Nestor Almendros a écrit :SI TOUS LES GARS DU MONDE (1956)
Mon avis sur ce film n'est pas vraiment tranché. Je n'ai pas été démesurément enthousiaste à cette ambiance utopiste et ultra-positive revendiquée qui est le centre du film. Question de goût, uniquement, qui me fait relativiser la note. Pourtant, et c'est tout le paradoxe, je trouve la démarche fort louable et finalement assez efficacement amenée. D'un point de vue structurel, le scénario est plutôt malin: c'est une succession de mini-aventures, d'épisodes plus ou moins exotiques (on parcours l'Europe jusqu'au Maroc) où le suspense est à chaque fois renouvelé, où les obstacles éventuels surgissent et alimentent l'attente du spectateur. Ce n'est pas toujours passionnant, l'intérêt est parfois inégal (rarement), mais la démarche est plutôt convaincante, d'autant plus que Clouzot (le scénariste) ratisse assez large (et assez judicieusement) jusque dans les sphères politiques avec des relents de Guerre Froide. Le récit universel se teinte donc de notions très contemporaines qui ramènent l'histoire et le spectateur à réfléchir un peu sur la société qui l'entoure. Il y a même quelques allusions aux colonies françaises (notamment ce musulman héroïque: rare dans le cinéma français, surtout à l'époque il me semble).
Bon, pour le réalisme, on repassera (des tas de petits détails sonnent faux
*) et la réalisation commence en charentaises molletonnées, genre
Tintin et les oranges bleues sauf que là ce serait plutôt "
Haddock et le jambon avarié"

. Davantage un téléfilm qu'un film de cinéma, avec sa voix-off du récitant (Fresnay) et sa troupe de seconds couteaux, de ceux dont on s'est dit vingt fois "
ah oui, lui, je le connais mais ne me demandez pas son nom...".
Le début est donc gentillet, naïf et terriblement boy-scout (ou jeunesses communistes) avec en Castors Juniors (ou Pionniers) Roger Dumas et surtout Jean-Louis Trintignant, un an avant d'exploser auprès de B.B.. Seul le suspens avec le chaton et les passages avec le marin-pêcheur raciste qui a pris le mécano marocain comme tête de Turc laissent deviner la patte de Clouzot au scénario.
Ça devient plus intéressant dans sa seconde partie avec la course contre-la-montre entre les différents relayeurs. On retrouve même un petit parfum de film d'espionnage avec le radio-amateur allemand aveugle de guerre errant avec sa canne dans les rues nocturnes et désertes de Munich puis surtout avec le soldat américain qui doit traverser la porte de Brandebourg. On est loin de
Berlin-Express ou de
Verboten ! mais c'est pas trop mal (malgré, là encore le petit couplet angéliste sur la fraternité universelle avec l'Américain serrant la pogne du Soviétique et au passage une bien jolie hôtesse de l'air polonaise).
La fin redescend sur la terre du confondant (le courage du mécano marocain qui entre-temps avait accepté la main tendue de son ennemi, l'accueil triomphale des héros à Concarneau devant une foule en tenue locale...)
Je ne sais pas si il existe en DVD mais un farceur pourrait l'offrir au Noël de Bernard-Henri Lévy qui, comme chacun sait est un farouche défenseur du botulisme...
Il y a eu pas mal de films universalistes et semi-documentaires de ce type dans les années 50-60. Comme
Vingt mille lieues sur la terre, un film franco-soviétique avec Léon Zitrone se baladant en URSS.
Nestor Almendros a écrit :
Plus largement, le film m'a interpellé dans cette idée d'union des êtres. L'outil utilisé à l'époque était la radio à ondes courtes: impossible de ne pas penser à l'internet d'aujourd'hui qui réunit la terre entière (par des réseaux sociaux) et qui peut de temps en temps servir à ce genre d'utopie.
Toujours en extrapolant, j'ai trouvé le scénario reprenait presque certains codes et ingrédients des films catastrophes, quinze ans avant la vague. Certains détails m'ont même rappelé des films récents: dans un DIE HARD, le héros emprisonné se fait aider à l'extérieur à l'aide d'un téléphone.
Oui, il y a de ça. On a trop bêtement lancé le terme
mondialisation quand s'est développé Internet alors que le phénomène remonte (au moins) à plus d'un siècle avec l'invention de la TSF, puis du téléphone (des tas de films muets et des débuts du parlant firent de ces "nouvelles technologies" un accessoire essentiel voire leur principal sujet
**). Par un amusant hasard, j'ai découvert le film de Christian-Jaque en même temps que l'adaptation manga du film d'animation
Summer Wars où on voit qu'en plein bug des communications multimedia, une vieille dame ravive son ancien réseau de connaissances à l'aide d'un vieux téléphone en bakélite.
(*) Quand on prend un message d'urgence, on ne raconte pas sa vie et un radio n'écrit pas en toutes lettres "rien à signaler". Et puis c'est rare d'avoir un telle netteté d'écoute. En plus, ils se compliquent la vie. Le bâteau navigue très haut en pleine Mer du Nord (étonnamment d'huile durant tout le film), son contact est au Togo et le 3ème larron est à Paris... En 1955, il devait y avoir des milliers de radio-amateurs bien plus proches (sans compter d'autres navires). Détail plus criant : il existait depuis 1948 Saint Lys Radio, une station spécialement conçue pour les communications avec les navires en mer (je l'ai beaucoup écoutée jusqu'à son arrêt en 1998 et c'était souvent passionnant, j'ai pu suivre des opérations de sauvetage, les conversations des concurrents de la Transat et même d'envoyés d'ONG durant le conflit yougoslave et je peux vous dire que c'était très différents de ce que l'on entendait alors dans les media classiques).
(
**)
Allô Berlin, ici Paris,
Les surprises de la T.S.F., les
Mabuse, la mode des films italiens dits de "Téléphones blancs", certains Guitry et screwballs comedies...