délectable agonie des nantis au suicide exaltant et inutile des porteurs de lumière. La mise en scène fait un usage sophistiqué de l'éclairage et des mouvements de caméra, recourt aux références et aux citations, mais on est en droit de trouver assez gonflantes ces affectations précieuses sur l’indécision intellectuelle du sortir adolescent.
4/6
La stratégie de l’araignée
La première séquence se situe sur le quai d’une gare, la dernière également. Entre les deux toute l’action se déroule dans le même village émilien, s’y développe et s’y perd : un fils cherchant à connaître son père se trouve peu à peu englué dans la trame des souvenirs contradictoires, des faux témoignages et des légendes usurpées. L’araignée ici n’est pas le fascisme ni l’Histoire mais Bertolucci lui-même, car aucun geste, aucune parole, aucune image du récit kaléidoscopique ne peut être crédité d’une quelconque valeur de vérité. Dans un climat d’étrangeté fantastique et une construction temporelle originale qui entremêle présent et passé, le film aborde donc les questions de la représentation, du trompe-l’œil, de l’ambiguïté politique. Intellectuellement stimulant, mais franchement aride.
3/6
Le conformiste
Comment devient-on fasciste ? Par passivité, par lâcheté, par opportunisme, parce que l’on est bourgeois et que la bourgeoisie est le fumier qui permet au fascisme de germer. La triple dégradation d’une famille, d’une société et d’un individu qui croit se racheter de la première en adhérant à la deuxième est au centre de cette adaptation de Moravia, où le réalisateur amplifie et décale son sujet jusqu’à rendre visuellement sensible, par sa seule mise en scène, la recherche d’identité qui meut le protagoniste : décors pris comme des coulisses mobiles, topographie transformant en lieu imaginaire le Paris des années 30. Mais je reste imperméable à ce formalisme extrême, à son baroquisme glacé, à ses jeux sur les perspectives, les effets de montage, la narration éclatée toute en flashbacks et flash-forwards.
3/6
Le dernier tango à Paris
Pareil, en pire : expérience pénible que celle de ce classique du répertoire. Je suis franchement hermétique à cet univers, aux tourments de Brando, au dolorisme théâtral qu’il met en scène. Très élaboré dans la structure de ses images, son éclairage sophistiqué, sa recherche de la précision en profondeur, le film s’inscrit dans l’oscillation continue entre la tension sexuelle et les fantasmes de domination ou d’humiliation, entre le nihilisme forcené et la désespérance existentielle. Mais la réflexion sur l’acte amoureux et charnel, influencée par un diktat culturel qu’elle s’essaie vainement à contester, me paraît terriblement datée et fabriquée : je perçois l’intention sans jamais être emporté par l’émotion. Je ne suis même pas sûr de l’avoir vu jusqu’au bout, pour être honnête.
2/6
1900
Je préfère largement cette majestueuse fresque historique, pleine de vie rugueuse et de passion aride (l’oxymore c’est volontaire), gorgée des délicates couleurs de la terre, où Bertolucci freine ses prétentions formalistes sans rien abdiquer de son ambition (et là, c’est un euphémisme). C’est la théorie de l’Histoire en tant qu’histoire des conflits sociaux et des luttes de classe qui influence le réalisateur : avec un réel courage dans la provocation, il entreprend de narrer sa vision personnelle du communisme italien et de la société rurale entre 1900 et la Libération. Par sa durée épique (cinq heures), son souffle romanesque, la musique de Morricone, mais aussi par son acuité politique, le film tire la matière d’une saga tumultueuse sur l’évolution de son Émilie natale, de la féodalité survivante à l’utopie socialiste.
5/6
Top 10 Année 1976
La luna
Malgré la richesse signifiante de ses arrière-plans (le théâtre dans le film, l’opéra et le faux-semblant…), le talent de Bertolucci est celui de l’image plus que celui du discours. Film volontiers tapageur, film d’enfant de mai 68 qui cherche à pousser jusqu’aux ultimes conséquences les ressorts de l’amour, cette analyse des rapports entre une mère dévoreuse et nourricière et son fils drogué par manque de figure paternelle requiert un cheminement particulier : on admire d’abord la mise en forme pour se livrer éventuellement à l’exégèse. La gravité un peu perverse du sujet, qui convoque inceste et toxicomanie, est atténuée par un humour constant, des tableaux beaux comme une nuit étoilée en Italie, la prestance altière de Jill Clayburgh en
prima donna célèbre, et l’espoir délivré par une bien jolie fin.
4/6
La tragédie d’un homme ridicule
Ridicule, ce patron d’une fromagerie émilienne ? Pitoyable serait plus exact. Sa femme n’est qu’une tendre étrangère, séparée de lui par la classe sociale. Son fils joue au révolutionnaire et le méprise gentiment. Un jour, le garçon est kidnappé sous ses yeux. Mais n’aurait-il pas lui-même simulé son enlèvement ? Ou est-il au contraire vraiment mort, comme l’affirment les deux amis qui servent d’intermédiaires avec les Brigades rouges ? Bertolucci fait dans le flou d’intentions : une pincée de désarroi politique au sortir des années de plomb, un doigt de conflit des générations, une louchée d’incertitude psychologique et d’auto-diagnostic. Faute de propos fort et de ligne cohérente, son film vaguement bouffon s’enlise dans des images froides, sans mystère, et ne suscite qu’une douce somnolence.
3/6
Le dernier empereur
Hantée par la fatalité et le déracinement, cette fresque à l’intimisme inspiré invente une forme de splendeur extravagante, surtout lors de sa première partie qui voit Pu Yi chanter et danser dans ses divers exils dorés tandis que sa belle épouse s’abandonne à l’opium et aux bras d’une espionne encore plus belle. L’œuvre est plus retorse qu’elle n’y paraît, parasite constamment la belle image qui la menace à chaque instant par son enchevêtrement complexe de flashbacks et son furetage dans des zones particulièrement stimulantes : le lien entre politique et psychanalyse, la recherche d’identité, l’enfance sacrifiée, la soustraction à soi-même. Loin de l’académisme ronflant, elle se constitue d’échecs et de fugitives espérances, et fait surnager le constat terrible de la solitude comme une errance fixe.
5/6
Un thé au Sahara
Peu de lieux sont aussi photogéniques que le désert, ses dunes lisses et blondes ou sa nuit étoilée. Bertolucci n’élude pas le chromo mais l’exagère pour mieux s’en dépoisser. Il raconte l’histoire d’un couple fitzgeraldien à la dérive qui cherche un second souffle entre les escales et les chambres de torchis : pour cela, chacun devra aller jusqu’au bout de lui-même, se noyer, se laisser aspirer – corps et âme – puis finalement peut-être se trouver dans le sable, la chaleur, le froid, la poussière, l’architecture barbare d’Agadès ou les bas-fonds de Tanger. L’amour est un mirage, l’homme et sa mort un grain de sable dans le néant, mais le film distille, à travers sa dimension initiatique et le mystère cruel de ses images, une philosophie amère que la toujours émouvante Debra Winger parvient joliment à incarner.
4/6
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Prima della rivoluzione (1964)
Bertolucci, c’est un peu tout ou rien pour moi. Je peux être très agacé par les propensions auteurisantes de son cinéma, ou emporté par sa sincérité et son indéniable virtuosité plastique. Ça n’est pas vraiment un réalisateur qui compte à mes yeux, mais il est l’auteur de quelques œuvres qui m’ont beaucoup plu, et qui peuvent raisonnablement être considérées comme de grande importance.