Je gardais de ma première vision un souvenir assez vaporeux (d'autant plus que c'était en VF plein écran). Je précise, puisque cela semble être un élément de détermination important, que j'avais lu le
Cycle de Dune en entier avant (inoubliable expérience de lecture). Suite à une récente nouvelle vision au bon format d'image et de langue, je viens irriguer un peu ce topic, complétant à l'occasion certaines informations du premier poste de Jake "Metal rider" Scully.
Quand bien même je souscrirais au principe qu'une adaptation cinématographique doit avoir une valeur en soi, décontextualisée de sa source, j'estime que la plaisir que je prends devant ce film provient du fait que j'en connais l'histoire et les personnages et que je suis capable de compléter les lacunes du récit proposé par Lynch. Je considère son film avant tout comme une
illustration de ce monument de la littérature, et me réjouis de voir ainsi s'animer sous mes yeux les Duncan Idaho, Gurney Halleck, Feyd-Rautha, et autres Révérende mère, et de les entendre prononcer les étranges et familières inventions linguistiques d'Herbert.

Je crois que Lynch a fait preuve de sincérité et d'humilité dans l'écriture d'un scénario qu'il signe seul, tâche écrasante s'il en est. Je trouve qu'il se sort plutôt habilement des scènes d'exposition, les rendant vivantes et pleines d'informations à la fois (même si le spectateur doit faire preuve d'une attention soutenue). On ressent vraiment l'attachement et la fidélité des seconds rôles qui composent l'entourage des Atréides, les enjeux politiques sont bien là (entre l'Empereur, la Guilde des navigateurs, les Atréides, les Harkonnens, le Lansraad), de même que toute la dimension mystique de l'oeuvre d'origine. Même si c'est inévitablement simplifié, la lecture de Lynch prouve sa compréhension, sa sensibilité, ses efforts pour être le plus fidèle à l'oeuvre et le plus inspiré sur l'écran. L'emploi assez fréquent de la voix off, procédé très littéraire, crée un curieux décalage qui, à force, tente de rendre familière cette civilisation où l'on peut pénétrer les pensées des autres.
Le script n'est pas avare en "bizarreries lynchiennes". Le Baron Harkonnen, cruel, excessif, crée dès sa première apparition une ambiance trouble et malsaine (proche de la Marietta ou du Bobby Peru de
Wild at heart). On le voit en train de se faire soigner (?) ses affreux pustules, avant de massacrer un jeune éphèbe qui venait déposer des fleurs en plastique (!). Tout ce qui touche aux Harkonnens est d'ailleurs d'une sauvagerie sans complaisance, faite de chair et de sang. Quand Lynch décide de faire mal, il va jusqu'au bout, créant des images assez mémorables (la main de Paul qui se consume lors de l'épreuve de la boîte). De même, la représentation des visions de Paul, à base de flashes d'images surréalistes, est comparable à celles qu'on trouve dans
Eraserhead, Blue velvet, Fire walk with me ou
Lost highway.

Paul Atréides semble traverser toutes les épreuves qui menacent son existence comme un dormeur au fil de son rêve. Ne le voit-on pas, lors de sa première apparition, rêvasser devant un écran qui lui détaille les différentes planètes de l'Empire ? La suite du film s'apparente à une lente et continue opération pour le sortir de ce rêve et l'amener enfin à la totale conscience de lui-même, qui, dans son cas, sera également la pleine conscience de l'univers. Et il est vrai que le spectateur lui-même peut partager ce point de vue, et plonger dans la fascination onirique des images du film et de certains décors, jusqu'au réveil final lors de la cérémonie de l'épice où Paul boit l'eau de vie, et qui fera alors basculer le récit dans la charge guerrière de la fin. Je trouve très belle la scène où Paul reçoit l'illumination dans le désert, lorsqu'il y est abandonné avec sa mère par les Harkonnens. Il fait un rêve éveillé, parsemé d'étranges visions qui sont en fait l'expression de sa prescience qu'il ne maîtrise pas encore, et soudain se tourne vers sa mère en lui annonçant qu'il sait qu'elle est enceinte. Jessica se demande alors s'il est bien l'élu, le Kwizatz Haderach, celui dont les Bene Gesserits redoutent la venue, et que les Fremens attendent.
Je ne me leurre pas pour autant, et la frustration est réelle de voir certains éléments sous-exploités. On peut regretter que le second acte (la fuite de Paul et Jessica, leur intégration chez les Fremens) soit un peu trop vite expédié. Les Fremens eux-mêmes manquent clairement d'épaisseur. On les voit trop peu vivre. Le désert, en dehors de ses très beaux vers des sables, a assez peu de réalité. À partir de là, Paul cesse en fait d'être un personnage auquel on puisse s'identifier, il apparaît plus distant et sans doute, Lynch parvient-il à l'élever ainsi au rang divin auquel il est promis. L'amour qui le lie à Chani n'a rien d'émouvant. Leur relation nous est donnée comme un simple constat, comme quelque chose qui était écrit et devait se réaliser. Une telle démarche court néanmoins le risque de brider l'empathie du spectateur.
Pour répondre à l'ambition du projet, et à sa prise en main ambitieuse du script, Lynch est parvenu à réunir autour de lui un casting assez classieux : Brad Dourif (le mentat Harkonnen Piter De Vries), José Ferrer (l'Empereur Shaddam IV), Jürgen Prochnow (le Duc Leto), Patrick Stewart (Gurney Halleck), Max von Sydow (Dr Kynes), Dean Stockwell (Dr Yueh), Sean Young (la belle Chani), ou Sting qui dégage un charisme incroyable à chacune de ses (trop brèves) apparitions. Kyle MacLachlan faisait ici sa première apparition cinématographique, devenant pour un temps l'alter ego de son réalisateur (
Blue velvet, Twin peaks). On notera également les présences de Freddie Jones (Thufir Hawat), qui jouait l'atroce forain de
Elephant Man, de Jack Nance (l'inoubliable protagoniste de
Eraserhead) en Harkonnen muet dont on ne saisit jamais vraiment l'utilité, ainsi qu'une brève apparition de Silvana Mangano dans le rôle de la Bene Gesserit des Fremens.

Côté techniciens, Lynch retrouve le vétéran Freddie Francis, son chef opérateur de
Elephant man (ils travailleront encore une fois ensemble sur
The Straight story). De même, le sound designer Alan Splet est de la partie afin de créer ces étranges textures sonores qui baignent tous les films de Lynch, de
The Grandmother à
Blue velvet (ils se sont connus aux Beaux-arts) : bruits de ventilation, de machines, etc.
Dune ayant l'ambition d'être un nouveau jalon du space-opera, se devait d'être spectaculaire et d'assurer son accroche publicitaire :
« Un monde au-delà du rêve, un film au-delà de votre imagination. » Le résultat souffre malheureusement du manque d'expérience de Lynch, ou en tous cas de son incapacité à mettre en valeur ses décors et matte paintings, pourtant très soignés. Les effets spéciaux optiques, incrustations et transparences sont plus qu'approximatifs, beaucoup semblent inachevés. Les scènes de batailles sont cadrées et montées sans dynamisme, faisant vraiment tomber à plat le climax du film. Cette charge des Fremens montés sur les vers n'a en effet rien de palpitant. Bénéficiant d'un très grand nombre de figurants, il peine vraiment à les diriger pour créer des plans impressionnants. Les cascades font un peu trop appel au trampoline, et les rayons lasers semblent ne jamais toucher leur cible. Il faut dire à ce sujet que les figurants jouent vraiment très mal, qu'ils soient au premier ou au second plan. On aurait presque de la peine pour eux.Seul le travail de Carlo Rambaldi apparaît vraiment réussi et irréprochable. C'est à lui qu'on doit la conception et l'animation des navigateurs de la Guilde, et des vers des sables (ces derniers sont d'une totale crédibilité).

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir avec soi des noms prestigieux des effets spéciaux. Terry Cox (
Brazil, Labyrinth, Who framed Roger Rabbit, Batman, Alien 3, Interview with a vampire, Saving private Ryan) ou Kit West (
Return of the Jedi, Young Sherlock Holmes, Empire of the sun, Dragonheart). Parmi les cascadeurs on trouve le nom de Vic Armstrong, autre grand spécialiste qu'on trouve au générique de pas mal de James Bond (de
You only live twice à
Die another day), mais aussi
Superman, Raiders of the lost Ark, Conan the barbarian, Legend, Total Recall, Last action hero, Starship troopers, Charlie's angels, Gangs of New York.
La part du producteur n'est sans doute pas négligeable dans cette incapacité à avoir su exploiter ces talents. Le film a été produit au Mexique par Raffaella De Laurentis sous la houlette de son père Dino. En parallèle, et sans doute dans un souci de rentabilité, se déroulait le tournage de
Conan the destroyer. Richard Fleischer et Lynch ont pas mal souffert de cette cohabitation forcée, devant alors se mettre d'accord pour ne pas mélanger dans le même plan barbares et Fremens. Je ne reviendrais pas sur le fait que Lynch n'a pas bénéficié du final cut (qu'il exigera par la suite systématiquement, au prix de budgets moindres), et que le temps a sans doute manqué pour finaliser certains effets. On n'est pas obligé de tenir compte de tous ces éléments pour juger le film (j'évite sciemment l'appellation de "grand film malade"). Mais malgré tous ces défauts qu'on peut donc imputer à la fois aux difficultés de production et au manque d'expérience du réalisateur, il n'en reste pas moins que
Dune parvient à quelque chose de suffisamment ambitieux et singulier pour qu'on puisse le considérer comme un film important dans le genre de la science-fiction, considérée autrement que comme un divertissement sans conséquence.

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