Le grand Bill (Along Came Jones, 1945) de Stuart Heisler
INTERNATIONAL PICTURES
Sortie USA : 19 juillet 1945
L’année 1945 avait débuté par deux films considérés peut-être un peu rapidement comme faisant partie du genre qui nous préoccupe et qui durent sacrément décevoir les attentes des amateurs. Tout d’abord Universal nous conta
Les Amours de Salomé (
Salomé, where she Danced) ; ce film de Charles Lamont est devenu culte pour certains à cause de son scénario oh combien rocambolesque, ballotant le spectateur du Far-West à Vienne en passant par San Francisco et la Prusse, lui faisant assister à l’attaque d’une jonque chinoise, à un duel à l’épée ou à des danses lascives style mille et une nuits. Malheureusement la mise en scène et l’interprétation ne suivaient pas le mouvement et Miss De Carlo était une bien piètre danseuse, ce qui pour une Salomé ne faisait franchement pas très sérieux. Suite à ce semi-ratage, la compagnie Republic sortit à son tour dans les salles obscures l’un de ses films pour lequel elle dépensa le plus gros budget de son histoire et qui fut un phénoménal succès, le pourtant bien médiocre
La Belle de San Francisco (
The Flame of Barbary Coast) de Joseph Kane avec un John Wayne bien embarrassé au milieu de ce scénario insipide et de ce film sans rythme ; et puis hormis le fait que l’acteur interprète un personnage de cow-Boy, le film n’avait rien non plus d’un western.
Il fallut attendre mi-juillet pour voir débouler sur les écrans ce qui semblait devoir être un véritable western ‘de prestige’ avec tous les ingrédients propre au genre (époque, lieux, costumes, décors, action). Ceux pour qui l’humour et la comédie ont toujours semblé ne pas faire bon ménage avec le western se sont probablement une nouvelle fois mordus les doigts de désappointement. Il y eut bien déjà précédemment l’excellent
Femme ou Démon (
Destry Rides Again) ou le désopilant
Chercheurs d’or (
Go West), ce dernier avec les Marx Brothers, mais, malgré son grand talent pour la comédie, on ne s’attendait pas à ce que Gary Cooper, pour sa première production, apparaisse dans la peau d’un ‘pied-tendre’ couard et nullissime au tir au pistolet ne sachant pas même dégainer correctement ! Le premier scénario d’Alan Le May avait été celui de
Les Tuniques Ecarlates (
North West Mounted Police) de Cecil B. DeMille ; c’est le scénariste qui, au vu des dons comiques de Gary Cooper en dehors de la pure comédie, lui écrira le divertissant Along Came Jones que voici, l’une des parodies de western les plus amusantes qui soit, une des rares incursions réussies de la comédie parodique légère dans le western. Cette réussite, on la doit autant à Nunnally Johnson, déjà auteur entre autres des scénarios de
Jesse James de Henry King ou des
Raisins de la Colère de John Ford, à l’efficacité du réalisateur Stuart Heisler qui venait tout juste de se faire remarquer avec son film noir
La Clé de Verre (
The Glass Key) mettant en scène le couple Alan Ladd/Veronica Lake ainsi qu’à l’interprétation d’ensemble. Car l’histoire en elle-même, certes assez cocasse, ne vient en rien bouleverser l’histoire du western.

Paynesville, petite ville perdue au fin fond de l’Ouest américain et dans laquelle nos deux ‘héros’, les palefreniers Melody Jones (Gary Cooper) et George Fury (William Demarest), viennent d’atterrir par erreur après s’être rendus compte avoir pris la mauvaise direction quelques 800 kilomètres en arrière ! Une forte récompense de 1.000 dollars est offerte pour la capture de Monte Jarrad (Dan Duryea) qui vient d’attaquer une diligence et voler tout son contenu dont la paie de l’armée. La selle de Melody portant ses initiales en grosses lettres bien visibles, les habitants le prennent pour l’inquiétant hors-la-loi. Melody que l’on a toujours considéré comme un moins que rien s’en étonne puis finit par s’en amuser ; le tout est qu’il ne soit pas amené à montrer son inhabileté totale dans le maniement des armes à feu ou encore sa couardise légendaire. Son partenaire, qui n’a pas inventé la poudre, ressemble lui aussi étrangement à la description du complice de Monte Jarrad. Pour la prime, on tente de les abattre mais au moment où nos deux compères qui comprennent qu’être pris pour des ‘héros’ n’est pas sans danger décident de dévoiler la supercherie, Cherry de Longpre (Loretta Young) leur sauve la vie tout en continuant à faire croire à la populace qu’ils sont ceux que l’on soupçonne être ; tout cela pour protéger le véritable Monte qu’elle aime depuis l’enfance mais dont elle commence à se détacher trouvant son caractère avoir trop penché du mauvais côté. Elle lance donc tout le monde sur une fausse piste pour pouvoir soigner son amant blessé. Melody et George se voient donc poursuivis par non moins que cinq groupes : le Posse initié par le shérif, une armada familiale souhaitant venger le meurtre par Monte d’un de leur clan, le détective de la compagnie de diligence qui vient d’être dévalisé, les militaires voulant récupérer leurs salaires et non moins que Monte Jarrad jaloux d’avoir appris que Melody a dormi dans la chambre, voire même dans le lit, de sa petite amie. Autant dire qu’ils sont loin d’être sortis de l’auberge…

On imagine la loufoquerie de la situation et effectivement on s’amuse beaucoup tout comme Gary Cooper qui semble avoir pris un plaisir fou à se ridiculiser par la seule force de sa démarche et de ses mimiques et expressions ; il faut avoir vu ce grand dadais naïf s’essuyer la bouche d’un grand revers de main avant de se jeter sur les lèvres de Loretta Young, se prendre la tête dans les sommets de portes, dégainer son revolver avec une maladresse jubilatoire, commencer à chanter une chanson au 180 couplets au grand désespoir de son compère qui lui, ne brille pas par son intelligence (grand numéro également de William Demarest, l’un des acteurs de prédilection du grand Preston Sturges)… On lui savait un talent de clown de par ses innombrables prestations précédentes y compris dans le western (ceux de DeMille ou
The Westerner de William Wyler) mais on ne s’attendait certes pas à ce genre de personnage drôle et benêt ; la surprise est bougrement plaisante et le couple qu’il forme avec Loretta Young se révèle à la fois pittoresque et convainquant.

Hormis les deux amis 'cow-boys', étonnement, tous les personnages qui gravitent autour sont joués avec un grand sérieux ce qui empêche le film de sombrer dans une trop grande lourdeur et ce qui permet de le suivre sans se lasser. Loretta Young est séduisante, parfois assez touchante (lorsqu’elle se rend compte que son amoureux de jeunesse ne lui plaît plus), possède des yeux superbes (on comprend que Gary Cooper tombe sous le charme dès la première seconde), s’en sort remarquablement bien et il est assez jouissif de la voir se servir d’une carabine ; quant à Dan Duryea, il interprète le premier d’une interminable galerie de Bad Guy menaçant comme s’il s’agissait d’un film très sérieux. Le contraste est assez étonnant et le duel final en devient tendu et plein de suspense alors qu’on aurait pensé le voir se transformer en ultime bouffonnerie.

Alors certes, le rythme est parfois languissant surtout en sa partie centrale, l’histoire ne s’avère pas franchement originale et l'intérêt retombe à quelques reprises, les transparences lors des scènes à cheval sont parmi les plus ratées jamais vues au cinéma (mais finalement elles participent involontairement au climat décontracté du film) mais l’ensemble est fichtrement agréable d’autant que les dialogues ne manquent pas de piquant (le remerciement réciproque après le premier baiser est une idée de génie ; si non, en tout cas elle se révèle hilarante ! ). Et puis comment ne pas trouver sympathique un film qui dans son final fait voir Gary Cooper entonner la chanson ‘
I’m a Poor Lonesome Cow-boy…’ rendue par la suite célèbre par la bande dessinée de Morris ; en y pensant, il y a effectivement un peu de Lucky Luke dans ce western humoristique du très bon réalisateur de série B que va devenir Stuart Heisler. Le sens de la mise en scène de ce dernier est d’ailleurs déjà visible dès la séquence initiale de l’attaque de la diligence très bien rythmée et montée. Il fera preuve à d’autres occasions en cours de film d’une belle efficacité pour les scènes d’actions nocturnes. Gary Cooper, Loretta Young, Nunnally Johnson, Stuart Heisler, un quarté gagnant à défaut d'être mémorable ! Quand les stars du western (après John Wayne et Randolph Scott) s'amusent de l'image stéréotypée qu'on leur donne, le spectateur en redemande.