L'ombre des anges -
D. Schmid
L'un des 2 ou 3 films que je ne voulais pas rater durant cette rétro. RWF demande à son ami Schmid de réaliser en 76 l'adaptation de sa pièce
L'ordure, la ville, la mort qui lui avait valu quelques problèmes : accusations d'antisémitisme par le truchement d'une réplique
"j'aurais voulu que le Juif riche soit gazé pendant la guerre, qu'il suffoque" et la figure du personnage du
Juif riche, qui est riche, circoncis, spécule et s'en tire. Fassbinder interdira que la pièce soit jouée de son vivant et le film - descendu par Lanzmann et défendu par Deleuze - ne résoudra rien. La patte de RWF y est bien sûr grosse - scénar mais aussi interprétation et présence de sa troupe.
Alors, ça donne quoi? Un film froid, abstrait, bien sûr théâtral, avec une réplique sentencieuse toutes les minutes, tellement sentencieuse qu'on les oublie sauf un joli
le monde est trop petit et toutes les pensées du monde menacent de le déséquiliber et que ça menace de virer à la caricature de film teuton-intello. Ingrid Caven - idéale, forcément - est une pute exploitée par son mari bi [Fassbinder]. Elle a une mère handicapée, un père travelo et a pour client le
Juif riche, qui la paie plus pour l'écouter parler qu'autre chose. Le scénar s'acharne à peindre un monde plombé, où la Ville est accusée de tous les maux, de phagocyter ses habitants. Il n'y a aucun réalisme - notre Jean-Claude Dreyfus national est censé incarné un nabot - mais comme toujours chez RWF, c'est censé nous ramener à notre, où plutôt le monde conçu par RWF en 1976 : exploitation, SM, l'amour perçu comme faiblesse, tentation facho, en fait toutes les obsessions de RWF mais ici empilées comme à la décharge, avec une violence incroyable, brouillonne, sans faire de cadeaux et parfois maladroitement. Coins à tapin, appartements vides, chat noyé, atmosphère de fin du monde, le film est souvent fascinant par sa sécheresse. RWF rajoute une couche religieuse avec une drôle de pietà où RWF fait Jésus, un travesti incarne Marie et pas loin, Ingrid Caven-Marie-Madeleine. Il faudra juste accepter le jeu théâtral de tout le monde, l'antipathie générale, l'impossibilité d'identification.
Antisémite? RWF applique son absence d'angélisme à toutes les victimes, exclus de la société : homos, immigrés, vieux, prolos et juifs. Ce n'est pas le judaïsme du personnage qui importe ici, c'est le fait qu'il soit riche, un capitaliste. Chez RWF, le monde est tellement déprimant, violent qu'il transforme les victimes en bourreaux et est entretenu par ceux-ci [le Juif riche fait de l'immobilier, donc il entretient ce monde déprimant]. Il y a probablement une maladresse de sa part d'avoir donné un nom à tous ses personnages, sauf au Juif riche, qui dès lors, a l'air d'un archétype malsain genre Süss. Mais d'un archétype surtout pour les personnages proto ou ancien/toujours fachos qui infestent le film et semblent se délecter à répéter juif riche à peu près tout le temps. A bien des égards,
L'ombre des Anges est le brouillon de
L'année des treize lunes - la pute, le sacrifice, le juif spéculateur - mais sans la grâce de ce dernier. On retient de belles séquences : le monologue flippant du nazi sur un lit - incluant la réplique tant décriée plus haut - sur fond de zique parasite de Peer Raben, comme une ébauche de
La Troisième Génération et Ingrid Caven traversant une ruelle encadrée par ses collègues péripatéticiennes : tous les trois pas, elle tombe sur les mêmes, effet de déjà-vu fantastique doublé d'un choeur accusateur de théâtre, les putes lui rappelant inlassablement qu'elle a commis une faute, qu'elle ne fait plus partie de leur monde. Ah! La solidarité des marginaux.
