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Re: Rage - David Cronenberg - 1977

Publié : 3 mars 11, 12:30
par Demi-Lune
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SPOILERS. Dans cette œuvre glauque et pessimiste porté par une jolie et convaincante Marylin Chambers, David Cronenberg creuse les thématiques esquissées dans Frissons sur la transformation du corps humain, causée par des facteurs extérieurs, et les pandémies apocalyptiques. Le cinéaste fait surgir le mal d'une étrange greffe chirurgicale, qui fait transformer une victime d'accident de moto en une femme-insecte (préfiguration de La Mouche ?) se nourrissant de sang avec un dard rétractable. Ses victimes contractent alors rapidement une forme inconnue et très violente de rage, qui se répand à grande vitesse, et contre laquelle il n'existe qu'un remède : la mort. Bien avant la poche utérine externe de The Brood (portée qui elle-même résultait d'une rage ressentie) ou la main armée de Vidéodrome, Cronenberg montre ici sa fascination pour les excroissances scientifiquement aberrantes, dégénérescences d'un corps humain en mutation. Ces excroissances sont chaque fois la source d'un terrible fléau potentiellement porteur à terme de l'extinction de l'humanité. Sous l'œil de clinicien du Canadien, le corps humain est toujours vu comme une machinerie équilibrée, et toute intrusion de contingents extérieurs, qui rompent par conséquent cet équilibre, contient en elle le germe de la destruction de l'homme. C'est l'ingestion du parasite viral dans Frissons, c'est l'exposition aux ondes de Vidéodrome, c'est la fusion génétique entre l'homme et la mouche. Ici, le mal est double. D'une part le corps de Rose, pour des raisons mystérieuses, réagit organiquement à la greffe de peau et développe un aiguillon intra-dermique qui l'oblige à vampiriser d'innocentes victimes et à ne tolérer aucune autre forme d'alimentation que sanguine. D'autre part, là aussi pour des raisons mystérieuses (cela ne handicape d'ailleurs pas tellement le film, qui est plus troublant encore en ce qu'il ne donne pas d'explications scientifiques, donc rationalisantes, de ce phénomène), la morsure caudale de Rose contamine ses victimes d'une rage qu'ils vont incuber et progressivement extérioriser, sans espoir de rémission possible. Cette idée du dard est assez fascinante, car elle est porteuse d'une connotation sexuelle qui conforte l'omnisexualité évoquée dans Frissons. 20 ans avant eXistenZ, c'est en effet la femme qui pénètre, et qui exprime son besoin irrépressible par un cérémonial érotique (étreintes, caresses). En outre, le dard des insectes (comme la guêpe ou l'abeille) est une modification de l'organe de ponte. Marylin Chambers ne fait pas que prélever du sang comme le ferait un moustique, elle pond dans ses victimes une affreuse maladie, comme une mouche tsétsé. C'est d'ailleurs une fantastique passerelle avec le futur The Brood, où Samantha Eggar, bien que n'étant pas aculéate, pond elle aussi au figuré - comme l'un des personnages le dit, c'est la "Reine des abeilles". Elle est déjà une forme d'insecte, anticipant BrundleFly. Mais là encore, il ne faudrait pas voir dans Rage un film entièrement cérébral ; comme bien des Cronenberg, c'est aussi un film émouvant. Pour ceux qui douteraient encore de la "cronenbergarité" de Dead Zone, qu'il convienne de rappeler que Rage commence exactement de la même façon : un accident de la route idiot qui va irrémédiablement sceller le destin d'un couple amoureux. Le petit ami de Rose s'échine à retrouver et sauver la femme qu'il aime mais qui est déjà condamnée : en effet, chez Cronenberg, toute mutation est irréversible et mortelle. Techniquement plus abouti et plus apocalyptique encore que Frissons (le film se focalise sur la personne porteuse de la contagion qui, ironie de l'histoire, est incarnée par une actrice porno), Rage est en définitive l'un des films les plus émouvants de Cronenberg, l'histoire d'un amour brisé par la fatalité et par les mystères du corps humain. La toute fin est glaçante de désespoir.

Re: Rage (David Cronenberg - 1977)

Publié : 19 févr. 13, 07:10
par Jeremy Fox

Re: Rage (David Cronenberg - 1977)

Publié : 19 févr. 13, 10:14
par hellrick
Jolie chronique.
C'est toujours un plaisir de revoir Marylin Chambers, aussi belle que bonne actrice et c'est bien dommage qu'elle n'ait pas eu la carrière qu'elle méritait hors du X :|