Arn a écrit : ↑15 janv. 22, 22:04
La découverte du film est évidemment un grand moment, mais ça ne m'étonnerait pas qu'on l'apprécie encore davantage, plus pleinement, lors des revisionnages.
Alors ça, tu pourras le vérifier tranquillou devant ta télé pas plus tard que lundi soir sur Arte (sauf déprogrammation et hommage de dernière minute, vu que ça tombe comme des mouches ces temps-ci).
Ah merci, ça aurait été l'occasion (quoique j'ai du mal à m'aligner sur les horaires de diffusion tv) mais pas dispo lundi.
Ce sera pour février le temps que l'édition 4K UK simple sorte.
Petite question sur le coffret 4K. Celui dont la couverture "hopperienne" si décriée dégage pourtant un spleen que je trouve tout à fait approprié au film.
Quelqu'un peut-il m'en dire un peu plus sur le livret que je crois être fourni avec (sujet, longueur, pertinence) ? C'est lui qui pourrait me faire sauter le pas d'un éventuel achat...
Thaddeus a écrit : ↑16 avr. 22, 19:52
Petite question sur le coffret 4K. Celui dont la couverture "hopperienne" si décriée dégage pourtant un spleen que je trouve tout à fait approprié au film.
Quelqu'un peut-il m'en dire un peu plus sur le livret que je crois être fourni avec (sujet, longueur, pertinence) ? C'est lui qui pourrait me faire sauter le pas d'un éventuel achat...
Pour un très fin connaisseur du film comme toi, je gage que ce court livret n'apportera pas grand-chose. Il fait une trentaine de pages (avec évidemment certaines entièrement occupées par l'iconographie) et s'articule autour de deux articles ("Où suis-je? Réflexions sur Mulholland Drive" par David Jenkins, "Genre, identité et rêves brisés: les femmes de Mulholland Drive" par Anna Smith, et une notice sur la restauration) pas super intéressants à mon goût car sacrifiant à la description davantage qu'à l'analyse, en tout cas beaucoup trop succincts au regard de la richesse interprétative du film. Ça fait vraiment gadget tout rachitique, parce qu'il fallait justifier le prix du machin. Je me souviens avec émotion, il y a bien longtemps, du livret qui accompagnait l'édition collector dvd Mk2 de Lost highway (celle qui s'ouvrait bizarrement par le haut, comme un paquet de céréales Nestlé) et ses 80 pages absolument passionnantes qui fonctionnaient, si je me souviens bien, comme un abécédaire du labyrinthe lynchien, ouvrant des tas de pistes de réflexion qui rendaient encore plus fou... C'était une autre époque.
Par contre, si tu aimes l'illustration à la Hopper qui fait office de couverture du coffret, sache qu'il y en a une reproduction en format mini poster à l'intérieur.
Ok, merci pour ta réponse, Demi-Lune. 30 € d'économisés, donc.
Je me souviens également du coffret Lost Highway et de son généreux livret rédigé par Guy Astic. C'est un film pour lequel je nourris aujourd'hui de sérieuses réserves (je n'y trouve pas l'émotion et l'humanité que recèlent les plus belles réussites de l'auteur, Elephant Man, Une Histoire Vraie, Mulholland Drive) mais les pistes, notules et réflexions égrenées au fil des pages de ce supplément étaient en effet passionnantes.
~ EDIT 1 ~
C’est comme l’aboutissement d’une chasse au trésor qui s’est prolongée sur plus de vingt ans. Le temps qu’il m’a fallu pour retrouver, après des recherches inlassables et quasi désespérées, la vidéo d’une émission TV qui m’avait subjugué lors de sa diffusion. Petite contextualisation. On est le 17 mai 2001, en plein Festival de Cannes. Isabelle Giordano (grande admiratrice autoproclamée de David Lynch) et Philippe Vecchi reçoivent sur le plateau de Nulle Part Ailleurs Cinéma les deux sirènes qui enflamment Mulholland Drive, dont la projection la veille au soir a fait l’effet d’une bombe. Elles sont superbes, charismatiques, resplendissantes. Face à ces affolantes apparitions, Giordano chambre le pauvre Vecchi, lequel n’en peut plus (on le comprend…), sous le regard amusé et un brin taquin des invitées. Cette émission avait provoqué un énorme crush chez le jeune cinéphile que j'étais, et instantanément érigé Naomi Watts et Laura Harring au rang d'icônes sexy à mes yeux. Bien évidemment, la vidéo n’est rien d’autre qu’une interview promotionnelle, et tout le monde se demandera évidemment ce qu’on peut lui trouver de si remarquable. A cette interrogation, je répondrai d'un humble "vous ne pouvez pas comprendre". Et aux quelques fans fondus comme moi, je m’excuse pour la qualité plus que médiocre de la prise de vue. À la fin, un petit supplément.
Nous l’avons cherchée en vain des années durant, guettant le moindre film américain, la moindre série Z diffusée au cœur de la nuit. Impossible de retrouver sa trace. S’appelait-elle même «Laura Harring» ? En réalité, elle se présentait sous différents noms au gré des tournages : Laura Herring, Laura Elena Harring, ou Laura Martinez Harring. Comble de l’ironie pour celle que nous avons découverte comme «la femme sans nom» ou «the girl» dans Mulholland Drive, ce thriller de 2001 de David Lynch dont les images continuent à nous hanter : flashs de lumière dans la nuit noire, musique hypnotique, rythme saccadé, et ce mot chuchoté en boucle d’une voix d’outre-tombe «silen… cio». Ces deux comédiennes surtout, la brune (Rita-Laura Harring) et la blonde (Diane-Naomi Watts), obsédantes, corps entremêlés sur le canapé : oui, bien plus que la satire de cette obsession de la réussite qu’est Hollywood, où les starlettes sont brûlées par la lumière et la voracité des hommes, où «tout n’est qu’illusion», c’est l’image de ce duo qui nous reste, l’innocence et la noirceur, le pur et l’impur, l’eau et le feu, ces deux femmes contraires qui finissent par ne plus faire qu’une, mais celle-ci, qui est-elle, où va-t-elle et pourquoi ? Est-elle plutôt Diane, la chasseresse, ou Rita, la cause perdue ?
Combien de fois avons-nous rêvé de prendre la place de Diane sur ce canapé à la couleur passée, de nous accroupir aux pieds de Rita et de remonter lentement, du bout des lèvres et des doigts, le long de ce corps plein à la blancheur laiteuse, finir ventre contre ventre, guetter palpitations et frissons, plonger au creux d’une gorge qu’on imagine brûlante et douce avant d’attraper d’abord délicatement, puis de plus en plus goulûment cette bouche rouge tel un bonbon interdit à rouler sous la langue. Cette scène, nous nous la sommes repassée en boucle, difficile de trouver plus sensuel au cinéma, même le mythique baiser de Faye Dunaway et Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison ne l’égale pas. Et encore, ce n’est rien à côté de la scène du lit peu après, cette fois, c’est Rita qui prend le lead, et Diane qui se laisse déguster, dévorer dans un corps-à-corps d’une sexualité brute.
Mais revenons au commencement, à la scène inaugurale de Mulholland Drive. Une femme fatale moulée de noir et bouche carmin est embarquée par deux hommes de main dans une limousine qui roule, tous phares allumés dans la nuit noire sur les routes sinueuses surplombant Los Angeles. Scène de thriller qui évoque L.A. Confidential (1997) de Curtis Hanson, d’après le roman noir de James Ellroy, Rita-Laura Harring ressemblant en brune à Lynn-Kim Basinger : on baigne dans la même ambiance de mafieux, la «Cité des anges» livrée aux truands des années 50 quand les femmes n’étaient bonnes qu’à servir d’appâts. Dans cette limousine, donc, l’un des deux hommes assis à l’avant se retourne, arme à la main, pour supprimer la brune incendiaire, quand une voiture arrivant en sens inverse percute la limo, tuant sur le coup les deux hommes et sauvant «the girl» qui va sombrer en plein cauchemar, errant sans mémoire entre Mulholland Drive et Sunset Boulevard, jusqu’à sa rencontre avec Diane et son collier de perles. La femme sans nom est bien sans nom. Elle choisira celui de Rita quand, interrogée sur son identité après l’accident, son regard tombera sur une affiche de cinéma où figure en grand celui de Rita Hayworth.
L’avantage d’errer entre rêve, cauchemar et réalité, c’est que tout est permis. Il n’y a plus ni tabou ni interdit, seul compte le désir, désir d’en sortir ou au contraire de prolonger cet entre-deux cotonneux qui nous sort du temps et de l’espace. Comme ce soir des années 2010 où, arrivée broyée par un interminable voyage depuis Paris, dans une chambre d’hôtel surplombant les lumières de Los Angeles notre regard est tombé sur cette phrase inscrite sur la fenêtre : «No matter where you go, here you are.» Mulholland Drive est de ces rêves ou cauchemars qui vous bousculent sans que l’on en comprenne bien la raison. L’atmosphère bien sûr, images léchées, décor esthétisé, ambiance hard-boiled des années 50, truffée de références aux romans noirs de l’après-guerre, on se croirait dans The Long Goodbye (1953) de Raymond Chandler dont la première phrase donne le ton : «La première fois que je vis Terry Lennox, il était fin soûl dans une Rolls-Royce Silver Wraith devant la terrasse des Dancers.» La femme fatale en est l’un des principaux ingrédients et d’ailleurs, dans le roman de Chandler elle apparaît dès le deuxième paragraphe : «Une fille était assise à côté de lui : chevelure d’un magnifique blond vénitien, sourire vague aux lèvres et, sur les épaules, un vison bleu si prestigieux que, près de lui, la Rolls n’avait plus l’air que d’un quelconque tacot de série.»
C’est là, la force de Mulholland Drive. D’objet, la femme fatale devient sujet, elle vaut bien plus que ça. Cela nous rappelle ce texte écrit par Marlène Dietrich en 1931 dans la revue Pour vous, titré «Il n’y a pas de femme fatale» : «Qu’entend-on par une vamp ? S’agit-il d’un mythe fantastique qui appartiendrait au monde imaginaire créé par les films ? Ou d’un être parfaitement réel doué des mêmes propriétés que nous ? En ce qui me concerne, je crois que la femme vampire à l’ancienne mode n’aura été, en définitive, qu’une illusion ou même un attrape-nigaud. S’imagine-t-on encore qu’il fut un temps où il suffisait à une femme de porter une longue robe de satin, noire et sinueuse, fendue sur le côté, pour se voir immédiatement désignée comme un vampire prêt à réduire à néant tous les représentants disponibles du sexe fort ? […]. Qu’il s’agisse d’une vamp ou non, ce qui importe dans une création, c’est de rester fidèle à la vie.» Fidèle à la vie, oui, telle Ava Gardner dans La Nuit de l’iguane (1964) de John Huston, autre film culte, femme fatale devenue sujet de sa propre vie, incarnation du désir, un désir désespéré, car bientôt elle ne séduira plus, déjà elle doit payer pour entraîner de jeunes éphèbes dans les vagues du Pacifique.
Mais nous nous égarons, revenons à Mulholland Drive qui, originellement, était une idée de série télé, un simple pilote pour la chaîne ABC. En octobre 2010, au patron de la Cinémathèque Serge Toubiana, David Lynch a raconté comment lui était venue l’idée du film : «Je me suis assis, je me suis représenté un collier de perles, et toutes mes idées sont arrivées.» Précisons que le réalisateur américain est un adepte de la méditation transcendantale. Après Mulholland Drive, Naomi Watts est devenue une star, mais Laura Harring a disparu, ou presque, elle a continué à tourner, mais sans véritablement percer, engloutie par ce labyrinthe hermétique qu’est le Los Angeles de David Lynch. De père allemand et de mère mexicaine, elle a été la première hispanique à décrocher le titre de Miss USA, en 1985, avant d’épouser deux ans plus tard le comte Von Bismarck-Schönhausen dont elle gardera le titre après son divorce. Dans le film de David Lynch, un plan rapide montre un poteau de L.A. sur lequel est inscrit : «Hollywood is Hell» («Hollywood, c’est l’enfer»).
Dernière modification par Thaddeus le 23 janv. 25, 17:31, modifié 8 fois.
Un grain discret mais bien présent. Très beau , très bien, pas cher puisque 10 balles actuellement. (2=3)
Achetez.
Demi-Lune a écrit : ↑14 oct. 21, 15:27Ah par contre je suis affirmatif, monfilm = primus.
Je suis également Julien, Soleilvert, Nicolas Brulebois, Riqueunee, Boris le hachoir, Francis Moury, Yap, Bob Harris, Sergius Karamzin ... et tous les "invités" pas assez bien pour vous
Pour alimenter ma monomanie, je poste ici ce joli petit texte publié il y a deux ou trois ans sur le site des Inrockuptibles (qui ont toujours un certain sens de l'iconographie avec ce film) :
« À ce jour, l’un des plus beaux films au monde est aussi, par chance, la plus belle histoire d’amour entre deux femmes. Mulholland Drive ou le film par excellence du slow-burn lesbien, de la dévoration lente. S’il faut se mettre d’accord au moins sur une chose concernant un film où la multitude des discours adore s’égarer avec la clé (et le trousseau), c’est sur sa parfaite linéarité de drame amoureux. Début, milieu, fin : le trouble fou, la déclaration d’amour de Betty à Rita, charnelle et chuchotée dans la volupté obscure d’un baiser, enfin le dernier acte de la tragédie, l’amour trahi et la mort au long surplomb. Grand mélodrame tragique, Mulholland Drive est en quelque façon le Vertigo des temps modernes, un film dans lequel l’énigme est passée corps et biens du côté de qui regarde jusqu’au vertige : le voyeur n’est plus Scottie-Stewart mais, de l’autre côté du rideau, le spectateur lui-même, les spectatrices elles-mêmes, Betty, Rita, emprisonnées dans le grand mystère – de l’amour des femmes. Lynch a signé là son "film-émotion" (emotion picture, genre lynchien en soi) le plus violemment épris et lyrique. Betty et Rita se cramponnent l’une à l’autre, en boucle et pour toujours. "Silencio" résonne de l’écho murmuré : "I’m in love you." » Camille Nevers aka Sandrine Rinaldi
Et dans le même genre, cet aveu constitue un bien bel hommage.
Thaddeus a écrit : ↑15 janv. 22, 19:40
Comme Arn, j'ai profité de la programmation UGC Culte pour le revoir (une énième fois) sur grand écran. Et toujours l'envoûtement intégral, l'émotion absolue, l'empathie totale avec cette histoire, ces sentiments, ce destin, cette héroïne. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi tant de spectateurs le perçoivent d’abord comme un film cérébral, un exercice intellectuel, tant il joue quasi exclusivement sur le plan de l’émotion, tant il est chargé de chair et d’affects, tant il exhale par tous ses pores l’allégresse, le désir, le merveilleux, le danger, la griserie, l’érotisme du rêve et l’angoisse du cauchemar. Le pouvoir d'attraction du mystère, la mythologie du cinéma saisie en son essence (ce fabuleux travelling arrière sur le casting chanté playback, très 50's, qui saisit en enfilade et dans une cascade de couleurs chatoyantes l'actrice, le box, la caméra, le plateau, le décor peint angeleno devant lequel s’activent les machinos - tout Hollywood en un plan), le scintillement romanesque, le songe émerveillé qui déraille en désillusion, la sensualité épidermique, l'amour qui flambe sous les draps, le romantisme à pleurer (le Love Theme de Badalamenti, pour l’éternité), les larmes au Silencio ("Llorando por tu amor..." : les paroles en espagnol qui cristallisent l'essentiel), les cimes moelleuses de l'euphorie, du conte de fées, du coup de foudre ébloui pour la princesse charmante, puis les abîmes déchirantes de la détresse, de la séparation, des regrets, du chagrin. L'empire des sens, le royaume du lyrisme.
Cette scène à 1:00, franchement... Quelle beauté, quel émerveillement et en même temps, quelle cruauté, quelle tristesse ! C'est une ascension au paradis qui scelle le coup de grâce pour Diane. Torrent de larmes à chaque vision. Cet indicible sentiment de "sorrow" dispensé par le film, il est là. Les commentaires sous la vidéo, notamment les premiers de "corystereo" et "Laura Louzader", j'aurais pu les écrire.
Et aussi (surtout ?) ces deux actrices exaltées, caressées, magnifiées par la caméra (chaque gros plan sur leur visage est une jouissance esthétique, une explosion charnelle). Elles sont d’un glamour, d’une beauté, d’une puissance de séduction incommensurables (le mythe), et en même temps si vibrantes et frémissantes, si sensibles et émouvantes (l’identification, la compassion pures). Lynch est totalement amoureux d’elles, et c’est peu dire qu’il nous communique ce sentiment. Pour Naomi Watts en particulier, qui n'est ni fausse ni excessive mais sublime du début à la fin. J'irais même plus loin : l'atout majeur du film, c'est elle, sa présence, sa lumière, son intensité (la séquence d’audition, à liquéfier tout spectateur), sa versatilité, son expressivité, son abandon… Ce qu'elle transmet par exemple lors de la scène de la party finale, par une légère inflexion de voix, un sourire crispé, un regard fuyant, un sanglot retenu, est proprement phénoménal. Son visage défait et gonflé de chagrin au réveil, la seule manière dont elle traverse son salon après la visite de sa voisine, usée, hagarde, perdue, me noue les tripes. Le cœur palpitant du film, ce cœur d’amoureuse enivrée, grisée de bonheur et d’émerveillement, puis carbonisée par la douleur et le désespoir, c’est bien elle qui en exprime les battements.
PS : Tweet qui rappelle judicieusement à quel point les paroles de In Dreams d'Orbison, entendu dans Blue Velvet, sont adaptées à ce film :
(...) Et quel bonheur, encore une fois, de vivre cette expérience de manière collective, au milieu d'un public que l'on sent tour à tour amusé, excité, ému, un public envoûté et réceptif qui rit lorsque le tueur enchaîne ses ubuesques gesticulations fatales, tressaute quand la créature surgit derrière le mur, ou bien retient son souffle en comprenant intuitivement ce qui va se passer lorsque Rita nue se glisse dans le lit aux côtés de Betty. Je trouve ce type d'expérience absolument incomparable avec celle du salon chez soi.
Suite à la disparition du réalisateur, une rétrospective sera organisée au Max Linder Panorama fin mars-début avril.
Je suis capable de faire 350 km pour re(re-re-re-re)découvrir mon film favori dans ce qu'on dit être l'un des plus beaux cinémas de Paris.
Thaddeus a écrit : ↑23 janv. 25, 14:46
Suite à la disparition du réalisateur, une rétrospective sera organisée au Max Linder Panorama fin mars-début avril.
Je suis capable de faire 350 km pour re(re-re-re-re)découvrir mon film favori dans ce qu'on dit être l'un des plus beaux cinémas de Paris.
J'y pense aussi très fortement. Même si je n'aurais pour ma part qu'à parcourir 2.1km en partant du boulot.
Thaddeus a écrit : ↑23 janv. 25, 14:46
« À ce jour, l’un des plus beaux films au monde est aussi, par chance, la plus belle histoire d’amour entre deux femmes. Mulholland Drive ou le film par excellence du slow-burn lesbien, de la dévoration lente. S’il faut se mettre d’accord au moins sur une chose concernant un film où la multitude des discours adore s’égarer avec la clé (et le trousseau), c’est sur sa parfaite linéarité de drame amoureux. Début, milieu, fin : le trouble fou, la déclaration d’amour de Betty à Rita, charnelle et chuchotée dans la volupté obscure d’un baiser, enfin le dernier acte de la tragédie, l’amour trahi et la mort au long surplomb. Grand mélodrame tragique, Mulholland Drive est en quelque façon le Vertigo des temps modernes, un film dans lequel l’énigme est passée corps et biens du côté de qui regarde jusqu’au vertige : le voyeur n’est plus Scottie-Stewart mais, de l’autre côté du rideau, le spectateur lui-même, les spectatrices elles-mêmes, Betty, Rita, emprisonnées dans le grand mystère – de l’amour des femmes. Lynch a signé là son "film-émotion" (emotion picture, genre lynchien en soi) le plus violemment épris et lyrique. Betty et Rita se cramponnent l’une à l’autre, en boucle et pour toujours. "Silencio" résonne de l’écho murmuré : "I’m in love you." » Camille Nevers aka Sandrine Rinaldi
Et dans le même genre, cet aveu constitue un bien bel hommage.
Intéressant ! J'étais complétement passé à côté de la dimension lesbienne du film !!! (Et Blue Velvet homoérotique ! Man, I'm educated now !)
Je ne sais pas si tu es ironique ou non, mais dans l'hypothèse où ton message est rédigé au premier degré, rien de surprenant à cela : Mulholland Drive n’est pas plus un film "homosexuel" que Sur la Route de Madison ou Titanic ne sont des films "hétérosexuels". Le sujet n’est pas là, les enjeux ne dépendent absolument pas de cet aspect, au contraire par exemple d’un Brockeback Mountain, pour ne citer que lui, qui ne pourrait pas exister sans sa dimension gay. Si le film de Lynch faisait intervenir un couple hétéro, l’histoire, sa dynamique, ses articulations en seraient les mêmes. À aucun moment les héroïnes ne s'interrogent sur / ne sont tourmentées par le caractère lesbien de leur relation (à peine une question formulée par Betty lors de son étreinte au lit avec Rita) ; nulle problématique sur le refoulement, la quête d’identité sexuelle ou le poids normatif de la société. Il se trouve simplement que ce sont deux femmes, et leur idylle découle de l’évidence.
Et pourtant, paradoxe :
Le film serait radicalement différent s’il racontait la liaison d’un homme et d’une femme. Pas du strict point du vue de la fiction (rencontre, coup de foudre, rupture) mais de tout ce qui la nourrit par ailleurs – et qui constitue en vérité l’essentiel : le style enveloppant, l’image chaloupée, la texture charnelle des plans, la sensualité de l’atmosphère, Naomi Watts et Laura Harring (impossible d’imaginer d’autres interprètes)... mille paramètres dont l’alchimie indéfinissable et intimement nourrie de féminité. Mulholland Drive est un film sur les femmes, sur l’entité féminine hollywoodienne, le réservoir à fantasmes qu’elle représente, le puits de souffrance qu’elle charrie. Je ne vais pas réécrire ce que j'exprimais quelques pages précédemment, dans l’un des paragraphes de mon indigeste pavé, mais lorsque Betty et Rita couchent ensemble, c’est comme si Lynch réalisait l’accomplissement d’un fantasme ultime, généré par près d’un siècle de cinéma : Grace Kelly et Ava Gardner concrétisant ensemble leur puissance d’attraction. Leur relation est si érotisée qu’on peut d’ailleurs se demander comment le film a réussi à éviter l’accusation de male gaze, cette notion si décriée aujourd’hui. Sans doute parce qu’il prête simultanément le flanc à des lectures plus engagées et idéologiques, comme celle-ci. Mais aussi et surtout parce que, de toute bonne foi, il est impossible de le réduire à cela : très loin d’être réifiées, Betty-Diane et Rita-Camilla existent, vibrent, palpitent, s’aiment et se déchirent. Les états qu’elles traversent, les sentiments qu’elles expriment sont universels. Lynch ne qualifie pas pour rien son film de" love story" avant tout. Sa réponse à la question (un peu idiote) du journaliste vers la fin de cette petite interview, donnée à Cannes en 2001, est tout à fait éclairante. Et cette histoire d’amour est sublime, incarnée et bouleversante.
tenia a écrit : ↑17 janv. 25, 08:58et j'essaie de retrouver une interview de lui que j'aime beaucoup, soit par Isabelle Giordano, soit Elisabeth Quin, où la journaliste lui explique à un moment qu'elle possède un tableau peint par lui, et ils commencent à discuter de cela, et lui semble ne pas tout de suite comprendre qu'elle est sérieuse, et que oui, quelqu'un pourrait avoir envie de posséder un tableau qu'il a peint
Figure-toi qu'en faisant le ménage sur mon disque dur, je suis tombé dessus !! J'avais dû la sauvegarder un moment à un autre, je n'en avais aucun souvenir. Alors puisqu'on est une grande famille sur Classik, j'ai même créé un compte Youtube afin de pouvoir la partager. Le moment dont tu parles commence à 11"18. Voilà, c'est pour toi - profites-en vite, car je ne sais pas si les flicards de la propriété audiovisuelle permettront qu'elle reste longtemps en ligne.
Dernière modification par Thaddeus le 15 févr. 25, 00:26, modifié 2 fois.
A minima, le retournement de rôles (possible) fonctionne quand même narrativement car ce sont 2 femmes. C'est ce qui offre une partie de l'ouverture aux interprétations, il me semble.
(A ce propos, madame a découvert le film hier. Elle a bien aimé jusqu'à la boîte bleue, et a trouvé la dernière section moins bien. Elle a semble déçue par ce que le film proposait alors à ce moment, du genre "je pensais que ca irait dans une autre direction, et celle-ci ne m'a pas parue aussi passionnante que prévu".
Et elle pense que c'est Rita / Camilla qui a survécu et a inventé Betty / Diane.)
(Ce revisionnage me permet aussi d'avoir un souvenir très frais de cet aspect : sur le male gaze, je pense que le film se tient très bien car il montre en fait très peu de corps féminins nus... mais quand il le fait, j'ai trouvé qu'il le faisait justement de manière tout à fait interchangeable avec d'autres films, notamment quelques plans de boobs qui m'ont parus bien superflus; pas de quoi, je pense, fouetter un chat dans le contexte du film, mais je me suis dit "ah tiens, ça, on aurait pu faire sans, y avait largement ce qu'il fallait sans ça")