Filmer l'histoire (index p. 1)

[Roy Neary]

Le film reste d'une perfection plastique consommée et sa narration est l'une des plus réussies du genre. L'empathie avec les personnages est réelle et l'émotion palpable.

Je ne dirai jamais le contraire. Mais il me reste un sacré arrière-goût dans la bouche.

[MJ]

Mais il me reste un sacré arrière-goût dans la bouche.

Pareil pour moi. Ce film me laisse perplexe.

[AlexRow]

Mais il me reste un sacré arrière-goût dans la bouche.

Pareil pour moi. Ce film me laisse perplexe.

J'ai eu moi-même un mouvement de recul à la deuxième vision, n'ayant qu'une sympathie fort limitée pour les idéologies qui conduisirent à des massacres de masses. Celà dit, ce n'est pas parce que je lis ou que je regarde un film que je me sens lié au discours de l'oeuvre. Je considère plutôt que c'est une manière de connaître un auteur, son milieu... En définitive, ce qui reste c'est l'oeuvre elle-même.

Mais je crois qu'on est là au coeur du sujet que j'ai proposé en ouverture : quels sont les divers aspects des films à sujet "historique" ? Quels en sont les enjeux ? Le Dernier empereur ressortit à la catégorie des films à thèse, catégorie particulière de l'histoire-problème en ce qu'elle donne dès l'abord une direction à son discours.

[Roy Neary]

La plupart des films historiques possèdent un discours orienté. Même les plus complexes, qui évitent de tomber dans un manichéisme facile. Cette direction rejoint la vision personnelle de l'artiste dont je parlais au début. Rien ne me gênerait plus qu'une pauvre illustration qui se voudrait "obective". C'est une prise de risque que j'apprécie même si elle peut se retourner contre son auteur. Et quand le regard est celui d'un contemporain sur un fait historique ancien dont il tire les enseignements avec les outils de réflexion actuels, le risque est encore plus important et la réussite - si elle existe - d'autant plus grande. J'estime que c'est le cas de Kingdom of Heaven de Scott.

[Tuck pendleton]

Le parti pris soulevé par Alexrow dans le Dernier empereur ne m'avait jamais frappé. J'aime beaucoup ce film.

[Commissaire Juve]

Il y a des reconstitution de vie quotidienne (et judiciaire) sous l'Ancien régime (16e siècle) très intéressantes dans Le retour de Martin Guerre. Je l'utilise en classe depuis quelques années.

[MJ]

On me signale à l'oereillette de ne pas citer Pearl Harbor de Michael Bay.

[AlexRow]

On me signale à l'oereillette de ne pas citer Pearl Harbor de Michael Bay.

Tiens, une catégorie que j'avais oubliée : l'histoire-prétexte

[MJ]

C'est bien pour ça que j'en parlais.
Parce qu'il faut encore faire la différence entre voir l'histoire en prenant parti comme en parlait Roy ou récrire les bouquins d'histoire pour en faire sa version peut-être moins gênante ou plus glorieuse.

[AlexRow]

Ou simplement pour dresser une toile de fond qui donne un peu plus de lustre à un scénario un peu médiocre.

[AlexRow]

La Chute (Olivier Hirschbiegel, 2004). La matière du scénario provient du livre de Joachim Fest (Der Untergang) et des mémoires de Traudl Junge (Bis Zur Letzten Stunde: Hitler's Sekreterin Erzahlt Ihr Leben). Les derniers jours du régime nazi à Berlin, encerclé par l'Armée rouge. Un film qui illustre parfaitement les tensions inhérentes au thème de ce topic : filmer l'histoire. Est-ce faire de l'histoire ? Est-ce faire un spectacle à partir de l'histoire...

Je ne souhaite pas relancer ici le vif débat que l'on peut consulter et continuer sur le topic adéquat : http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 565#623565

Le film est un huis-clos classique qui se déroule presque entièrement à l'intérieur du bunker de la nouvelle chancellerie. Son originalité est de mettre en scène le plus abominable des criminels sans en faire une caricature. Le pari est très risqué car il y a un risque de créer une certaine empathie à l'égard de l'entourage du dictateur. Je tiens à préciser que le film ne raconte pas les derniers jours d'Hitler, mais ceux du commandement du régime, qui se prolonge encore un peu au-delà. Ce centre de pouvoir est dépeint comme une machine sous l'empire de la déraison. Le discours du tyran - déconnecté de toute réalité - ne suscite aucune opposition ouverte. C'est une machine de destruction qui ne connaît aucune autre fonction et qui va au bout de sa logique. Après avoir détruit des millions de vie, l'ultime option consiste à détruire tous les fondements du régime lui-même. Les événements les plus certains ont été inclus dans le film : suicide d'Hitler et d'Eva Braun, assassinat des six enfants Goebbels par leurs parents... Les autres reposent sur des témoignages directs. Concernant les intentions des protagonistes, les bonus sont assez clairs : il n'y a aucune volonté consciente de se montrer complaisant envers le nazisme. On connaît d'ailleurs assez bien les sentiments personnels de Bruno Gans et on ne peut qu'être admiratif devant sa performance d'acteur.

Nous avons la chance d'avoir en édition de poche deux ouvrages indispensables pour mieux cerner l'époque et entrer au coeur des débats historiographiques qui brouillent la lecture de ce phénomène bouleversant :

Victor Klemperer, LTI, la langue du troisième reich, éd.Pocket, 1996 (1947)

Témoignage d'un philosophe juif allemand qui a traversé tout le régime en tenant un journal d'une grande profondeur de réflexion sur les outils de la manipulation du régime, et tout particulièrement la langue profondément dénaturée.

Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problème et perspectives d'interprétation, Folio histoire n° 83, 1997.

Ouvrage magistral faisant le point sur les différentes théories d'interprétation du nazisme.

Deux lectures indispensables.

[John Constantine]

Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problème et perspectives d'interprétation, Folio histoire n° 83, 1997.

Ouvrage magistral faisant le point sur les différentes théories d'interprétation du nazisme.

Je n'ai que la première édition, plus touchée depuis mes chères études. La seconde édition intègre toute la polémique autour du bouquin de Christopher Browning?

[AlexRow]

La seconde édition intègre toute la polémique autour du bouquin de Christopher Browning?

Oui. Elle comprend deux nouveaux chapitres et les autres ont été remis à jour. Tu peux te procurer la nouvelle édition sans hésiter.

[Colqhoun]

Je citerais le très beau et très touchant Laissez passer de Bertrand Tavernier qui parle avec tendresse et humour de la France en pleine Seconde Guerre et plus précisemment dans le milieu cinématographique. Maintenant en termes historiques, je ne sais pas à quel point le film est fidèle à ce qui s'est passé à l'époque, mais en le regardant, ce n'est pas ce qui me préocuppait le plus.

Autre film intéressant d'un point de vue historique, même si il reste extrêmement romancé, Danse avec les Loups de Kevin Costner se penche sur la guerre de Sécession observée de loin par des yeux inquiets des conséquences que le conflit pourrait amener et qu'il finira par amener.

La barrière de chair de Seijun Suzuki raconte le Japon d'après Guerre au travers d'une histoire symbolique d'un groupe de prostituées qui "accueillent" un homme parmis elles, ce qui aura des conséquences imprévisibles. Un récit qui critique ouvertement un Japon rabaissé et humilié, appellé à se relever de sa désastreuse défaite.

[Billy Budd]

L'Allée du Roi de Nina Companeez.
Ce n'est pas vraiment un film, mais une des plus belles productions françaises de ces dernières années à mon sens. Cette renconstitutionde la vie de Madame de Maintenon, depuis son enfance misérable dans les rues de la Rochelle jusqu'à sa vie auprès de Louis XVI, ne vise pas à la parfaite vérité historique, mais présente un portrait de femme du XVIIème siècle, ambitieuse mais attachante et, à travers elle, le siècle du Roi soleil.

Ce n'est pas Louis XVI, mais XIV

Bien que le propos ne soit pas vraiment le même, je préfère largement Saint Cyr qui, à mon sens, traite cette époque avec bien plus d'acuité