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Re: Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan - 2023)

Publié : 26 juil. 23, 13:59
par ed
Alexandre, merci pour ton message.
Je n'oblige personne à aimer le film autant que moi, hein, raison pour laquelle je parle en mon nom propre en conclusion, d'autant que je sais à quel point c'est un cinéma auquel l'accès n'est pas immédiat ni facile (là encore, je le redis, j'ai fui ses films pendant des années, convaincu que ce n'était pas pour moi). D'autant que, contrairement à la critique du Monde, tu me sembles pas être complètement passé à côté :lol:
Alexandre Angel a écrit : 26 juil. 23, 12:16 Un ami avec qui j'ai vu le film me disait que peu de cinéastes contemporains peuvent être capables de filmer la neige et de capter une lumière de cette façon et que ce cinéma pourrait bien constituer l'équivalent d'une certaine littérature russe du XIXème, avec son amertume et son côté métaphysique
Je ne sais pas si ton ami pense spécifiquement à Tchekhov (c'est celui que je connais le moins mal), mais j'y avais fortement pensé pendant Winter Sleep, avant de découvrir que le film était inspiré par certaines de ses nouvelles.
Alexandre Angel a écrit : 26 juil. 23, 12:16 Pour me résumer, je dirais que la grande force du film est de se tenir à la confluence de différents niveaux de lecture dont aucun ne cherche à primer sur l'autre.
Il me semble que c'est la volonté même du cinéaste (voir entretien dans le dernier Positif). Il dit assez peu, finalement, de ses intentions, mais ce qu'il dit suffit à percevoir cette volonté d'ouvrir le champ des perspectives.
Alexandre Angel a écrit : 26 juil. 23, 12:16 je me suis senti constamment balloté entre particularismes sociétaux, qu'on ne peut s'empêcher de rattacher au contexte sociétal turc contemporain, comme d'autres films peuvent l'être de façon plus explicite, et un constat moral plus universel où l'on se dit que le personnage de Samet ne déparerait pas dans une fiction, mettons française, décrivant les déboires existentiels d'un prof en banlieue.
Je me suis déjà fait cette réflexion, très intéressante : les films qui confinent le mieux à l'universel sont parfois, paradoxalement (en tout cas en apparence), ceux qui semblent le plus profondément ancrés dans la spécificité de leur cadre (spatio-temporel, culturel, social...). Le film qui a le plus changé ma vie et ma façon de percevoir l'existence est l'histoire très anecdotique d'un coiffeur qui veut ouvrir une entreprise de nettoyage à sec, en Californie, dans les années 40...

Re: Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan - 2023)

Publié : 26 juil. 23, 14:09
par Alexandre Angel
ed a écrit : 26 juil. 23, 13:59 Je ne sais pas si ton ami pense spécifiquement à Tchekhov (c'est celui que je connais le moins mal), mais j'y avais fortement pensé pendant Winter Sleep, avant de découvrir que le film était inspiré par certaines de ses nouvelles.
En l'occurrence, plutôt Dostoïevski. D'où mon allusion à Kurosawa (sans même citer L'Idiot ).

Re: Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan - 2023)

Publié : 26 juil. 23, 14:29
par Thaddeus
ed a écrit : 26 juil. 23, 13:59les films qui confinent le mieux à l'universel sont parfois, paradoxalement (en tout cas en apparence), ceux qui semblent le plus profondément ancrés dans la spécificité de leur cadre (spatio-temporel, culturel, social...).
C'est une configuration dont on ne cesse de vérifier la validité, en effet. Cet adage qui veut que plus on est particulier, plus on atteint à l'universel. On pourrait multiplier les exemples (Kurosawa est l'un des premiers qui me vient) de ces artistes qui, lorsqu'ils sont au faîte de leurs moyens et de leur puissance d'expression, atteignent ce paradoxal point de rencontre.
Je n'ai rien à dire sur le dernier Ceylan, puisque (à mon grand dépit) il n'est pas programmé chez moi. Les messages de ce topic ne me le font que regretter davantage. :?

Re: Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan - 2023)

Publié : 24 août 23, 10:34
par Arn
Vu hier en salle.
C'était mon premier Nuri Bilge Ceylan, cela faisait un moment que je voulais en voir mais je souhaitais privilégié la découverte sur grand écran.
J'appréhendais un peu la séance de 20h, n'étant pas très frais.

Mes craintes se sont assez rapidement envolées. C'est bien sûr lent, mais quand même assez rythmé par cette alternance de superbes plans contemplatifs dans lequel il est facile de se perdre, et des dialogues qui accrochent très rapidement.
Pour en revenir d'ailleurs à des messages plus haut je vois tout à la fois un peu de Tchekhov et un peu de Dostoïevsky dans ce film. Le premier pour les dialogues d'une profondeur et d'une portée rare, pour la réflexion sur le temps qui passe, le second pour cette manière de fouiller l'âme humaine, pour son personnage principale difficile à cerner et pour un certains pessimisme.

Concernant le ressenti de durée je n'ai trouvé ni que le film faisait 2h ni qu'il était long. Très tôt j'étais incapable de dire s'il avait débuté depuis 15 ou 45 minutes. Sensation étrange, agréable, et peut être bien recherché par Ceylan vu la place que le passage du temps y tiens.

Si j'avais quelques petites réserves à émettre ce serait tout d'abord sur les deux intrigues. Chacune est passionnante, d'un abord très différente pour finir par se faire echo, mais je les ai trouvé peut être un peu décousues dans la narration. Peut être est-ce voulu, mais dans ce cas je me demande pourquoi.
Le second point c'est une mise en scène parfois un peu trop appuyé. C'est très bien fait, mais j'aurais peut être préféré qu'elle soit plus discrète tout du long. Il y a quelques fois où la caméra se remarque davantage, appuie ce qu'on avait très bien compris par les dialogues, le jeu des personnages, ou le reste de la mise en scène. J'avais comme l'impression qu'au global on était sur une veine naturalisme dont on sortait parfois pour une esthétique plus marqué (pour donné une idée j'ai pensé à L'Échiquier du vent sur une poignée de plans, autant pour le jeu sur la lumière que pour la gravité des personnages à ces instants).

Réserves minimes et qui nécessiterais un second visionnage. Cette envie d'y retourné fut de toute façon immédiat à la sortie de la séance pour me replonger dans certains dialogues.

Pour le reste j'ai été totalement embarqué. Tous les personnages me semble formidablement écrit, chacun raconte quelques choses, celui de Sevim (jeune actrice incroyable) est bouleversant, tout comme celui de Naray. L'évolution non pas du personnage principal en tant que tel mais de notre regard vis à vis de lui est assez fort.
Je pense que certaines scènes et plans me resteront en mémoire un bon moment, en vrac : Sevim les larmes au yeux, ou les cheveux enneigés à la fin (et pas seulement pour la beauté esthétique, mais pour ce qui se dit ou se joue à ce moment), le dialogue chez Naray, surtout celui à table, le dernier passage au petit café/bar, et puis la révélation du sens du titre de film.

Mais le film est bien plus que ces scènes très fortes prise les unes après les autres. Tout le reste joue sur la densité et sur la qualité de l'oeuvre, que ce soit par exemple la relation de Salem avec Kenan ou l'arrière plan politique avec la répression et la question kurde. Malgré ce que je disais plus haut sur la narration un peu trop éclatée des deux intrigues, en terme de ce que le film raconte il ne me semble faire qu'un et être d'une richesse assez vertigineuse.

Maintenant je n'ai qu'une envie c'est de découvrir le reste de sa filmographie. Est-ce que je vais arriver à patienter pour voir ses autres longs films au cinéma ? Pas sûr, mais je pense que le prochain sera Uzak, à la maison.