Reservoir dogs
Démarrage fulgurant. Si l’on perçoit derrière ce formidable polar, virtuose et grinçant, une culture cinéphage folle, la créativité de Tarantino n’en demeure pas moins exceptionnelle, qui sidère par son sens inné de la mise en scène tranchée, du découpage net, de la réplique cinglante, de la construction jubilante. Autour d’un casse qu’on ne verra jamais, l’auteur déroule des plages de dialogues à la verve insolente, égrène à plaisir les situations canoniques du genre, met à nu les comportements, orchestre un jeu de masques et de dévoilement progressif qui, petit à petit, dépasse l’anecdote et la jouissance de l’instant pour atteindre une gravité presque tragique. Quand, en plus, le festival est mené par une telle troupe d’acteurs, il ne reste qu’à se taire et se délecter de chaque instant.
6/6
Top 10 Année 1992
Pulp fiction
Deux heures et demie de nectar et de jubilation absolue. Avec un sens inouï de la narration, du casting, de la rythmique musicale, Tarantino transforme l’admirable réussite de
Reservoir Dogs et offre ce qui reste l’une des œuvres emblématiques de sa décennie. Nourri de culture pop et de cinéma, le film est un hybride harmonieux à la rutilance enivrante, où les clichés de l’
americana sont revisités par des personnages beckettiens, des situations absurdes dopées à l’héro ou à l’adrénaline, et qui mine de rien, récit après récit, dessine une morale de la vérité, entre hasard et destin – un type sauve celui qui a juré de le tuer, la loyauté d’un autre lui coûte la vie, le tueur qui récitait sans le comprendre un psaume d’Ezechiel finit, transfiguré par un miracle, par en comprendre le sens. Un film qui réinvente à ce point la notion de plaisir pur pris au cinéma mérite de figurer sur un piédestal.
6/6
Top 10 Année 1994
Jackie Brown
L’auteur ralentit la course et regarde ses personnages vieillir, sur les pas d’une héroïne magnifique en passe de doubler tout le monde, flics et truands, avec la complicité amoureuse d’un type un peu comme elle, le plus looser des princes charmants. Tout entier dévoué à ses personnages, son cinéma acquiert une indolence nostalgique au tempo décontracté, une épaisseur romanesque et sentimentale des plus précieuses. La tchatche de Jackson, la fatigue un peu blessée de De Niro, le regard ahuri de Michael Keaton, les décors californiens gorgés de Cadillac criardes et de chemises hawaïennes, les Delfonics en fond musical… Le plaisir est immense, mais le plus beau est dans la douceur cachée et le romantisme pudique du polar, qui au final débouche sur autre chose : un vrai suspense sentimental entre deux héros qui n'ont plus vingt ans, et leur relation toute en estime et en reconnaissance réciproques. Une pure merveille.
6/6
Top 10 Année 1997
Kill Bill
Le grand-œuvre de l’auteur, la synthèse foisonnante de son cinéma, de sa philosophie, de ses inspirations : deux volets gorgés de personnages, d’intrigues, de ramifications complexes, nourris d’un appétit vorace et d’une formidable virtuosité formelle et narrative, en forme de totem mythologique. Seulement voilà : toute cette matière romanesque est activée par des motivations, des principes, une morale absolument puants. J’y vois une héroïne exécrable s’enivrer de violence sous le regard attendri du cinéaste, occire une femme rangée (ce à quoi elle aspire, ou aspirait) sous les yeux de son enfant, en jubiler (dit texto en ouverture du volume 2), et au final tuer le père de sa fille pour l’élever seule (
Ben oui ma chérie, j’ai trucidé papa, mais c’est pour repartir sur de bonnes bases, tu vois). Voilà la glorieuse conception de la maternité selon QT : sortir épanouie et magnifiée d’une croisade sanglante, dans un hymne extatique au meurtre et à la vengeance cathartiques. Bravo l’artiste.
3/6
Boulevard de la mort
Tarantino n’a rien perdu de sa verve de dialoguiste, de son sens du détail jouissif et de la notation jubilante, qui me vaut des piques de plaisir intense pendant la première partie du film. C’est à peu près tout ce que je retire de ce truc d’une incommensurable vacuité, qui donne un nouvel aperçu de l’éthique nauséeuse de l’auteur, et de sa vision pathétique du monde et des êtres (les mecs sont tous des mufles débiles et vulgaires, les filles des pétasses horripilantes). Tarantino se vautre dans la pose fétichiste et reconduit une éthique douteuse en néo-féminisme dévoyé : la libération des femmes est conçu en nivellement par le bas, qui voit des pouffiasses décérébrées investir les clichés machistes et en rajouter dans la connerie généralisée et la joyeuse loi du talion. Reste le petit manifeste théorique pour les intéressés ; mais qu'elle soit frontale ou métatextuelle, la débilité ne m'intéresse pas.
2/6
Inglourious basterds
Tarantino, le néant humain et émotionnel de son cinéma, son irresponsabilité crasse et infantile : troisième chapitre. Comme toujours la jouissance est là, intense, éphémère, masturbatoire. Comme toujours les personnages n’existent pas, réduits au mieux à un charisme de surface, sans affect : ce sont des marionnettes, des figures fonctionnelles ne servant que le brio stérile des dialogues. Aucun regard sur le monde, un repli permanent dans ses fantasmes cinéphiliques étriqués, une nouvelle légitimation rance de la vengeance (salvatrice, puisqu’elle s’exerce par le biais du cinéma, et contre les nazis, que l’on torture et massacre dans une joyeuse catharsis). A la fin, lorsqu’au terme d’une énième effusion gourmande de sang (la violence fait littéralement bander le bonhomme), Tarantino-les-chevilles affirme au spectateur qu’il a réalisé son chef-d’œuvre, je ne sais pas quoi l’emporte, du dépit ou de la nausée.
2/6
Mon top :
1.
Jackie Brown (1997)
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Pulp fiction (1994)
3.
Reservoir dogs (1992)
4.
Kill Bill (2003/2004)
5.
Inglourious basterds (2009)
Incroyable à quel point ce réalisateur en qui je portais les plus grands espoirs (ses trois premiers films dessinent une montée en puissance et en maturité phénoménales) est devenu le symbole de ce que j’exècre au cinéma ; pire, son exaltation permanente de la violence et de la vengeance, son immaturité régressive et bas-du-front me font vraiment gerber. Je me suis juré de ne plus aller voir les étrons filmiques de ce guignol, c’est terminé.