Page 7 sur 8

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 09:22
par Thaddeus
Image


Walkover
Si l’on parvient à discerner quelques ébauches d’intentions dans cette déambulation existentielle, on y verra un étudiant, boxeur amateur, errer à la recherche d’un but et ne rencontrant que du vide autour de lui. Le cinéaste cherche sans doute à explorer l’univers d’une Pologne corsetée où les jeunes essaient de faire sauter quelques verrous, et à exprimer le désarroi d’une génération sans avenir dont le dénominateur commun est cet isolement qui fait de l’homme un étranger au monde. Malgré sa durée concentrée, le film procède d’une indécision permanente rendant son expérience soporifique, peu propice à quelque implication que ce soit : l’humour narquois ne prend jamais, la nervosité du filmage ne rencontre aucun achoppement, et le propos est flou jusqu’à l’évanescence. 2/6

Le départ
L’argument tient sur un confetti : comment, en l’espace de deux jours, un coiffeur passionné d’automobile va-t-il trouver l’argent pour concourir à la course de rallye à laquelle il rêve de participer ? Skolimowski a beau brancher son esthétique sur celle de la Nouvelle Vague, avec ses jump cuts, son dandysme nonchalant, son agitation burlesque et juvénile, quelque chose cloche sévèrement. Peut-être un problème de fantaisie, qui glisse trop souvent sur le terrain d’une hystérie mal canalisée. Ou bien un souci d’inconséquence, cette impression de vide persistant qui se dissimule derrière le mouvement épileptique, les raccords brusques, la gestuelle irruptive. Plus probablement, je crois que les tribulations de ce jeune immature assigné à un but dérisoire, je m’en tamponne un peu le coquillard. 3/6

Deep end
Dans une piscine de l’East Side, une jolie jeune femme, amusée du trouble qu’elle provoque chez un innocent garçon, le précipite dans une spirale de fantasmes puis d’obsession dans laquelle elle est à son tour entraînée. L’occasion pour Skolimowksi d’entamer la marche funèbre du Swinging London et d’une Angleterre encore bercée des sixties, qui s’aperçoit à peine de son état de décomposition avancée. Sa chronique du désir fou, de la frustration et du passage à l’âge adulte est un joyau dont le vernis pop s’écaille au contact de la réalité, et dont la succulente drôlerie burlesque n’enlève rien à la cruauté – jusqu’au dénouement tragique qui laisse coi. Quant à Jane Asher, avec ses minijupes fleuries et ses bottes de skaï blanches, son grand regard brun et sa flamboyante chevelure rousse, elle est… violente. 5/6
Top 10 Année 1970

Le cri du sorcier
Dans une campagne anglaise prolongée par l’évocation des colonies, l’auteur place sans difficulté les instruments du bizarre : un asile d’aliénés et son médecin-fou, une bâtisse déserte sous la pluie, un os taillé, des cailloux magiques et un cri qui tue. Plus tous les signes ruraux (animaux, végétaux, humains) du mystère. Cessant de n’être qu’un beau lieu symbolique, le Devon devient aux meilleurs moments celui de la marche, du sable sur les vêtements, d’un accord entre la carte postale, développée jusqu’à occuper tout le champ, et le corps d’un homme qui court vers le village ou la mer. Et cette parabole macabre et glacée, peut-être un peu trop habilement fabriquée, de voguer entre l’analyse du jeu continuel des parties, la démystification du charlatanisme et l’exaltation de l’antique sagesse de nos ancêtres. 4/6

Travail au noir
Londres, un monde poli et policé, clos et oppressant. Venus restaurer la maison d’un riche compatriote capitaliste, trois ouvriers bernés (tel le peuple polonais) obéissent aux ordres d’un petit chef (qui ressemble comme un frère à Jaruzelski). Lui-même est soumis à l’influence d’un puissant protecteur, son patron – l’image de l’URSS. L’allégorie est limpide, et le film manifeste de la pensée d’un apatride qui ne peut plus éluder le drame de son pays. Du labeur clandestin comme structure de survie et ascèse libératrice, le réalisateur tire paradoxalement une fable navrée sur les mécanismes de la tyrannie et de sa composante principale : le mensonge. Avec lui le cinéma politique devient ambigu, incisif et captivant : sa cruauté est celle d’une fatalité ridicule, et sa dérision grinçante une marque de lucidité. 4/6

Le bateau phare
Faut-il que meurent les pères pour que se libèrent les fils ? Et comment abolir entre eux le malentendu originel pour qu’ils se reconnaissent identiques et, peut-être, apprennent à s’aimer ? Ces questions forgent le cœur de ce huis-clos sur un rafiot immobile, scellant en quelque sorte la rencontre de Joseph Conrad et du Huston de Key Largo. Même contrarié par son ancrage solide au large des côtes de Virginie, il a les traits de l’aventure maritime. Même confiné à son espace sévèrement mesuré, il a les charmes sophistiqués d’un thriller travaillé par les enjeux de la liberté, du droit, de la soumission à la violence ou à l’autorité. Il s’organise en une succession de duels ambigus où le mal court telle une houle, où la vérité de chacun tangue jusqu’à ce que la mort signifie enfin l’accalmie, la conclusion du jeu. 4/6

Quatre nuits avec Anna
Une bourgade polonaise glauque et crasseuse, encerclée par la brume verdâtre des frustrations inassouvies. Dans ce no man’s land lugubre, un gardien mutique s’éprend d’une blonde infirmière blessée par la vie, la suit, la guette, la veille à son chevet. Skolimowski filme cette relation à sens unique comme la rencontre de la plus pure innocence et de la plus inquiétante névrose. Son héros est un inadapté qui ne parvient pas à mettre en mots ses sensations, intériorise ses pulsions et se fait piéger par le jugement réducteur d’une société incapable d’appréhender ce qui ne relève pas de la norme. Conte désespéré sur la solitude et le voyeurisme, le fantasme et l’irréductible incompréhension des altérités humaines, le film est mis en scène avec une irréalité doucereuse qui renforce son pouvoir de fascination. 5/6

Essential killing
D’un point de vue théorique, le projet est assez stimulant. Abrité au début par les canons de l’action movie, il propose une inversion de point de vue et cherche à porter toute l’empathie du spectateur sur un taliban fugitif, à endosser la lutte très physique d’un être apeuré et bestial qui n’a rien d’un guerrier. Antihéros beckettien devenu proie, privé de sa langue, de son identité, de sa patrie, l’homme survit à force de décharges d’énergie, il grimpe, glisse, tue, court et court encore dans un paysage de neige, jusqu’à l’épuisement. Le suspense se nourrit des bruits et des agressions d’une nature toujours hostile et d’une caméra intensément subjective, résumant l’existence en une fuite effrénée. Il lui manque juste l’essentiel : une âme, un cœur qui dépasseraient la litanie assez verrouillée du procédé. 4/6

EO
Une entreprise pareille, il fallait l’oser. Dans l’audacieuse fraîcheur de ses quatre-vingt-quatre ans, Skolimowski passe la trame du film de Bresson au bain d’une radicale expérimentation esthétique, d’une débauche de formes hallucinatoires, d’un emballement perceptif suscitant moult jeux de lumières, dépenses de couleurs, visions surréalistes. Nulle gratuité ne vient entacher ce plaidoyer pour la nature et la condition animale, cet étonnant coup de sabot au récit picaresque qui, à l’instar du petit âne, fuit de toutes parts et dans tous les sens, opérant ici telle échappée onirique, là telle incongruité sensorielle, pour exprimer le vertige d’absurdité et d’aliénation, le sentiment d’un espace (l’Europe décadente, en proie au tintamarre des turpitudes humaines) et d’un temps traversés par l’urgence de vivre. 5/6
Top 10 Année 2022


Mon top :

1. Deep end (1970)
2. EO (2022)
3. Quatre nuits avec Anna (2008)
4. Travail au noir (1982)
5. Le bateau phare (1985)

Artisan majeur du renouveau du cinéma polonais, né avec le dégel de la période soviétique, Jerzy Skolimowski a mené une carrière d’apatride souvent passionnante, inattendue, protéiforme, à l’image de ses apparitions incongrues comme acteur (chez Tim Burton ou David Cronenberg). Peu frileux devant les propositions inédites, ouverte aux vents de l’irrationnel, des pulsions, du psychique, de l’expérimental, son œuvre échappe à toute définition figée.

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 09:47
par Alexandre Angel
De ta liste, je n'ai pas vu 4 nuits avec Anna .

De ceux qui n'y figurent pas, celui que je connais le mieux car j'y étais retourné à sa sortie (je l'aimais beaucoup) était Le Bateau-phare.
Quant aux autres que j'ai vus, il y en a un qui ne m'a pas emballé pour des raisons similaires à celles que tu invoques concernant Essential Killing, c'est Le Cri du Sorcier, que je vais prochainement réessayer.

Haut-les-mains, Roi, Dames, Valet et Le Succès à tout prix me laissent le souvenir lointain d'une sophistication à la fois inventive et distante, diffusément hermétique mais néanmoins stimulante.
Je m'étais bien distrait aux Aventures du Brigadier Gérard, d'après Conan Doyle.

Sinon, j'ai toujours énormément aimé Travail au noir et beaucoup plus récemment pour moi : Deep end, of course.

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 09:54
par Jack Carter
Son dernier film, 11 minutes, passe ces jours çi sur Cine + Club, on peut trouver l'exercice de style vain, mais en ce qui me concerne, beaucoup aimé. Sortie technique pour ce film l'an dernier (donc tres vite disparu de l'affiche des quelques salles françaises qui l'ont projeté) qui ne le meritait pas.

Image

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 09:56
par Alexandre Angel
Jack Carter a écrit :Son dernier film, 11 minutes, passe ces jours çi sur Cine + Club
:idea: merci!

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 09:58
par Jack Carter
Alexandre Angel a écrit :
Jack Carter a écrit :Son dernier film, 11 minutes, passe ces jours çi sur Cine + Club
:idea: merci!
https://www.programme-tv.net/cinema/8164946-11-minutes/

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 10:21
par Alexandre Angel
Que des horaires de merde pour moi!
Ne reste plus que la solution replay.

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 10:21
par Jack Carter
Alexandre Angel a écrit :Que des horaires de merde pour moi!
Ne reste plus que la solution replay.
ou le dvd qui sort bientot chez Blaq Out :wink:

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 10:36
par Alexandre Angel
Jack Carter a écrit :
Alexandre Angel a écrit :Que des horaires de merde pour moi!
Ne reste plus que la solution replay.
ou le dvd qui sort bientot chez Blaq Out :wink:
mais je ne suis pas sûr de l'acheter comme ça sans le tester avant (même si je te fais confiance :mrgreen: ).

Je me précipiterais, par contre,volontiers sur un coffret bien conçu réunissant quelques films que j'ai cités et qui sont rares (je verrais bien Tamasa faire ça).

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 22 août 18, 11:34
par Chapichapo
Moi je recherche toujours "Ferdydurke" et "Roi, dame , valet".

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 23 août 18, 09:06
par manuma
Chapichapo a écrit :Moi je recherche toujours "Ferdydurke"
Pas du tout accroché à celui-là. Une farce absurde extrêmement pesante, me concernant.

Skolimowsky, ça restera toujours pour moi l’incroyablement oppressant Moonlighting, titre découvert un jeudi soir (seconde partie de soirée) sur La Une au début des années 90.

Autrement, on est visiblement peu nombreux dans ce cas, mais j'avais bien aimé Torrents of Spring (et plus encore son score original, signé Stanley Myers). Faudrait que je tente une revoyure...

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 23 août 18, 09:10
par bruce randylan
Assez décevant en effet ce 11 minutes, ça marche 30 minutes pour son côté intriguant mais la suite est de plus en plus agaçante.
manuma a écrit :
Chapichapo a écrit :Moi je recherche toujours "Ferdydurke"
Pas du tout accroché à celui-là. Une farce absurde extrêmement pesante, me concernant.
Voila, vraiment pas facile d'accès et trop incompréhensible mais le livre est réputé inadaptable.
manuma a écrit : Autrement, on est visiblement peu nombreux dans ce cas, mais j'avais bien aimé Torrents of Spring (et plus encore son score original, signé Stanley Myers). Faudrait que je tente une revoyure...
C'est justement celui qui me reste à voir/trouver (avec les aventures du Brigadier Gérard, il me semble désormais bloqué par Skolimowski qui le renie)

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 3 oct. 18, 17:52
par Jack Carter
Malavida devrait sortir Le Bateau Phare en salles l'année prochaine :)

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 9 oct. 18, 16:14
par Chapichapo
bruce randylan a écrit :Assez décevant en effet ce 11 minutes, ça marche 30 minutes pour son côté intriguant mais la suite est de plus en plus agaçante.
manuma a écrit : Pas du tout accroché à celui-là. Une farce absurde extrêmement pesante, me concernant.
Voila, vraiment pas facile d'accès et trop incompréhensible mais le livre est réputé inadaptable.
manuma a écrit : Autrement, on est visiblement peu nombreux dans ce cas, mais j'avais bien aimé Torrents of Spring (et plus encore son score original, signé Stanley Myers). Faudrait que je tente une revoyure...
C'est justement celui qui me reste à voir/trouver (avec les aventures du Brigadier Gérard, il me semble désormais bloqué par Skolimowski qui le renie)
Image
19,99$ sur amazon.com (il reste un exemplaire)

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 10 oct. 18, 13:06
par bruce randylan
Ah je n'étais pas au courant de cette sortie ! Merci.

Re: Jerzy Skolimowski

Publié : 23 nov. 18, 06:14
par Jeremy Fox