Yasujiro Ozu (1903-1963)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

OU SONT LES RÊVES DE JEUNESSE

Je connais mal Ozu. J'ai vu les dvd édités par Arte mais, à l'exception de BONJOUR, je n'ai pas trop accroché à ces films. Peut-être parce que BONJOUR a été le premier Ozu que j'ai vu? Je ne sais pas, cela fait déjà quelques années. En tout cas, les films suivants que j'ai pu voir, s'ils ne m'intéressaient guère - peut-être, en fait, à cause de leur rythme trop lent - me paraissaient de toutes façons assez intéressants, ne serait-ce que formellement, car j'ai persévéré et vu les 5 dvd Arte et que je m'attèle maintenant aux Carlotta.

Ce OU SONT LES RÊVES DE JEUNESSE est déjà révélateur de l'oeuvre globale d'Ozu, portée sur la mélancolie du temps qui passe (c'est formulé à peu près dans ces termes dans un des bonus des dvd d'Arte). Ici on a deux univers: celui de l'université et celui du travail en entreprise. Chacun représente une époque de la vie: la jeunesse naive qui ne pense qu'à s'amuser, et le monde des adultes, du travail. Car notre héros est au début un étudiant paresseux, un cancre. Ses amis proches le sont également et ils forment un groupe uni et égal. Notre héros est alors propulsé patron de société remplaçant son père décédé et quittant l'université. Il voit ensuite revenir ses anciens amis, perdus de vue depuis 1 an, et qui recherchent du travail. A ce moment-là, comme l'indique l'intertitre, notre patron a encore des allures d'étudiant. Il a encore un pied dans son ancien monde (la jeunesse). Pour preuve, dans un premier temps il accueille ses amis et reproduit les processus de tricherie pour des examens d'entrée dans sa société. On est encore dans l'ambiance estudiantine où ils n'hésitent pas à cacher des antisèches.

Seulement la jeunesse et son insouciance sont terminées. Il faut maintenant gagner sa vie et cela va éloigner inconsciemment le groupe d'amis. Le seul des 4 à avoir "réussi" c'est le nouveau PDG. Les autres ne sont plus égaux avec lui (comme du temps de la fac) car ils vont se soumettre à son statut de patron pour garder leur emploi. Le personnage le plus représentatif est le cancre amoureux qui va voir son ami pdg séduire la femme qu'il convoite. A propos de ce personnage, il est peut-être aussi la représentation du pays, alors en crise et tributaire du commerce et du capitalisme (on le voit constamment courbé, retenu, muet). Je me suis posé cette question mais en fait je n'en sais rien...

J'ai été très surpris par ces scènes comiques presque potaches, en tout cas amusantes. On a aussi plein de détails comiques, pas seulement entre les jeunes amis. On peut noter par exemple cet employé de l'entreprise, visiblement très lèche-bottes, qui montre son constant accord avec le discours du sous-directeur. On remarque aussi qu'ils sont tous les deux habillés pareil (pas besoin de savoir qui a copié sur l'autre :wink: ). Le film mélange habilement les genres, oscillant de la comédie au drame. On voit également que le travail formel d'Ozu est déjà en place (sur le moyen métrage UNE FEMME DE TOKYO c'est peut-être encore plus flagrant). Ici on a peut-être 1 ou 2 travellings (les autres sont des caméras embarquées dans un train ou une voiture) et sinon c'est fixe. On a aussi les fameux plans contemplatifs de transition entre deux lieux. Et on a aussi, à deux ou trois reprises, des montages de gros plans de mains, de pieds, de postures. Je n'ai pas bien saisi cela, d'ailleurs... Enfin je parlerai de ce qui m'a marqué en premier (mais il faut dire que je ne vois qu'1 ou 2 films muets par an donc je ne suis pas un spécialiste) c'est l'utilisation d'images très sonores. Je pense à deux exemples en particulier: les mains qui battent le rythme (et qui ouvrent le film) et l'homme qui sonne la cloche à l'université. Deux exemples d'images parlantes sans un son. Pourtant, j'entendais presque la cloche...

J'ai bien aimé ce film muet. En reprenant une thématique dont on parle ici, j'ai peut-être trouvé que le récit était très occidental en fait. En tout cas ça m'a bien captivé, ce qui est déjà pas mal...

A propos du master: ce n'est pas parfait mais j'ai trouvé le tout très agréable à suivre. Ce qui surprend c'est d'abord la propreté de l'image. Peu de poussières et de tâches. Le contraste est très mou. Cela n'aurait pas été difficile d'arranger ça mais bon, tant pis. Ici les noirs sont tout le temps gris. Gris/vert d'ailleurs car il y a une légère dominante verte qui s'arrête 12mn avant la fin (ça se remarque à l'oeil). Ensuite les blancs sont aussi très mous. Ca ne brille pas beaucoup, quoi. La luminance des images est en plus assez instable.
Le détail le plus gênant est l'instabilité de l'image. Ca sautille pas mal pendant la première moitié du film. Ca peut agacer certains.
Très beau packaging par contre et très jolies jaquettes. Je suis rarement aussi séduit sur ce point avec Carlotta (ils sont surtout balèzes sur les contenus).
Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

CREPUSCULE A TOKYO

SPOILERS
Ce film s'apparente au genre "mélodrame". Mais ici point d'exaltation, d'effervescence (comme on peut en voir dans le cinéma américain par exemple): on est chez Ozu, donc tout est retenu, suggéré, non-dit... C'est aussi une oeuvre très noire, pessimiste, qui présente la cellule familiale d'une manière bancale. Cette famille est déséquilibrée: il manque plusieurs membres. La mère, pour commencer, qui les a quittés il y a longtemps. Puis il y a le fils ainé, déjà mort quand débute l'histoire. La fille ainée, elle, fait un mariage raté avec un alcoolique et décide de coucher chez son père en emmenant son bébé. Plus tard, c'est la cadette qui viendra à mourir. Un constat moderne et sombre, et loin de l'image positive qu'on nous présente souvent. Non que cette famille soit malade, malsaine, mais elle est accablée d'évènements dramatiques.

A l'intérieur de cette cellule familiale il y a la figure maternelle. Un poids pas toujours évident à porter et un symbole normalement positif mais qui est, ici, malmené car source de drames. La mère de la famille, d'abord, est une revenante. Elle les a laissés il y a quelques années pour un autre homme que leur père. C'est par hasard que ses filles la retrouvent mais il reste logiquement un certain malaise. Ce personnage est à la fois coupable de ses actes mais est aussi touchant, notamment dans la dernière scène où elle apparait: à la gare, attendant presque désespérément sa fille qui ne viendra jamais lui dire au revoir.
Autre mère du film: la fille ainée qui élève un bébé (actrice fétiche d'Ozu, croisé il y a quelques jours dans L'IDIOT de Kurosawa). Elle a aussi ses problèmes conjugaux, qu'elle jugera nécessaires de rêgler pour mieux élever son enfant.
Enfin, la cadette qui va tomber enceinte et, devant la fuite de son amant, décidera d'avorter. Un constat pessimiste qui s'explique donc par le manque de confiance dans le conjoint (et donc dans le futur) et par le poids vécu de l'absence de sa mère. Elle ne veut pas répéter le cycle qu'elle a connu, mais on sent aussi qu'elle aurait été prête à se battre si son amant avait été à ses côtés.
On a trois personnages féminins forts, deux femmes qui subissent un coup du destin et de la vie (les deux soeurs face aux épreuves) et une mère qui vit avec ce poids mais qui est déjà résignée.

Face à elles on a le père. Comme le film vient de finir, je pense tout de suite à la dernière scène qui, je pense, résume à la fois le personnage et la thématique d'Ozu. Il est chez lui, seul avec sa bonne et se prépare à retourner au travail. Il est donc seul et retrouve le hochet de sa petite fille. Ca le fait sourire, mais le spectateur ne peut pas ne pas faire le rapprochement (entre le père et le hochet) avec ses deux enfants qui sont décédés. Une épreuve de la vie, qui se conclut par ce plan final du père sortant de chez lui et descendant la rue pour aller travailler: la vie continue, on vit avec le passé (aussi cruel soit-il).

Après avoir vu les films en couleurs édités par Arte, j'étais donc habitué au style d'Ozu. Ce film est son dernier en noir & blanc, donc c'est sans surprises que j'ai constaté qu'il avait déjà pris sa vitesse de croisière par rapport au style. C'est dès la première scène que j'ai été frappé, car on retrouve un décor pratiquement identique à certains de ses futurs films: la ruelle et le bar attenant. Impressionnant, donc voir cette constance, et c'est toujours très plaisant de suivre ces plans fixes très graphiques. Ozu renforce l'ambiance du film en plaçant l'action en hiver, rendant palpable une atomsphère glacée (où tous boivent du saké ou du thé chaud :wink: ), jusqu'à la dernière scène qui clot le film presque sur un ton positif, avec cette matinée ensoleillée.
La première moitié du film m'a peu captivé. Comme souvent (quand ça marche) il m'a suffit d'un déclic pour rentrer dans le film. Ici il est arrivé bien tard (pile à la moitié) mais il est arrivé: cela s'est fait autour de l'avortement. J'ai vu quelques Ozu et, malgré une certaine admiration pour le style et l'ambiance, je suis rarement sorti d'un de ses film plutôt satisfait (seul BONJOUR m'avait bien plus, mais c'était le premier Ozu que je découvrais à l'époque). Eh bien à la fin de ce CREPUSCULE A TOKYO je pense que j'ai vu là mon Ozu préféré.

Bien que le master soit tiré d'un transcodage NTSC je dois avouer que le résultat est très satisfaisant (les plans fixes: ça aide pas mal). La copie chimique est très propre, l'image est globalement stable (mais beaucoup sautent aux changements de plans/collages). Contrastes globalement bien gérés. La très belle lumière du film est bien mise en valeur. Très appréciable. Toujours un très beau packaging de Carlotta.
Alcatel
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Message par Alcatel »

Je viens de découvrir Ozu avec Bonjour. J'ai eu du mal à rentrer dans le film, mais après, c'est assez drôle. :)

Le thème du film n'est pas tant la télévision que toutes les variations qui ont intéressé le cinéaste autour de ce point. Les sales gamins resteront les mêmes en tous temps et en tous lieux, le petit frère copiera toujours son aîné et les commères sont universelles... ;)
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Message par tati »

Nestor Almendros a écrit :OU SONT LES RÊVES DE JEUNESSE
Je connais mal Ozu. J'ai vu les dvd édités par Arte mais, à l'exception de BONJOUR, je n'ai pas trop accroché à ces films.
En parlant du coffret arte, est-ce que quelqu'un a vu une critique du coffret arte sur sur un site internet, car je cherche mais je ne trouve pas.
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Roy Neary
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Yasujiro Ozu

Message par Roy Neary »

Monsieur Fox remet le couvert et continue d'explorer la carrière du maître japonais grâce au second coffret édité par Carlotta.
Sa passion sera sûrement communicative (elle l'a été pour moi, c'est dire ! :mrgreen: )

:arrow: Coffret Ozu Vol.2
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Fatalitas
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Message par Fatalitas »

Jeremy, à la fin de ta critique (technique du dvd), tu dis "Vivement le 3eme volume"

c'est prevu ?? :shock:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Fatalitas a écrit :Jeremy, à la fin de ta critique (technique du dvd), tu dis "Vivement le 3eme volume"

c'est prevu ?? :shock:
Permet moi de rêver et de pousser à faire en sorte que... :mrgreen:

En même temps, ça serait logique qu'il y ait un troisième volume regroupant les films restants qu'ils ont distribués en salle.
Fatalitas
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Message par Fatalitas »

Jeremy Fox a écrit :
Fatalitas a écrit :Jeremy, à la fin de ta critique (technique du dvd), tu dis "Vivement le 3eme volume"

c'est prevu ?? :shock:
Permet moi de rêver et de pousser à faire en sorte que... :mrgreen:

En même temps, ça serait logique qu'il y ait un troisième volume regroupant les films restants qu'ils ont distribués en salle.
enfin, si c'est les films du coffret Arte, tu penses qu'ils vont ressortir les memes films ? :?
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Fatalitas a écrit :
Jeremy Fox a écrit :
Permet moi de rêver et de pousser à faire en sorte que... :mrgreen:

En même temps, ça serait logique qu'il y ait un troisième volume regroupant les films restants qu'ils ont distribués en salle.
enfin, si c'est les films du coffret Arte, tu penses qu'ils vont ressortir les memes films ? :?
Il me semblait que l'éditeur en avait sorti quelques autres au cinéma hormis les films couleurs. Mais je me trompe peut-être.

Je rêve d'un coffret comprenant Gosses de Tokyo / Les frères et les soeurs Toda / Une poule dans le vent / Les soeurs Munakata / Fils unique ...

Il y a encore de la matière à faire un 3ème volume :wink:
Fatalitas
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Message par Fatalitas »

Jeremy Fox a écrit :
Fatalitas a écrit :
enfin, si c'est les films du coffret Arte, tu penses qu'ils vont ressortir les memes films ? :?
Il me semblait que l'éditeur en avait sorti quelques autres au cinéma hormis les films couleurs. Mais je me trompe peut-être.
Carlotta a distribué 14 films (en gras ceux du coffret Arte)

- Gosses de Tokyo (1932)
- Ou sont les reves de ma jeunesse (1932)
- Une femme de Tokyo (1935)
- Histoires d'herbes flottantes (1934)
- Recit d'un proprietaire (1947)
- Une auberge à Tokyo(1935)
- Ete precoce (1951)
- Le gout du riz au the vert (1952)
- Printemps precoce (1956)
- Crepuscule a Tokyo (1957)
- Fleurs d'equinoxe (1958)
- Bonjour (1959)
- Fin d'automne (1960)
- Le gout du sake (1962)


coffret Arte qui comprend aussi Dernier caprice
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Merci de l'info que je recherchais sans la trouver. Dommage mais sait-on jamais.
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Message par Fatalitas »

Jeremy Fox a écrit :Merci de l'info que je recherchais sans la trouver. Dommage mais sait-on jamais.
oui, car comme tu dis, y'a matiere à poursuivre l'exploration de sa filmo :wink:

en tout cas, le coffret n°2 sera bientot mien !
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Message par AlexRow »

Je suis un brin déçu par le packaging de ce volume 2 : le très chic rabat a disparu, des dimensions différentes (un peu moins haut, un peu moins profond que le premier) ... :?
"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti" (Albert Camus)

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Message par Jeremy Fox »

AlexRow a écrit :Je suis un brin déçu par le packaging de ce volume 2 : le très chic rabat a disparu, des dimensions différentes (un peu moins haut, un peu moins profond que le premier) ... :?
Idem. Ca me fait d'ailleurs penser que j'ai complètement oublié d'en parler ainsi que du très bon livret contenu dans le coffret.
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Message par AlexRow »

L'essentiel est sauf. Mais c'est un peu dommage.
"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti" (Albert Camus)

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