Décennie absolument faramineuse, probablement celle qui m'est la plus chère, la plus fertile en films de chevet, sans doute parce que elle constitue la période où ma découverte du cinéma (et la passion qui a grandi en même temps) a été la plus fructueuse. Les vingt films de cette liste figurent dans mes cent préférés, c'est dire. Aucune autre décennie ne peut se prévaloir d'une telle adoration.
Ce top est trusté par le cinéma américain, dont les grands maîtres sont à leur apogée. Et c'est injuste tant bien d'autres cinématographies pourraient (devraient ?) être citées ici. Celles de Rohmer, Pialat, Kiarostami, Hou, Kusturica, Loach, Resnais et tant d'autres...
1. Casino (Martin Scorsese, 1995)
2. Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990)
3. La Ligne Rouge (Terrence Malick, 1998)
4. JFK (Oliver Stone, 1991)
5. Batman, le Défi (Tim Burton, 1992)
6. Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991)
7. Sur la route de Madison (Clint Eastwood, 1995)
8. Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick, 1999)
9. Impitoyable (Clint Eastwood, 1992)
10. Jackie Brown (Quentin Tarantino, 1997)
11. Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
12. Fargo (Joel & Ethan Coen, 1996)
13. Le Parrain, 3ème Partie (Francis Ford Coppola, 1990)
14. Short Cuts (Robert Altman, 1993)
15. Edward aux Mains d'Argent (Tim Burton, 1990)
16. L'Impasse (Brian De Palma, 1993)
17. The Big Lebowski (Joel & Ethan Coen, 1998)
18. Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992)
19. The Truman Show (Peter Weir, 1998)
20. Un Jour sans Fin (Harold Ramis, 1993)
1990
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1. Les Affranchis – Martin Scorsese
Lorsque Scorsese met le paquet, le cinéma chancèle. Vériste scrupuleux au brio inouï, il déchaîne une tragi-comédie incandescente et dresse l’affolant instantané de la corruption morale. Le rire s’étrangle de malaise (Funny how ?), le maelstrom effarant de la mise en scène consume jusqu’à l’os la spirale infernale du crime et de la paranoïa, et les années de puissance et de mort s’achèvent face caméra, dans la peau d’un plouc à la vie minable. Rarement le septième art aura atteint de telles cimes.
2. Le Parrain, 3ème Partie – Francis Ford Coppola
Simulacre des alliances familiales, rapport au temps, rédemption, mélancolie... Le chapitre conclusif de la saga Corleone intègre la réflexion sur l’argent corrupteur, la vanité du pouvoir, le pourrissement du système politique dans une dimension plus tragique et poignante que jamais. Magnifique kermesse funèbre digne du Roi Lear, cette somptueuse fresque aux ors bistres et feutrés déploie sa crépusculaire majesté jusqu’à l’apothéose du Cavelleria Rusticana final. L’art seul détient l’éternité.
3. Edward aux Mains d’Argent – Tim Burton
La banlieue pavillonnaire middle class, toute de vert, bleu, rose et jaune pastel, est dominée par le nouveau manoir de Frankenstein, que borde un jardin labyrinthique aux buis fabuleux. Burton dessine une topographie de l’imaginaire, parcourt la frontière séparant le conte de fées de la réalité la plus domestique – celle de la cruauté et de l’exclusion. Telle un voile de blanche neige, l’aveuglante naïveté de la fable recouvre un vaste champ symbolique, et fait naître une poésie zénithale.
4. À la Poursuite d’Octobre Rouge – John McTiernan
Nouveau capitaine Achab, Ramius s’assied, tourne la tête, et son regard croise celui du laconique officier-mécanicien qui remonte des soutes la clope au bec. Leurs deux intelligences s’accordent ; l’instant est électrisant. Le film n’est fait que de ces allusions muettes, silences entendus, déductions psychologiques. L’authentique noblesse qui le parcourt, l’extrême raffinement de son exécution, sa concentration immobile, en font le suspense le plus beau – et sous-estimé – de son époque.
5. Miller’s Crossing – Joel & Ethan Coen
Années 30, la Prohibition, une ville enfumée, poisseuse, corrompue jusqu’à l’os. Les frères Coen jouent sur du velours, peaufinant avec une exquise jubilation un étourdissant jeu de dupes, de voltes et de masques, taillant leur polar grinçant dans l’étoffe des plus beaux films noirs. Défricheurs virtuoses du patrimoine américain, ils règlent un ballet millimétré, d’une ébouriffante inventivité formelle, et dont l’ironie ludique se couvre progressivement d’un voile de romantisme désenchanté.
6. Total Recall – Paul Verhoeven
Explorant jusqu’au vertige les potentialités dickiennes de son postulat, le réalisateur de Robocop persiste et signe dans le tableau d’un futur qui réfléchit la société contemporaine, métaphorisée de façon littérale par le règne généralisé de la duperie et de la manipulation mentale. Le numéro d’illusion est diabolique, nous propulsant dans tous les coins comme des boules de flipper, à la faveur d’une action effrénée aux atouts pour le moins accrocheurs – Sharon en garce perverse, mamma mia.
7. Danse avec les Loups – Kevin Costner
Le premier film de Costner cinéaste émet de puissantes ondes physiques, on respire mieux en le voyant, on voit large, on aère le mental. L’aventure humaine renvoie aux grands mythes de la nature, de la guerre et de la fraternité humaine, opère la fusion chimique des sentiments et des civilisations, tout en dénonçant la conquête de l’Ouest comme péché originel de l’Amérique. L’itinéraire moral se teinte d’amertume et de gravité, la fresque, ample et lyrique, invite à la méditation : grand film.
8. Cyrano de Bergerac – Jean-Paul Rappeneau
Prince du cinéma populaire, Rappeneau dépoussière un monstre de notre patrimoine culturel et cocardier, équivalent hexagonal de Don Quichotte. Panache, vivacité du tempo, décors en tableaux d’époque, chevauchées homériques, duels et fusillades épiques. Et par-dessus tout, goût du verbe, de ses inflexions et torrents, rendant justice à la grandeur janséniste du héros, humaniste blessé en rupture avec son époque, dont la fougue bravache dissimule l’amour éternellement tu. Un mélodrame héroïque.
9. Mo’Better Blues – Spike Lee
Comme un thème musical passant du mélodique à l’abstrait, ce portrait d’un trompettiste dévoué au jazz s’articule et se désarticule sans jamais filmer deux scènes à l’identique. Le fils devient père, l’élève devient maître, et les promesses de la jeunesse n’ayant été qu’en partie tenues, l’artiste échoit en pédagogue. Recourant à mille procédés de rhétorique qui ne cessent de stimuler l’émotion, l’auteur livre une œuvre aussi séduisante dans l’humour que le drame, le réalisme que le sentiment.
10. Les Anges de la Nuit – Phil Joanou
Phil Joanou n’a jamais réédité l’exploit de ce polar exemplaire, qui laissait augurer une carrière à la James Gray. Raison supplémentaire pour admirer la conduite d’un récit haletant qui tire un suspense tragique des dilemmes et des contradictions morales, apprécier la complémentarité d’un casting rendant grâce à la complexité des caractères, et s’enthousiasmer de la précision avec laquelle est dépeinte cette communauté irlandaise de New York, enferrée dans le cercle du crime et de la violence.
Sur le banc : Affaires Privées (Mike Figgis), 58 Minutes pour vivre (Renny Harlin), Darkman (Sam Raimi), Hidden Agenda (Ken Loach), Nikita (Luc Besson)...
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1. JFK – Oliver Stone
Les trois heures passent comme un souffle, le rythme convulsif emporte tel un cheval au galop, le brio fulgurant du montage met en feu, le foisonnement des hypothèses et des réflexions, la concentration des séquences injectent un lyrisme fiévreux à l’enquête politique, morale, citoyenne. Cette maestria, cette densité incandescente sont dignes du Scorsese de Casino. L’exorcisme du passé exige de mettre sa vérité à nu, et ce film épique en est la démonstration la plus généreuse et galvanisante.
2. Thelma et Louise – Ridley Scott
Cavale de deux femmes en détresse, dont le déroulé tragique s’éclaire paradoxalement d’une lumière radieuse. Paysages sublimes de l’Amérique profonde, avec ses mœurs rétrogrades, sa poussière dansante, ses champs pétrolifères et ses country clubs. Équipée sans retour à l’enivrante composition visuelle et musicale, ce road movie féministe souligne les traits conflictuels d’une société : c’est un voyage vers la libération et l’indépendance, chargé de rires et de larmes, d’énergie et d’exaltation.
3. Le Silence des Agneaux – Jonathan Demme
Clarice accepte le marché quid pro quo du monstre raffiné qui se tient derrière la paroi de verre : la mise à nu de son âme contre le portrait psychologique du nouvel Hadès qu’elle recherche. Ouvrant un gouffre devant les pieds du spectateur, Jonathan Demme distille une terreur d’ordre mental, qui naît de silences, de regards, des transitions fluctuantes entre la normalité et la folie, entre la fascination effrayée de la Belle et la suave perversité de la Bête. Un classique inaltérable.
4. Van Gogh – Maurice Pialat
Le trait bleu avale la toile – paysages brûlants, êtres tordus. La révolte intérieure de l’artiste transcende les peintures, dont les torsions répondent au style entrechoqué et pourtant magnifiquement fluide de la mise en images. Le vent souffle dans les arbres, les prostituées ont le corsage ouvert : bonheur inaccessible qu’une âme en peine échoue à retenir, en s’épuisant dans la création et l’intensité rugueuse de la vie. Van Gogh s’est consumé, il n’y a pas d’adieu, la mort est un mur bleu.
5. Terminator 2 : Le Jugement Dernier – James Cameron
Une fois de plus, Cameron repousse les frontières et donne dans la démesure. Il relègue ici l’essentiel des films de SF et d’action au rang de vieilles reliques, puisant dans la beauté coulante des métamorphoses, les scansions pulsatives de Brad Fiedel, la plasticité des images cinétiques nées du feu ou du métal, une inspiration presque divinatoire. Et sous le gant de fer, la main de velours d’un artiste qui interroge les responsabilités de l’homme face à sa technologie, son futur, son identité.
6. Aux Cœurs des Ténèbres : L’Apocalypse d’un metteur en scène – Fax Bahr & George Hickenlooper
La genèse prométhéenne d’Apocalypse Now nécessitait un documentaire à sa mesure. Voici le témoignage attestant de ce que fut cette aventure sans équivalent : une odyssée traumatisante, un tournage au bord du gouffre qui manqua d’emporter son réalisateur corps et âme. Par-delà les images précieuses d’un processus de création tutoyant sans cesse la folie et l’anéantissement, c’est bien l’ardeur de l’artiste à se confronter avec sa vérité intime qui offre une portée unique à ce sidérant making-of.
7. Barton Fink – Joel & Ethan Coen
Un jeune dramaturge exalté et naïf s’égare dans la jungle hollywoodienne de l’âge d’or, perd pied avec la réalité et fricote avec le diable, ou quelque chose d’approchant. Langoureusement, les frères Coen glissent de la comédie absurde au thriller étouffant, puis au fantastique kafkaïen. Leur Palme d’or atmosphérique sculpte les nerfs, satirise, malaxe les genres entre irrespect et nostalgie, métaphorise les affres de la création et de l’imaginaire en nous enveloppant dans une toile fascinante.
8. La Double Vie de Véronique – Krzysztof Kieślowski
Il existe un lien invisible entre la France et la Pologne, entre la vie et la mort, entre Véronique, qui pleure et rêve d’un clocher renversé, et Weronika, qui chante comme un ange et meurt sur scène en donnant la note la plus haute, la plus belle, celle qui brise le cristal de son cœur. Servi par la grâce d’Irène Jacob, Kieślowski signe un film de regard et de sensations, de mystère et de prédestination, d’appels à entendre et de signes à déchiffrer, reposant manifestement sur la transcendance.
9. Les Amants du Pont-Neuf – Leos Carax
Avec peu de mots, des musiques de toutes les couleurs et tant d’images que l’on en suffoque, ce poème d’amour fou galope dans la nuit vers la lumière, enveloppe de son romantisme naïf quelques solitaires écorchés qui se réfugient dans l’ilôt déglingué et fragile du Pont-Neuf. Pas de message, de démonstration ou d’esbroufe, mais une foule d’images intemporelles, de mouvements grandioses et de contractures dansantes où fusionnent, dans un feu d’artifices, la cruauté du réel et la démesure du rêve.
10. My Own Private Idaho – Gus Van Sant
C’est l’histoire d’un jeune gigolo homosexuel et cataleptique, à la recherche de sa mère, et du fils d’un riche sénateur, amputé d’un passé auquel il ne répond que par un avenir incertain. Le film s’équilibre entre deux pôles de la marginalité, celle qui est une fin et celle qui, démangeaison pubertaire prolongée, s’achève par un retour à la norme. Ses images surréalistes, ses ellipses et cadrages déroutants content avec poésie la douleur d’une trahison, la vente tragique d’une amitié amoureuse.
Sur le banc : Faut de preuves (Simon Moore), Le Festin Nu (David Cronenberg), Les Nerfs à Vif (Martin Scorsese).
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1. Batman, le Défi – Tim Burton
Le premier volet était génial, le second est un triomphe artistique absolu. Désormais Tim Burton vogue seul en son territoire, orchestrant une farandole baroque au graphisme noir, peuplée d’âmes perdues et de monstres pathétiques, tissée de paradoxes freudiens et de visions fantasmagoriques. Cet état de transe américain est celui de l’inconscient collectif, dont la poésie gothique donne corps et émotion à des figures inoubliables, émanations directes de nos rêves et cauchemars d’enfance.
2. Impitoyable – Clint Eastwood
Le western est mort mais Clint taquine le cadavre. L’époque des héros d’autrefois, la légende des hors-la-loi épris de liberté, la gloire de l’histoire américaine forment le terreau d’une même illusion collective. En réveillant les fantômes de son pays, en démasquant sa violence séculaire et son simulacre de justice, Eastwood rappelle la solitude morale de l’homme, désacralise le mythe, recouvre la grande prairie d’un souvenir mélancolique, celui d’une époque qui n’a jamais existé. Impérial.
3. Reservoir Dogs – Quentin Tarantino
Ce serait une tragédie, une épure, s’il n’y avait pas, comme dans un drame élisabéthain, le corps étendu et ensanglanté de Mr Orange, se vidant de lui-même. Esthète du dialogue, du jeu intertextuel, du travestissement des icônes, le cinéaste fait tomber les masques, observe l’éveil d’instincts provisoirement mis en sommeil, opère la jonction entre film noir classique (versant Hawks) et réécriture moderne (versant Godard). Son fracassant premier film ne ressemble à rien d’autre qu’à du Tarantino.
4. The Player – Robert Altman
Ouverture sur un plan acrobatique et interminable qui voit les personnages discuter des grands plans-séquence de l’histoire du cinéma. A elle seule l’entame donne le ton d’un film entièrement placé sous le signe du dialogue entre fiction et réalité. La satire caustique du milieu hollywoodien s’opère en un lacis vertigineux de jeux de miroir, une toile virtuose de métaphores et de faux-semblants, un jeu de quilles incendiaire qui en déboulonne, dans l’allégresse, l’inconstance et la versatilité.
5. Dracula – Francis Ford Coppola
Coppola n’en finit pas de faire de l’or. Son prince des ténèbres est un damné romantique qui traverse les siècles pour retrouver sa bien-aimée, et son film un grandiose opéra couleur noir, rubis et carmin, dont la flamboyante inspiration esthétique sidère la rétine. Sang, ombre et cercle comme autant de motifs ensorcelants, visions de fièvre à la Füssli, merveilles gothiques et audaces baroques insensées emportent dans un torrent lyrique, une ode envoûtante à l’amour fou et à l’éternel retour.
6. Maris et Femmes – Woody Allen
Que devient l’amour quand il meurt ? Où passe le désir après la pluie ? Politesse du désespoir, l’humour d’Allen est celui d’un homme guetté par la solitude. Sa chronique du délitement conjugal saisit les êtres au vol, surprend leurs disputes et leurs moments d’abandon, examine sans filtre, dans un style faussement brouillon, une série d’événements pris sur le vif, et trouve l’accord parfait entre lucidité et indulgence. L’une des ses plus grandes réussites sur le terrain de l’introspection.
7. Conte d’Hiver – Éric Rohmer
Il aura suffi d’un malencontreux lapsus pour faire perdre à Félicie l’homme qu’elle aime. Mais c’est avec une foi irrépressible en sa bonne étoile qu’elle suit sa ligne de vie, mettant des mots maladroits sur des intuitions nettes, inscrivant le prosaïsme de son existence dans une dimension spirituelle. Doux et poignant comme de la musique de chambre, le plus beau conte des quatre saisons mise, comme son héroïne, sur la confiance et la fidélité à soi-même, et infuse une sérénité à pleurer.
8. L.627 – Bertrand Tavernier
Tavernier accuse, et montre tout : les planques, la pose pastis, le manque de moyens, la misère quotidienne. Bétonnée par une documentation sans faille, sa plongée dans le quotidien d’une brigade des stupéfiants est un patchwork tragi-comique qui fait fi du temps mort et de la démagogie, passe d’un squat à l’autre, d’une affaire à la suivante, de l’action professionnelle au contrechamp privé selon une construction serrée aux joints invisibles. Le constat possède la vigueur offensive d’un brûlot.
9. Le Petit Prince a dit – Christine Pascal
Elle a douze ans, le cheveu dru, le sourire clair et des rondeurs attendrissantes. Lorsqu’il lui est diagnostiqué une maladie incurable, on imagine le pire mélo putassier, avec cortège de blouses blanches, traitement lourd et chantage à l’émotion. Sauf que Christine Pascal prend la tangente, fait défiler les paysages, troque le drame pour la gaieté et réconcilie l’irréconciliable – une famille en éclats, la vie et la mort, l’espoir de la rémission au sein même d’un fatalisme tranquille.
10. Un Cœur en Hiver - Claude Sautet
Stéphane, Camille, Maxime : trois prénoms asexués pour une analyse psychologique en forme d’épure. Trois acteurs qui illuminent tout, par un coup d’archet rageur sur un trio de Ravel, le bricolage minutieux du chevalet d’un violon ou l’ouverture de volets sur de grands arbres verts. Et c’est parce que le film est aussi un reportage concret sur la lutherie qu’il creuse ainsi le mystère des êtres, revalorisant un cinéma où faire un plan veut dire quelque chose et implique le désir d’un auteur.
Sur le banc : Arizona Dream (Emir Kusturica), Les Experts (Phil Alden Robinson), Porco Rosso (Hayao Miyazaki), Retour à Howards End (James Ivory), Versailles Rive Gauche (Bruno Podalydès)...
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1. Short Cuts – Robert Altman
Au début, un vol nocturne d’hélicoptères vaporisant un insecticide sur la grouillante faune urbaine de Los Angeles. A la fin, un séisme banal renvoyant la mosaïque des existences à leur vacuité. En trois heures d’horloge, Altman conçoit une fresque intime et cruelle sans intrigue ni dramaturgie mais lestée d’une tension souterraine, une tapisserie contemporaine qui offre à ses personnages un peu de la compassion qu’ils ne demandaient pas, et renvoie de la fin de siècle un miroir sans concession.
2. L’Impasse – Brian De Palma
Faux nouveau départ pour Carlito, ex-baron de la dope de retour dans le barrio après quelques années de tôle, bien décidé à se ranger des pétoires. Heure du bilan pour De Palma, qui signe là son anti-Scarface, s’interroge avec une sincérité nue sur le passé qui rattrape, la maturité, le vieillissement, le conflit des générations, la destinée d’un homme – et l’état du cinéma de genre. D’une virtuosité affolante, le polar se charge d’une tristesse mélancolique et résignée, et frappe en plein cœur.
3. Un jour sans Fin – Harold Ramis
"Then put your little hand in mine…" Phil se réveille et entame la pire journée de sa vie. Insultes aux péquenots, cynisme satisfait. "Then put your little hand in mine…" Phil se réveille et fait fructifier mille stratégies d’un tempo qu’il commence à connaître. "Then put your little hand in mine…" Phil se réveille, prend conscience de ses erreurs et découvre le sens de la vie. Philosophie radieuse, humour exquis, émotion roulée dans le bonheur : cette comédie anaphorique est un pur trésor.
4. Jurassic Park – Steven Spielberg
Vendre un imaginaire breveté dans un parc qui serait l’ultime étape du merchandising disneyen. Spielberg, longtemps considéré comme le héraut du cinéma de consommation, fait dérailler ce rêve en cauchemar. L’esthétique train-fantôme engagée témoigne d’un sens exceptionnel de la prise en charge émotionnelle du spectateur, le fait frissonner d’angoisse, de plaisir ou d’émerveillement : l’entertainer est souverain en son royaume, et ce jeu de programmation théorique un fabuleux spectacle.
5. La Leçon de Piano – Jane Campion
Des doigts s’agitant sur l’ivoire des touches, un piano abandonné sur la plage, un dessin de cailloux dans le sable balayé par l’écume, des forêts humides aux troncs enchevêtrés : Campion invente un monde envoûtant qui pousse les sentiments à leur expression la plus élémentaire et fiévreuse. Elle ausculte les passions d’êtres tiraillés entre leur culture et leurs pulsions naturelles, suit l’éveil charnel et la libération progressive d’une femme, et réveille un romantisme tumultueux à la Brontë.
6. Au nom du Père – Jim Sheridan
A la pointe sèche et sans la moindre complaisance, mais avec une rigueur professionnelle et civique qui force l’admiration, Sheridan, grand cinéaste populaire, porte le fer dans la plaie de la guerre civile irlandaise. Il dénonce l’injustice révoltante d’un procès truqué avec les armes d’un militantisme engagé, d’une saine colère qui emporte tout sur son passage : film d’une intensité viscérale, mû par autant de générosité que de densité humaine, ce cri du cœur laisse épuisé mais l’âme en feu.
7. La Liste de Schindler – Steven Spielberg
Que reste-t-il du film le plus controversé du wonderkid hollywoodien ? Des questions éthiques auxquelles chacun répondra selon sa conscience et ses outils intellectuels. Mais surtout un requiem bruissant de noms et de visages, porté par la valeur de la vie, qui s’arrête aux portes de l’irreprésentable, là où il est encore possible de raconter une histoire, et nous crie que l’histoire de notre temps n’est pas faite que de naufrages acceptés. Film impossible, forcément imparfait, pourtant essentiel.
8. Le Temps de l’Innocence – Martin Scorsese
Œuvre mésestimée, pourtant une pièce maîtresse de la filmographie scorsesienne. Le cinéaste élabore une cruelle étude de mœurs, un mélodrame victorien fascinant de précision et de beauté feutrée, où la splendeur de l’organdi et du taffetas renferment les larmes d’une passion sacrifiée sur l’autel des convenances. A l’image des roses multicolores du générique qui s’ouvrent sous un voile de dentelle mortuaire, le film figure l’ultime battement d’un chagrin figé, d’un inconsolable renoncement.
9. Smoking / No Smoking – Alain Resnais
Il était une fois, dans une bourgade verdoyante du Yorkshire. Ou plutôt : il était deux fois, quatre fois, huit fois. Resnais lance les dés de la narration, multiplie les pistes contradictoires, joue sur les partitions ludiques de deux comédiens transformistes et nous perd dans un délicieux labyrinthe. C’est un jeu de l’esprit, une prodigieuse réflexion en actes autour des notions du hasard, du destin et de la liberté, doublé d’une célébration triomphale des pouvoirs de la fiction. Étourdissant.
10. Meurtre Mystérieux à Manhattan – Woody Allen
Allen trouve le remède à sa séparation brutale avec Mia Farrow : rien moins que les retrouvailles ragaillardies avec Annie Hall. Et pour marquer le coup, il ne lésine pas sur le champagne : sous le feu roulant des répliques et des situations loufoques, on y distingue le pendant ludique de Maris et Femmes, le nouveau chapitre d’un journal conjugal qui, en plus de payer son tribut (haletant) aux classiques du film noir, fait l’éloge (spirituel) du jeu et du divertissement thérapeutiques.
Sur le banc : L'Arbre, le Maire et la Médiathèque (Éric Rohmer), Journal Intime (Nanni Moretti), Last Action Hero (John McTiernan), Raining Stones (Ken Loach), Les Vestiges du Jour (James Ivory)...
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1. Pulp Fiction – Quentin Tarantino
Le rock défrisait les vieux barons du jazz, le rap décoiffait les kroumirs du rock… et Tarantino a déplu aux tenanciers d’une certaine idée du cinéma. Le temps a fait son œuvre, et entrer Pulp Fiction dans le sanctuaire des monuments pop, pour sa jouissance à cuisiner les junk-codes culturels à l’endorphine, pour son irrésistible tonicité et son invraisemblable brio, pour sa temporalité concassée et son jeu avec la morale, bref pour tout ce qu’il est et tout ce que les autres films ne sont pas.
2. Ed Wood – Tim Burton
Face à face, le temps d’une scène, le génie et le nullard – Orson Welles et Ed Wood, le premier expliquant au deuxième que l’important est de persister dans sa passion. Poursuivre son rêve, envers et contre tous : credo magnifique, sur lequel Burton construit une véritable chapelle ardente, réflexive et autocentrée. L’hymne à la gloire du cinéma devient alors un carrousel d’instants magiques, qui fait du paria un héros, transforme le raté en poudre de perlimpinpin et le toc en en poésie pure.
3. La Reine Margot – Patrice Chéreau
Sous la caméra de Chéreau, l’évocation du destin tragique de la reine Margot devient un long cauchemar halluciné fait de sauvagerie et de débauche, dont on sort avec la vision des huguenots massacrés sur la rétine et l’odeur de la mort au nez. Opéra de sang, de bruit et de fureur, c’est un Parrain à la sauce Médicis, un feuilleton morbide peuplé de personnages vampiriques et traversé de fulgurances baroques, qui rappelle comment les guerres civiles sont engendrées par les haines fratricides.
4. Les Patriotes – Éric Rochant
Chronique d’un idéal gagné par l’amertume, passionnant récit d’espionnage jouant la carte du réalisme pointilleux et documentaire, dissection des arcanes d’un univers implacable : le film est tout cela à la fois. Rochant, pris d'une ambition assez incroyable, plonge dans les dessous opaques des services de renseignement israéliens et stimule la plus profonde des réflexions sur l'engagement, la responsabilité et les compromissions entre morale individuelle et raison d'état. Réussite totale.
5. Petits Arrangements avec les Morts – Pascale Ferran
Éclosion d’une grande réalisatrice, à la croisée des expérimentations d’un Resnais (jeu avec le temps, objets insolites, mémoire ondulante) et des questionnements d’un Téchiné (la famille, ses liens indéfectibles, ses vieux remords). Trois récits enchâssés, trois personnages qui vivent avec leurs questions et leur culpabilité, trois expériences qui vagabondent de l’objectif au subjectif, de l’unité de lieu aux brutales ruptures de ton, couvées par une même bienveillance. Très subtil et émouvant.
6. Quatre Mariages et un Enterrement – Mike Newell
"Fuck ! Oh fuck ! Fuck fuck fuck !" L’entrée en matière est désopilante et la suite est à l’avenant, mais pas que. Car s’il sait titiller les zygomatiques avec un humour exquis, entre le raffinement feutré d’un Lubitsch et les allusions égrillardes d’un Scola, Mike Newell a le don de flatter aussi la corde sensible, avec la même élégance aristocratique. Entre retrouvailles gouleyantes, amours impossibles et coups de destin révoltants, c’est une fringante et délicieuse comédie romantique.
7. L’Enfer – Claude Chabrol
S’appropriant le film mort-né de Clouzot, Chabrol juxtapose l’étude clinique d’un cas pathologique à la savoureuse analyse des médiocres folies bourgeoisies, dont il est l’expert gourmet. Les tourments de son couple infernal – lui modeste ambitieux, elle trop belle pour être honnête – participent d’un régime filmique contradictoire qui traite la réalité avec un subtil décalage, comme les bribes d’un cauchemar assez gai, tout en épousant le délire progressif avec une sèche crédibilité. Très fort.
8. Quiz Show – Robert Redford
Un casting remarquable, un scénario en béton, des dialogues acérés, pas de bon ni de méchant mais des êtres qui s’épient, se scrutent, se fascinent alors qu’ils sont en train de se perdre. À contre-courant, Redford dépeint les illusions du rêve américain, nourrit un suspense reposant sur les mots, la manière dont chacun les manipule et les motifs secrets qu’ils dissimulent : la volonté de puissance, le besoin de reconnaissance sociale, la perte de l’innocence, le sacrifice de sa propre morale.
9. Last Seduction – John M. Dahl
John Dahl ne joue peut-être pas dans la division d’un Preminger ou d’un Hawks. Mais c’est peu dire qu’à l’instar de ce que Kasdan accomplissait dans La Fièvre au Corps, cet avatar du grand film noir nous prend dans les filets de sa diabolique intrigue, parvenant sans forcer à retrouver la séduction vénéneuse d’un genre depuis longtemps révolu. Quand à Linda Fiorentino, garce de compétition à la voix rauque et aux jambes interminables, elle va très loin dans le registre de la mygale toxique.
10. True Lies – James Cameron
Mission impossible pour Schwarzie : sauver le monde tout en recollant les morceaux de son couple en crise. D’un jet Harrier au dîner familial, même combat. Toujours plus haut, toujours plus fort dans la démesure, inscrivant une pyrotechnie ahurissante dans une mécanique vaudevillesque du meilleur aloi, Cameron raconte comment un homme et une femme qui s’étaient éloignés réapprennent à s’aimer. Car si son cinéma est celui du gigantisme logistique, il prouve qu’il est aussi celui du cœur.
Sur le banc : Hoop Dreams (Steve James), Little Odessa (James Gray), Le Péril Jeune (Cédric Klapisch), Pompoko (Isao Takahata), Trois Couleurs : Rouge (Krzysztof Kieślowski)...
La suite juste en-dessous...