George Costanza a écrit :A lire certaines réactions à la "révélation", on dirait que le cinéma hollywoodien est une branche du documentaire animalier qui a fait des acteurs — une espèce naturelle menacée par les CGI

— son sujet de prédilection. Or, bien avant qu'il y ait des infographistes, les acteurs ont été "modelés" — je n'ose dire "dressés" — par les studios et les cinéastes qui les dirigeaient : on leur demande de changer de nom, de couleur de cheveux, on leur demande de perdre / prendre du poids, de faire de la musculation, on leur apprend à danser, à manier les armes à feu, à parler avec ou sans accent, on leur dit de marcher comme-ci ou comme-çà, on les habille, on les maquille, on les "double", on les "dirige", on leur apprend
quoi dire et
comment le dire
Pour ma part, ce que j'ai essayé de faire passer dans ce petit "débat", c'est l'amour que je porte aux acteurs. Evidemment que le cinéma est un art du faux, de l'illusion, du faux-semblant, évidemment que le spectateur est complice de cette mystification, qu'il en est conscient, et qu'il aime à l'oublier pour croire en le "vrai", pour profiter et s'émouvoir du spectacle.
Reste qu'en tant qu'amoureux de cinéma, je suis amoureux des acteurs (mais peut-être suis d'arrière-garde ? dépassé ?) - et quand je dis "acteurs", je parle de leur réalité matérielle, tangible, de ce qu'ils communiquent à l'écran, de ce qu'ils font passer d'expressivité et d'affectivité, sans traitement intermédiaire. Je suis très attaché à cette forme de contrat de confiance et à l'échange, au processus d'empathie, qui lie l'acteur au spectateur lorsque celui-ci a conscience que le comédien s'implique, qu'il se livre à la caméra. Toutes choses qui brassent large (les notions de rayonnement, de charisme, l'émotion que me vaut la texture d'une peau, la lueur d'un regard, etc), et qui vont même bien au-delà, jusque dans sa dimension fantastique. Quand je vois aujourd'hui des acteurs et actrices morts il y a cinquante ans qui ressuscitent par le biais de la pellicule, quand je vois ces fantômes immortalisés par le cinéma (et parce que je sais que c'est EUX, bien EUX, et non pas des doublures fabriqués par des infographistes), je suis ému. C'est tout cela que je ne voudrais pas voir disparaître.
Et je ne suis pas de ceux qui estiment que les acteurs sont des "outils", des objets chosifiés à la disposition toute-puissante des cinéastes. Je crois en la sensibilité singulière d'un acteur, et je pense qu'indépendamment de leur talent, l'emploi de l'acteur A n'aboutira pas au même film que l'emploi de l'acteur B. Un acteur (et ce qu'il apporte singulièrement) participe pleinement à la genèse et à la réussite d'un film.
C'est marrant comme beaucoup de gens se positionnent sur l'argument du "
peu importe les moyens, ce qui compte c'est le résultat". Sauf que pour moi, et pour les raisons que j'ai expliqué, le résultat est lié en grande partie aux moyens, justement. C'est une vieille histoire : un chef-d'oeuvre naît dans la démarche et la pensée de l'artiste qui le crée. Une copie d'un chef-d'oeuvre, même si elle est absolument identique, n'est pas un chef-d'oeuvre : ce n'est qu'une copie, un décalque.
George Costanza a écrit :Il est intéressant de constater que des spectateurs — même "avertis" — puissent encore vivre une sorte de "moment Vertigo", comme quand Scottie réalise que la femme qu'il aime n'est pas morte, mais surtout qu'elle n'a en fait jamais vraiment existé.
Mais c'est très juste, cette remarque, et je m'y reconnais tout à fait ! Souvent, dans le cas des films que j'aime, je tombe amoureux de l'acteur ou de l'actrice, quelque part. E je ne parle pas du personnage, mais bien de l'acteur ou de l'actrice, c'est-à-dire de ce qu'il/elle m'offre à travers sa prestation. J'éprouve de la gratitude pour ce qu'il a exprimé, pour son abandon au personnage, pour sa sensibilité imprimée à l'écran, tout comme j'éprouve de la gratitude pour ce que le réalisateur a exprimé de son côté. Et si l'on me dit aujourd'hui que cet amour repose sur une illusion, que l'acteur n'a jamais existé, que tout cela est un travail de sorcier, que l'acteur est un amas de pixels, une virtualité, je serais triste, et sans doute que je me sentirais trahi.