Assaut
Si l’on pouvait comparer un film à un moteur de voiture, celui-ci serait d’un bon rendement au nombre de morts par minute, et Carpenter un ingénieur à promouvoir. Le réalisateur a appris à la télévision, comme Spielberg ou Lucas, les lois de l’efficacité cinématographique. Sur le patron de
Rio Bravo, il dépeint une Amérique au bord de l’implosion, et plonge dans les convulsions d’une nuit qui a toutes les couleurs d’un cauchemar de névropathe : on y voit des vagues d’assaillants invisibles tenter d’emporter un commissariat de quartier transformé en camp retranché. Le climat étrange évolue jusqu’aux confins du fantastique, entretenu par un vrai sens de l’espace et du suspense, une réelle capacité à chauffer enjeux et comportements à partir d’une situation exploitée au meilleur de ses possibilités.
4/6
Halloween
Peu de films peuvent se targuer d’avoir marqué aussi profondément l’histoire et les motifs d’un genre. Cette œuvre en fait partie, par sa conception simple et claire, par sa tonalité nocturne et saturée de références complexes, par sa partition musicale aussi entêtante qu’un songe maléfique. Ici le sens de l’atmosphère, la maîtrise des mouvements d’appareil et le talent du cinéaste à faire glisser subrepticement la réalité la plus prosaïque dans un onirisme de cauchemar atteignent une véritable amplitude. Carpenter creuse tout un inconscient refoulé de la société américaine normalisée, étouffée par ses carcans puritains, et organise, autour de la violence, de la sexualité, du Mal dans sa dimension la plus secrète et la plus mystique, la plus déstabilisante des descentes aux enfers, en forme de spirale à la fois envoûtante et terrorisante.
5/6
Top 10 Année 1978
Fog
Par le retour aux sources du fantastique maritime, tradition littéraire peu exploitée au cinéma, comme par la mise en images qui évite toute grandiloquence pour opérer une lente progression de la peur, saisis sur quelques personnages bien déterminés, le film témoigne de la faculté du cinéaste à trancher dans une production en constante régression esthétique. Le brouillard y est un élément encore plus abstrait que le Boogeyman, et rythme l’approche inéluctable de la mort en une messe de l’effroi parfaitement réglée, un conte gothique qui donne l’impression d’une densité intense, tire le meilleur parti de son décor (une petite ville hantée par son passé) et fait preuve d’étonnantes trouvailles plastiques – telles ces silhouettes aux yeux rouges se profilant dans les nappes d’une ambiance spectrale.
4/6
New York 1997
Les vieux préceptes de Hawks, selon lesquels l’action prime sur la psychologie et en vertu desquels ce sont sur leurs actes que les hommes sont jugés, Carpenter les applique à la lettre dans ce western urbain et futuriste qui recrée un New York-cloaque angoissant, cité fantasmatique en forme de ghetto monstrueux où s’entassent trois millions de condamnés, cité de l’après-cataclysme au bord de l’écroulement et repaire d’une humanité irrécupérable. Plein d’inventivité, truffé de péripéties, le film témoigne des penchants les plus nihilistes et subversifs de son auteur, dont la réflexion politique sur la violence urbaine, l’ambigüité des valeurs, le double conformisme du libéralisme et du politiquement correct dans l’Amérique fin de siècle, trouvent en l’anar Snake Plissken une figure d’expression idéale.
5/6
The thing
L’une des réussites les plus brillantes du cinéma de SF des années 80. Une base dans l’Antarctique dont le cinéaste exploite formidablement la blancheur inquiétante ; un groupe de personnages isolés, confrontés à une altérité qui ne se montre pas ; un motif de propagation invisible qui déplace le principe d’
Alien sur un mode plus explicitement paranoïaque – avec l’une des séquences les plus tendues jamais filmées, celle, extraordinaire, du test sanguin. Sur ces principes, Carpenter orchestre un oppressant cauchemar en huis-clos, où l’angoisse naît tout à la fois de l’incertitude psychologique (qui est quoi ?), du trouble laissé par des questions en suspens (un contaminé sait-il seulement qu’il l’est ?) et des manifestations furieuses de l’horreur (avec des effusions organiques à l’expressivité déformée, proche des tableaux de Bosch).
6/6
Top 10 Année 1982
Christine
On pouvait attendre un sanglant cirque des horreurs électriques. Il n’y a heureusement rien de tout cela, et il faut savoir gré à Carpenter d’oublier l’habituel protocole du cinéma fantastique, faisant passer du réel à l’irréel incongru sans se poser de questions. Cette Christine super carrossée s’apparente à un Faust pour
teenagers : on ne vend plus son âme au diable mais à la rutilance satanique d’une Plymouth maladivement jalouse dont on devient à son corps défendant la victime expiatoire. Adaptant Stephen King avec humilité, le cinéaste tord le cou au mythe américain de la voiture et, au-delà du suspense surnaturel, s’attache à restituer le trouble et les difficultés de l’adolescence, période ambiguë dans ses rapports conflictuels. Si l’ensemble distille quelques bons moments, il reste néanmoins mineur.
3/6
Starman
Après plusieurs échecs commerciaux, Carpenter cherche à redorer son blason. Rien d’opportuniste pourtant dans cette aventure naïve et belle comme l’invitation lancée par la sonde Voyager II aux confins de l’espace, rendue terriblement attachante par ses maladresses même. La science-fiction s’efface pour mieux affirmer l’impérieuse dimension humaine, toute simple mais généreuse, d’une histoire de deuil et de rencontre qui voit une jeune femme s’éprendre d’un extraterrestre ayant pris les traits de son défunt mari. Comment ne pas être touché par un postulat aussi fort et poétique ? Le long d’un road-movie cocasse au cœur d’une Amérique méconnue, la romance émeut, d’autant que Jeff Bridges est un visiteur parfait d’innocence, et l’adorable Karen Allen un vrai trésor d’actrice.
5/6
Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin
Prenez un personnage de série B américaine, brave camionneur baraqué, mauvaise tête mais bon cœur, adjoignez-lui une
all american girl, journaliste de préférence, et plongez-les dans le cinéma de série B par excellence, c’est-à-dire made in Hong Kong, avec histoires de fantômes et effets spéciaux bricolés. Résultat : B x B = B au carré. Parce que Carpenter prend les genres au sérieux, qu’il ne cède pas à la tentation de l’exotisme et tient le décorum à sa place, c’est-à-dire derrière l’action, son gros délire adolescent et anarchique attire une certaine sympathie. On y trouve des labyrinthes souterrains, des méchants asiatiques et griffus, des bagarres cartoonesques, même un gros plein de soupe qui explose comme une baudruche. De quoi s’amuser (un peu) sur le moment, avant de passer à autre chose.
3/6
Prince des ténèbres
Le manque de succès chronique oblige le réalisateur à se serrer la ceinture : budget moyen, aucune vedette excepté Pleasence, décor unique (une église abandonnée où sommeille l’esprit du Mal absolu). Et le résultat est une bouffée d’air frais loin de tout tape-à-l’œil, un huis-clos étouffant jouant sur l’immobilité des protagonistes, et dont la lenteur chorégraphique accentue la gravité et le sentiment de fatalité irrémédiable. À partir d’un scénario propre à faire ricaner (rien moins que l’avènement de Satan, enfermé sous forme verdâtre dans une flole maudite), il orchestre un crescendo cauchemardesque d’une efficacité assez redoutable, toujours inquiétant (les étudiants transformés un à un en zombies), parfois maladroit (le pompeux bavardage théologico-scientifique), donc authentique et personnel.
4/6
Invasion Los Angeles
Jadis les communistes étaient l’ennemi numéro un. Mais en cette époque de libéralisme reagano-bushien, le danger vient de l’intérieur et de la léthargie consumériste des citoyens américains, endoctrinés par les messages de la télévision, les invitations trompeuses des dirigeants, le confort anesthésiant du matérialisme roi. Carpenter n’a jamais été aussi alarmiste et revendicatif dans son discours politique : face au conditionnement culturel et économique de masse, la nécessité est à la révolte armée et anarchique. Malgré ses métaphores tractopelles, sa série B propagandiste emporterait le morceau si elle ne se montrait pas aussi dilettante à tous les niveaux : dialogues bien neuneus, délires nawaks (la baston qui dure trois plombes), trucages pourris, acteurs calamiteux au charisme d’huître.
3/6
Les aventures d’un homme invisible
Carpenter profite d’un budget plus confortable, s’inscrit dans une convention plus mainstream, et ces circonstances lui réussissent moins malgré l’excellence de ses dons de technicien. Traiter le vieux postulat de l’homme invisible sur le mode de la comédie et jongler avec les clichés inhérents à ce type d’histoires n’est pas déplaisant, mais le divertissement, de toute évidence peu personnel, se grippe régulièrement. Certes l’économie du récit et de la mise en scène conjugue habilement sophistication et simplicité, les péripéties sont amusantes et l’attention parfois relancée par une belle idée, un gag savoureux ou un méchant suave (Sam Neill, qui reprend la tradition du James Mason de
La Mort aux Trousses). Mais le film, loin d’être désagréable, n’en demeure pas moins tout à fait anecdotique.
3/6
L’antre de la folie
Nouvelle souscription à l’épouvante à la fois mentale et organique de
Prince des Ténèbres. On est souris consentante entre les pattes d’un chat maître d’un genre de plus en plus marginal et délaissé. Sur l’un des scénarios les plus vertigineux que l’auteur ait mis en images, le film organise une descente aux enfers en forme de spirale inextricable, qui s’attache à exprimer la contamination progressive de la réalité par un univers de fiction cauchemardesque. Construction impeccable d’un récit tout en mise en abyme et retours permanents (jusqu’au gouffre final), tableaux terrifiants qui prennent vie, élégance plastique de la mise en scène, intelligence d’un propos sur la création, la conscience et la folie qui se referme brutalement comme la porte d’une cellule capitonnée… : j’aime beaucoup. 5
/6
Le village des damnés
À l’inverse du film de Wolf Rilla dont il est le remake, celui de Carpenter ne fonctionne pas sur l’ambigüité inquiétante d’une apparence innocente (attribuée à l’enfance par le lieu commun) qui dissimulerait le mal. Les blondinets sont dès l’abord représentés et perçus comme un monstre collectif, une hydre à neuf têtes marchant au pas et vouée à la destruction de l’humanité. Cette nouveauté apporte une plus-value à mettre au crédit de l’entreprise, tout comme la faculté naturelle du réalisateur à rendre crédible, par l’organisation de l’espace, le réalisme des détails, la brutalité de certaines ellipses, le climat d’angoisse dont les personnages sont saisis. Pas assez pour s’enthousiasmer devant un script dénué d’attraits particuliers, qui déroule le programme sans qu’aucun enjeu esthétique ne vienne l’enrichir.
3/6
Los Angeles 2013
La suite du classique d’anticipation
destroy accuse méchamment la comparaison. D’aucunes y ont perçu un sommet de subversion dévastatrice, le politiquement incorrect élevé au rang d’art. Calmons-nous. Plissken, le desperado futuriste, a pris du ventre et le film, inutile exercice de spectaculaire glauque, est à son image. Il multiplie les gadgets et les cadavres, tandis que le talent visuel du metteur en scène s’épuise à draper d’un semblant de cohérence une accumulation d’épisodes pleins de clins d’œil sans humour. La sincérité et l’humilité avec lesquelles Carpenter réactive l’univers qu’il avait inventé incitent à la clémence, mais l’affaire reste largement déficiente, plombée par des effets zedesques souvent ridicules, et par un propos arthritique sur les angoisses suscitées par le monde de demain.
2/6
Vampires
Les héros ressemblent ici aux personnages d’un western italien, engagés dans une guerre sale et féroce où les monstres terreux ne disparaissent que traînés au soleil, après avoir été immobilisés de flèches et de pieux. Ce bon vieux serviteur du fantastique qu’est Carpenter ne pouvait pas passer à côté d’un sujet aussi fondateur que celui des vampires. Il le fait en déplaçant les motifs classiques sur un terrain ironique et démystificateur, qui tient presque de la relecture leono-peckinpahienne, très loin du gothique originel. Avec humour mais un vrai respect du genre, il délivre une nouvelle série B à teneur nihiliste, qui ne propose rien de décisif mais séduit par son iconoclasme décomplexé, ses saillies anarchistes, et par l’amertume lucide d’un auteur se sachant plus que jamais isolé au sein du système.
4/6
Mon top :
1.
The thing (1982)
2.
Halloween (1978)
3.
L’antre de la folie (1994)
4.
Starman (1984)
5.
New York 1997 (1981)
Incontestablement l’un des maîtres du fantastique et de l’angoisse pendant les années 70-80, un véritable styliste qui s’est distingué par son brio hors-pair, sa maîtrise des ambiances et des espaces, la vigueur souvent iconoclaste de son propos. Son talent et sa personnalité ont valu quelques véritables bijoux, mais cela fait hélas assez longtemps qu’on peut le considérer comme plus ou moins fini.