Kurosawa scénariste
Le déserteur de l'aube (Senkichi Taniguchi - 1950)
En Chine, durant la seconde guerre mondiale, une troupe japonaise rentre dans la ville où est placée leur garnison. Trois femme, employées d'un bar, reconnaissent deux prisonniers au milieu de la foule : une de leur amie et un soldat blessé. Une enquête a lieu pour découvrir pourquoi cet homme a été retenu prisonnier par l'armée chinoise et ce qu'il faisait avec cette femme.
Troisième et dernière collaboration entre Senkichi Taniguchi et Akira Kurosawa qui ne put cependant pas aller jusqu'au bout du projet. En effet, vu le sujet brûlant, la censure demanda de nombreuses ré-écritures entre 1948 et 1950 ; pris par ses réalisations qui commençaient à rencontrer du succès, Kurosawa laissa tomber le projet après la troisième version (sur 7 d'après imdb).
On sent toutefois fortement la présence de Kurosawa au scénario notamment pour sa structure "signature" où l'on fait connaissance avec les personnages indirectement par l'intermédiaire de personnages secondaires avant que des flash-backs ne détaillent plus précisément les raisons qui ont conduit à cette situation. Et bien évidement, on retrouve aussi l'humaniste du futur cinéaste.
Le déserteur de l'aube est donc un mélodrame sure fond de guerre qui se révèle un violent réquisitoire antimilitariste qui n'épargne ni la mentalité des officiers ni l'absurdité des codes de conduites imposés aux soldats qui n'assimilent vraiment à du lavage de cerveau pur et simple. L'officier de la ville ne voit donc aucun problème à considérer les hôtesses du bar comme des prostituées devant répondre à ses demandes. Il n'a aucun scrupule non plus à sacrifier ses soldats pour simplifier ses rapports à l'état-major. Quant au héros de l'histoire, il est tellement conditionné à devoir mourir sur le champ de bataille qui ne supporte pas l'idée d'être prisonnier des forces chinoises et tombe pratiquement dans la folie sous le poids du déshonneur.
Le reste des troupes n'est guère plus glorieuse avec sa galerie d'alcooliques grossiers et braillards (et débraillés).
Avec des mouvements de caméra spectaculaires et très amples et son montage dynamique, la réalisation de Taniguchi parvient admirablement à bien traduire visuellement cette décadence morale avec un excellent direction d'acteurs (et des figurants) pour des plans vivants qui savent capter les états d'âmes des personnages. Regards éteints, habits en guenilles, démarches titubantes, voix menaçantes, chansons avinées etc... Les plans d'ensemble sont à ce titre très réussis en décrivant cette population partagée entre la fatigue du conflit et les excès (forcés) de la boisson. J'avoue d'ailleurs avoir pensé à la fin des
sentiers de la gloire où là aussi les soldats poussent un fille à moitié terrorisée à pousser la chansonnette. Je ne serai pas surpris de découvrir qu'il ai vu ce film puisque
la condition de l'homme a déjà inspiré
Full Metal Jackett.
Une mise en place vraiment brillante qui pose forcément dans le spectateur dans une position instable puisqu'il ne connaît pas encore les tenants et les aboutissants de l'intrigue.
Une fois que le film lance son long flash-back central le film perd un peu de sa force à cause d'un manque d'émotion, de personnages au final conventionnels et dont les motivations semblent un peu trop artificielles, surtout le personnages féminin qui s'amourache trop facilement au héros masculin, desservi de plus par un acteur assez fade.
Quelques longueurs sont également dommageables en n'évitant pas toujours le surplace même si la réalisation reste généralement toujours soignée.
En revanche le dernier tiers est bien meilleur une fois que les amoureux se retrouvent prisonniers. Les personnages deviennent plus réalistes et donc touchants. De plus le scénario offre alors quelques séquences plus marquantes tout en ciblant plus durement ses flèches contre la pensée militariste japonaise. Les chinois n'y sont jamais montrés sous un jour néfaste ou moqueur, ils sont même au contraire presque trop idéalisés dans leur compréhension de la nature humaine.
Les 20 dernières minutes sont vraiment magnifiques avec une intensité dramatique qui n'en finit plus de grimper pour un suspens tout en lyrisme. J'aime particulièrement le responsable de la prison qui prend son temps pour déclarer l'évasion et ainsi donner une chance au couple de s'enfuir (sous l'inquiétude des gardes qui craignent les représailles). La séquences finale est encore meilleure et surprend vraiment par la maitrise de sa réalisation, la nervosité de ses travellings, son découpage saisissant, sa façon de mêler l'individu et l'environnement (très Kurosawa tout ça) et sa capacité à alterner les échelles pour jouer sur l'immensité de cette plaine désertique.
Même si on peut regretter que le film ne possède pas du début à la fin ce souffle romanesque, ce
Le déserteur de l'aube est une bien belle découverte qui étonne avant tout par la maitrise du cinéaste et par sa virulence envers l'armée japonaise.
Après l'excellent
Col de la montagne enneigée et celui-ci, je suis désormais très curieux de découvrir un jour
Jakoman et Tetsu, l'autre collaboration Kurosawa/Taniguchi dont Fukasaku a tiré un remake médiocre mais le scénario possède beaucoup de potentiel.
En parlant de remake, il semble que
Histoire d'une prostituée soit un remake du
Le déserteur de l'aube... du moins une adaption plus fidèle du roman (mais je n'ai pas encore ce Seijun Suzuki).
Le film repasse le samedi 2 Juillet à la MCJP