Novembre, on était novembre et nous n’avions jamais été si proche de Nöel.
Peut être que je vais écrire un post, j’ai pensé.
Et c’est ce que j’ai fait.
Le Posteur, Murphy – Edition Les carnets bleus à spirale
Ce soir, je ne regarderai pas
LA VERITE.
Nous nous rapprochions de Noël et ma chronique « Clouzot, Sterling, c’est les mêmes ! » n’en était qu’à ses balbutiements. Le somptueux coffret encyclopédique du film noir américain 1912-1960 chez l’éditeur Sydonis Calista était toujours en vitrine au prix excessif de 300 € au Gilbert de Ploucville. J’avais bien essayé de négocier avec le vendeur mais, celui-ci après, avoir scanné le code-barre, refusa. Il ne lui en restait qu’un et il ne voulait pas le brader. Depuis, je passais tous les jours devant en rentrant du travail et craignais qu’un autre client me le prenne.
Je devais vendre ma chronique à DVD Classik. Je n’avais pas de plan B. Je demanderai 500 €. J’avais augmenté ma demande initiale de 200 € une nuit d'insomnie. Comme j’avais arrêté de multiplier les heures sup’ pour me concentrer sur mon article, j’avais profité de ce temps libre pour monter une fondation, certes modeste mais prometteuse, de conservation du patrimoine musical. Ambitieux projet mais couteux, le trésorier Ed était venu le jour de l’inauguration, avait mangé tous les petits fours et était reparti avec toutes les cotisations. Depuis, je n’avais aucune nouvelle.
Cette chronique était ma bouée de sauvetage. J’avais changé le titre plusieurs fois et choisi cette accroche provoquante. J’hésitais toutefois par le nombre de points d’exclamation. Fallait-il choisir un ou trois points d’exclamation ? Clouzot, Sterling, c’est les mêmes ! Clouzot, Sterling, c’est les mêmes ! ! ! J’hésitais également à rajouter un smiley "maléfique" au point d’exclamation.
J’avais vu à peu près tous les films de Clouzot et à peu près tous les épisodes de La Quatrième Dimension et toutes ces séances renforçaient mon intuition. Il s’agissait là du plus grand canular de l’histoire du Cinéma. Mais je n’avais toujours pas vu LA VERITE. J’avais acheté le coffret « Clouzot - l’Essentiel » chez Wonder Cash (*1) à 17,99 € pensant qu’il contenait « la vérité ». Mais non, c’était le seul qui n’y était pas. J’aurai pu vérifier au verso la liste des films mais le magasin avait collé leur putain d’étiquette de merde dessus. Les étiquettes de Wonder Cash, c’est vraiment l’enfer sur terre. Il fallait y aller plus qu’à reculons pour pas arracher tout le packaging. J’avais mis une soirée entière pour l’enlever proprement. J’aurai pu demander conseil à Claude Le Vendeur mais il était déjà occupé avec un client d’une vingtaine d’années qui recherchait des « vieux films ». Il était reparti avec un Gremlins et un SOS Fantôme.
Je commandais donc La VERITE sur Amazon. Il me fallait voir ce film pour étoffer ma chronique. Je voulais également rajouter à ma commande le roman d’Albert t’Serstevens dont Monsieur Busnel, le directeur du Prisunic, m’avait gentiment photocopié la fiche de lecture qu’il avait acheté à Poet77. Mais Amazon ne le vendait qu’en neuf et je le voulais en occasion. Monsieur Busnel m’avait conseillé :
-Vous comprenez, Monsieur Murphy. Si vous allez au café « les yeux du chat » avec votre livre encore sous blister, Tam la serveuse comprendra bien que vous n’y avez jamais touché. Non, ce qu’il faut, c’est que vous l’achetiez chez Momox. Eux au moins, ils envoient toujours les bouquins dans un état dégueulasse.
Ce Monsieur Busnel était vraiment sympathique. Je suivais donc son conseil et mit une alerte sur Momox pour guetter la disponibilité du livre. Pour le Clouzot, je choisis la livraison au Grand Relais Distributeur Automatique installé depuis peu en face de la Médiathèque.
Le Tabac Relais Colis de Marc et Sophie était fermé depuis que Marc était en prison. Sophie avait profité que ses jumelles dormaient à la maison pour aller faire les courses au Prisunic et elle n’était jamais revenue. Naturellement, après sa disparation, tout le monde avait appelé l’Hôpital Saint-Jacques pour surveiller les entrées d’accidentés de la route mais sans succès. Heureusement, Quentin Le Gendarme, chargé de l’enquête, avait vu tous les Columbo sur TCM.
« Il trouve toujours le coupable dès le début de l’épisode » m’avait dit Tam impressionnée qui continuait à passer toutes ces soirées avec lui. Je cachais ma jalousie mais j'avais très envie de pleurer. Quentin Le Gendarme avait mis en examen et écroué Marc dès le début de l’enquête.
- Elle est toujours avec son mari à leur Tabac Relais Colis, chez elle avec ses jumelles ou au Prisunic, m’expliquait-il.
Je ne vais quand même pas convoquer à la gendarmerie ses jumelles ou le directeur du supermarché. Déjà, ses jumelles, elles étaient à la maison, elles dormaient…
- Et Monsieur Busnel, il est tellement sympathique cet homme, approuvai-je.
J’avais reçu un SMS d’Amazon que mon colis était arrivé. Je ne m’attardais pas et je pris le chemin du Relais Distributeur Automatique. Je pris à nouveau les escaliers, l’ascenseur était toujours en panne depuis que Charles Le Postier avait vomi devant le hall. Il s’était écroulé contre les portes de l’ascenseur et son poids imposant avait tout bousillé. Cette histoire avait fortement contrarié ma concierge Madame Kondo. A raison. Elle avait dû nettoyé tout le hall lorsque que Charles Le Postier avait vomi partout avant son coma éthylique. Heureusement, Charles Le Postier était actuellement désormais en procédure de licenciement. Je croisais justement Mme Kondo dans le hall. Elle était en train de refaire les étiquettes des boites aux lettres dans le hall. Les résidents faisaient vraiment n’importe quoi. Des écritures tout en majuscules, d’autres tout en minuscules, des noms avant le prénom… Certains même collaient l’étiquette de leur nom au-dessous de la fente à courrier au lieu d’au-dessus. D'autres ne collaient même pas leur étiquette. Mme Kondo me félicita. J’étais le seul résident à avoir fait mon étiquette correctement. J’aimais beaucoup cette dame. Elle m’expliqua que Claude Moine, mon voisin, déménageait en Floride. Il avait touché le gros lot lui avait-il dit. Je n’étais pas mécontent de le voir partir, enfin il ne volerait plus mes DVD. J’avais beaucoup vu ces derniers jours Monsieur Busnel se rendre chez lui rapporter son courrier arrivé dans la boite sa boite, des enveloppes marrons sans adresse. François le (nouveau) Facteur est chelou, pensais je, mais si les gens ne se donnent plus la peine d'écrire les adresses, ça n’aide pas non plus. Monsieur Busnel était tout de même très sympathique de lui rapporter son courrier égaré.
Devant l’entrée de l’immeuble, je croisais Syllia, la grande sœur de Tam. Elle photographiait le digicode de l’immeuble. Elle m’avait expliqué qu’elle préparait une grande exposition de photographies de digicode. Elle était, comme feu son père, une artiste contemporaine. Je n’osais lui demander si ses photos étaient aussi moches que le tableau de son père dans leur café, le même qui se trouvait dans le salon de Monsieur Busnel. J’avais trop peur qu’elle répète à Tam.
Je la laissais à ses activités artistiques et je rejoignis le Grand Relais Distributeur Automatique. En route, je passais derrière le Prisunic et je vis le vieux Monsieur Brion en train de mettre à sac toutes les poubelles du supermarché. Je le trouvais de plus en plus antipathique ce Monsieur Brion. Il avait plein les bras des yaourts au citron vert périmés et des surgelés décongelés, tandis que sa petite chienne Baby Jane, toute poussiéreuse, identique à celle de la pub Swiffer ingurgitait un steak haché avarié. J’intervenais :
- Monsieur Brion ! Non mais ça va pas la tête ? Vous allez arrêter de mettre le souk dans les poubelles de Monsieur Busnel ? Ce n’est pas à vous tout ça ! C’est à Monsieur Busnel ! Et votre chienne là ? Elle a quoi ? Qu’est t’il arrivé à Baby Jane ?
-
« Qu’est t’il arrivé à Baby Jane » a été tourné par Robert Aldrich en 1952. Avec Bette Davis et Joan Crawford à la distribu… me répondit il alors que mon téléphone se mit subitement à diffuser une musique douce avec des violons.
Heureusement, Monsieur Busnel avait déjà repéré Monsieur Brion rôder autour des poubelles grâce à ses caméras de surveillance et il avait missionné Pascal Le Grand Vigile pour solutionner le problème. Pascal Le Grand Vigile chassa le vieux monsieur en lui envoyant des conserves d’haricot vert en plein dans la tronche.
Je ne m’attardais pas devant Pascal Le Grand Vigile et je me rendis directement au Grand Relais Distributeur Automatique. La grande armoire jaune en ferraille était très imposante et j’étais impressionné. Marc et Sophie m’en avaient souvent parlé mais ce fut un choc. Des tiroirs, des casiers… partout, de toutes les tailles… Une voix féminine et métallique me demanda les infos administratives courantes (nom, adresse, n° de sécurité sociale, profession des parents…) et m’informa que mon colis était dans le tiroir B4. Le Tiroir B4 était fermé. J’attendis. Le tiroir B4 ne s’ouvrait pas. Je tirais sur la poignée du tiroir B4. Le Tiroir B4 ne s’ouvrait toujours pas. Je tirais sur la poignée du tiroir B4 de toutes mes forces. Je dis à La Voix Féminine & Métallique que le tiroir B4 ne s’ouvrait pas. La Voix Féminine & Métallique me répondit que mon colis se trouvait dans Le Tiroir B4. Le Tiroir B4 ne s’ouvrit pas. Le DVD du Clouzot resta dans Le Tiroir B4.
Je rentrai chez moi et je commençais à douter.
Certes, Claude Moine déménageait, il ne me volerait plus mes DVD, mais comment pourrais-je écrire ma chronique « Clouzot, Sterling, c’est les mêmes ! » sans ne pas avoir vu tous les films du réalisateur si La Voix Féminine & Métallique prenait sa succession ? Comment pourrai-je obtenir alors de DVD Classik mes 500 € pour m’offrir à Noël ce somptueux coffret encyclopédique du film noir américain 1912-1960 chez l’éditeur Sydonis Calista à 300 € en vitrine au Gilbert de Ploucville ? Comment allais-je pouvoir financer ma fondation, certes ambitieuse mais couteuse, de conservation du patrimoine musical ?
Comment Tam la serveuse pourrait-elle m’aimer si je ne recevais pas d'alerte Momox et qu'elle ne me voyait pas en train de faire semblant de lire dans son café le roman d’Albert t’Serstevens en état d’occasion et si elle trainait tout le temps avec Quentin Le Gendarme ?
A la télé, la speakerine annonça pour la soirée la diffusion du dernier épisode de Plus Belle La Vie et je me mis à pleurer.
Demain, je regarde « Her » de Spike Jonze.
- Bon film, me dit La Voix Féminine & Métallique
(*1 : rediffusion)