AtCloseRange a écrit :- Spoiler (cliquez pour afficher)
George Costanza a écrit :
A lire certaines réactions à la "révélation", on dirait que le cinéma hollywoodien est une branche du documentaire animalier qui a fait des acteurs — une espèce naturelle menacée par les CGI

— son sujet de prédilection. Or, bien avant qu'il y ait des infographistes, les acteurs ont été "modelés" — je n'ose dire "dressés" — par les studios et les cinéastes qui les dirigeaient : on leur demande de changer de nom, de couleur de cheveux, on leur demande de perdre / prendre du poids, de faire de la musculation, on leur apprend à danser, à manier les armes à feu, à parler avec ou sans accent, on leur dit de marcher comme-ci ou comme-çà, on les habille, on les maquille, on les "double", on les "dirige", on leur apprend
quoi dire et
comment le dire, etc., et je pense qu'il est rapidement arrivé un moment pendant le tournage de
Shining à partir duquel Shelley Duvall aurait préféré avoir affaire à un infographiste plutôt qu'à Stanley Kubrick. A mes yeux, dans le cinéma comme "dans le monde réellement renversé,
le vrai est un moment du faux" (ce que montre très bien la scène du Silencio de
Mulholland Drive) et peu importe que le faussaire soit acteur, infographiste, monteur ou cadreur (ne sont-ils pas tous coupables et complices de toute façon ?) pourvu que le réalisateur obtienne le résultat escompté et qu'il parvienne à accorder toute cette fausseté pour qu'elle "sonne juste" une fois portée à l'écran.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette polémique, c'est qu'elle met en lumière un non-dit, une vérité tacite qui crève pourtant les yeux. Et ce n'est pas à l'authenticité de la prestation de Portman que je fais allusion, mais plutôt à la réception et à la réputation du film, et plus généralement au cinéma de fiction / "hollywoodien" : tout le monde sait que c'est faux — ou plus exactement
factice — mais on a
envie d'y croire (cf. Coleridge) et certains semblent s'être laissés emporter par leur propre crédulité (ce qui me rappelle l'anecdote de cet acteur qui jouait un médecin dans une série et que les gens arrêtaient dans la rue pour lui demander tout d'abord un autographe, puis des conseils médicaux voire une ordonnance pour des médocs). Je m'étonnais du succès critique du film — que je n'ai pas du tout apprécié — mais je suis encore plus étonné de constater maintenant que ce succès reposait apparemment pour une large part sur un malentendu quant à "l'authenticité" de la prestation de Portman,
alors que fondamentalement cela ne change absolument rien au film que ce soit elle ou bien sa doublure qui apparaisse à l'écran pendant les scènes de danse (un peu comme l'identité réelle de JT LeRoy ne change rien à la qualité de "ses" livres). Mais pour une raison qui m'échappe, à la sortie d'un film hollywoodien qui dégueule d'effets assez peu subtils et de trucages ostensibles, une partie du public s'est dit — ou laissé dire —
cette fois-ci, c'est pour de vrai. Il est intéressant de constater que des spectateurs — même "avertis" — puissent encore vivre une sorte de "moment
Vertigo", comme quand Scottie réalise que la femme qu'il aime n'est pas morte, mais surtout qu'elle n'a en fait
jamais vraiment existé. Quoi qu'il en soit, cette histoire me conforte dans l'idée que s'il y a peut-être de bonnes raisons pour que Portman ait remporté son oscar, ce n'est en tout cas pas pour ces raisons là qu'elle l'a obtenu.
Je crois que tu passes vraiment à côté de ce qui représente notre interrogation à Demi-Lune, Stark ou moi.
S'agissant de la phrase de mon message que tu as soulignée et du reste du paragraphe, je reconnais bien volontiers être passé à côté de tes interrogations — que l'on peut qualifier d'"ontologiques" — dans la mesure où je parlais carrément de tout autre chose (l'appréciation "esthétique" du film en fonction de ce que le public sait — ou croire savoir — de la prestation de Portman).
AtCloseRange a écrit :Le problème n'est pas Black Swan ou les effets dans Black Swan mais le remplacement progressif et programmé des acteurs dans la fiction (et pourquoi pas dans les images d'actualité - finalement la conséquence la plus grave).
A te lire on a l'impression que
personne n'a dansé dans
Black Swan. Si ce n'est pas Portman, c'est sa doublure. Et si on virait toutes les scènes où le visage de la doublure est modifié, qu'on les remplaçait par un montage alternant gros plans sur Portman / plans larges sur la doublure (avec pourquoi pas, pour faciliter l'illusion, des astuces "simples" : maquillage, masque ou autre accessoire), est-ce que pour autant ceux qui se sont imaginé que Portman avait tout dansé auraient eu des doutes ? Je n'en suis pas certain.
AtCloseRange a écrit :Tout ce qui était mensonge auparavant était un tant soit peu détectable (ou en tout cas imaginable), ce qui n'est plus le cas et ça fait absolument toute la différence.
Au risque de te contredire ou de t'inquiéter davantage, je me conterai de rappeler l'exemple de
Flashdance cité précédemment, ou encore ces reportages risibles qui passent à longueur de temps à la TV : même sans les CGI, une grande partie du public n'y voit que du feu alors que les "trucs" crèvent les yeux de n'importe qui s'étant intéressé aux techniques et aux enjeux de la réalisation audiovisuelle ou cinématographique. Il est d'ailleurs effrayant d'observer à quel point il est facile de tromper le public avec des images — même grossières — alors même qu'il en est abreuvé en permanence. L'historien de la photographie David King a consacré plusieurs livres à l'histoire de la falsification photographique où il montre notamment comment Staline a berné des millions de personnes avec, pour ainsi dire, un appareil photo, une paire de ciseaux et un bâton de colle. Et la sophistication des CGI dont témoignent les trucages de
Black Swan n'y change finalement pas grand chose, même si aux 90% de personnes qui se laissent avoir par de grosses ficelles s'ajoutent quelques "connaisseurs" qui ne se font avoir que par des trucs plus sophistiqués.
AtCloseRange a écrit :Je comprends que Jodie Foster ait tiqué sur son sourcil...
Et moi je ne comprends pas pourquoi elle n'a pas tiqué sur le maquillage, le effets sonores, la musique, le montage, etc. Une fois que l'on a admis qu'Eleanor Arroway n'est pas Jodie Foster et inversement, que l'actrice joue un rôle dans le film de Zemeckis et que ce dernier a considéré que quelque chose n'allait pas avec le sourcil de Foster, dans le fond qu'est-ce que ça change qu'il l'ai fait modifié avec des CGI, du maquillage ou une épilation ?