
Nouveau compagnon de route des deux mastodontes cités page précédente, Espiritu sagrado de Chema Garcia Ibarra.
Premier film du gars, il aurait fait avant ça 2 courts.
97 minutes incroyables qui m'ont fait penser au topic "Les films sont ils trop longs" et qui a également fait écho à ma déception du Pacifiction de Serra, faisant bien pâle figure à côté du premier long métrage de son compatriote. Je me permets la comparaison car Espiritu Sagrado (L'esprit sacré) fait preuve d'un style et d'un ton, bien que l'écriture soit différente, qui m'y ont fait penser.
Une ambiance paranoïaque, un mystère/doute planant constamment, une envie d'y croire sans être vraiment certain du sens dans lequel on s'embarque jusqu'à la révélation finale, des séquences qui prennent le temps, avec une composition dans les plans travaillée (la photo n'est pas du même moule, moins en peinture que Pacifiction et plus en grain 90 d'un jetable de vacances, que j'ai également trouvé superbe, les deux font appel à une certaine nostalgie qui se reflète dans une esthétique onirique).
Sur tous ces points le film d'Ibarra m'a percuté et m'a rendu admiratif là où le film de Serra m'a surtout fait bailler sans parvenir à m'évoquer grand chose.
Il serait dommage de continuer à parler de ce film sur l'unique mode de la comparaison, mais j'ai pas pu m'empêcher de faire le lien (j'ai vu les deux dans une temporalité assez proche) et puis ça me permettra peut être d'en aguicher certain-e-s, j'aimerais franchement d'autres avis sur ce film.
J'ai été tenu en haleine tout du long, m'émerveillant à chaque minute du talent et de l'intelligence de la mise en scène avec si peu de moyens. Nombre de plans m'ont régalé (ce zoom dans le tunnel, ces cadrages lorsque plusieurs personnages sont à l'écran, les jeux de trompe l'oeil disséminés en toute subtilité), l'expression est un peu grossière mais c'est pourtant bien la bonne.
Des acteurs tous excellents et sans aucune fausse note (on se demande parfois s'il les a pas trouvé dans la rue tel quel) qui donnent corps à cette atmosphère et nous emmène dans cette quête d'une rencontre extraterrestre-divine permettant la libération spirituelle du genre humain (ouais rien que ça) en incarnant des personnages paradoxalement tout ce qu'il y a de plus palpables.
Ibarra filme avec une certaine tendresse ses personnages patibulaires, aux mines désenchantées ne demandant qu'à rêver de nouveau et dépeint une vie de quartier espagnol comme un nid d'âmes perdues, où la religion et le mysticisme ne sont qu'attrape paumés amenant les gens à se regrouper (dans des associations aux noms très comiques) pour ne pas être seul.
Tout est mis au service de ce que l'auteur veut raconter, il n'y a aucune fioriture et tout se déroule sans la moindre lourdeur.
On a l'impression parfois d'être dans du docu ou "film social" pour basculer la seconde d'après dans du Carpenter qui aurait croisé Brisseau, Almodovar et Lynch en chemin (ptai* si avec ça j'vous ai pas fait mordre). Pour ne pas être taxé de publicité mensongère je précise que j'y ai seulement pensé, je ne soutiens aucune comparaison approfondie.
Ça déborde de richesse, à la fois drôle, extrêmement sombre, touchant, avec un texte omniprésent qui nous laisse dans un éveil permanent et nous empêche de perdre une miette de ce qui se dit et se joue.
Arrive un moment de doute, une direction indiquant le chemin d'un sentiment que l'on musele d'instinct, qu'on avait pas vu venir ou plutôt pas voulu voir malgré les signaux en sourdine et qui se confirme à la fin, pour ma part, après que l'on se soit forcé à mener sa petite enquête pour être certain du drame auquel on vient d'assister.
La brûlure est vive, comme l'enfance que l'on croyait avoir retrouvé et qui s'envole sous nos yeux en toute conscience, et on prend la mesure vertigineuse de la mise en abîme à laquelle on a été spectateur.
On se rassure très vite en faisant le constat que ce film ne repose pas que sur son dénouement, Espiritu sagrado n'a pas la vulgarité du film à twist qui se dégonfle aussitôt l'artifice mis à nu, il brille par tous ses aspects, toute sa mise en place, et tout ce qu'il dit de beau caché dans le laid.
Certains diront sûrement "film de petit malin", si c'est ça j'en reprends volontiers.
9/10