Bad Men of Missouri (1941) de Ray Enright
WARNER
Sortie USA : 26 juillet 1941
Les célèbres bandits ont décidément la cote dans le Western de ces années là. Au lieu de les décrire comme les ‘Bad Guy’ qu’ils étaient réellement, le cinéma les idolâtre. Il y eut donc Billy le Kid et les Daltons et, après Jesse James, son frère Frank et Belle Starr, c’est au tour des frères Younger de s’avancer sur les devants de la scène. Comme leurs trois prédécesseurs, et selon la légende hollywoodienne, ce sont uniquement à cause des tristement célèbres Carpetbaggers qu’ils vont devenir hors-la-loi et, tels des Robin des Bois du Far West, faire profiter leurs larcins aux petits propriétaires terriens sudistes spoliés par les vils hommes d’affaires du Nord. Revenons rapidement sur ces Carpetbaggers dont le nom revient souvent ici. Qui étaient-ils ? Cette appellation péjorative date de la période de reconstruction qui suivit la Guerre de Sécession et englobe les hommes venus de l’ex-union pour s’installer dans les états du Sud et spéculer sur la situation confuse qui y régnait alors. De véritables profiteurs de guerre qui arrivaient avec des sacs en grosse toile, d’où cette étrange dénomination. Ce sont eux qui spolièrent les fermiers, les délogeant et volant carrément leurs terres sous prétextes divers et variés. Moins connu, il y eut néanmoins aussi des profiteurs de guerre sudistes, ceux-ci étant appelés les Scalawags. Retournons à nos moutons, ici les trois frères Younger qui firent partie un certain temps du célèbre gang conduit par Jesse James.

1865, la Guerre de Sécession a pris fin. La monnaie confédérée ayant perdu toute sa valeur, les habitants des ex-Etats du Sud ne peuvent plus payer leurs impôts au gouvernement américain. Des hommes d’affaires sans scrupules sautent sur l’occasion, règlent les dettes des fermiers en sachant très bien que ces derniers seront dans l’impossibilité de rembourser. C’est effectivement ce qui se produit et les pauvres agriculteurs se voient acculés à revendre leurs terres aux businessmen et à partir vers de nouveaux horizons. De retour de la guerre civile, Cole (Dennis Morgan), Jim (Arthur Kennedy) et Bob Younger (Wayne Morris) ont la désagréable surprise en arrivant dans leur ville natale du Missouri de voir tous leurs amis sur le départ suite aux diverses spoliations. Seul le père des trois frères refuse encore de quitter sa ferme mais il est lâchement abattu alors qu’on venait le déloger. Les Younger se lancent alors, suivant l’exemple de Jesse James (Alan Baxter), dans l’attaque de trains, diligences et banques, le butin étant redistribué aux fermiers qui peuvent ainsi s’acquitter de leurs taxes et rester sur leurs terres au grand désespoir de William Merrick (Victor Jory), l’extorqueur local et de son âme damnée, le tueur sans pitié Greg Bilson (Howard da Silva). La tête des Younger est mise à prix et ils n’auront alors de cesse de fuir et de se cacher…

Pas grand chose à dire de cette petite série B sans prétention, le film typique destiné à remplir les après midi pluvieuses des westernophiles forcenés, les autres pouvant passer leur chemin. En effet, si Ray Enright se montre plutôt habile pour le deuxième western d’une longue lignée à venir, il ne fait pas non plus d’étincelles. Mettant l’accent avant tout sur l’action, il ne s’embarrasse guère (voire pas) de psychologie et nous délivre un film court et mouvementé mais dénué de chair et privé d’émotion, les trois acteurs principaux, quoique sympathiques, manquant singulièrement de charisme. Arthur Kennedy n’est encore pas l’immense comédien qu’il deviendra ; Dennis Morgan et Wayne Morris n’ont pas la carrure de leurs personnages. A leur décharge, le scénariste ne leur a pas non plus franchement donné l’occasion de pouvoir se surpasser, préférant donner à Dennis Morgan la possibilité de pousser la chansonnette plutôt que de lui construire un rôle solide. On retiendra plus les ‘vilains’ qui possèdent de vrais gueules de sales types à commencer par un Victor Jory assez crédible et plus encore l’inquiétant Howard Da Silva qui trouvera à se faire une spécialité de ce type de tueurs sans scrupules. Walter Catlett, dans la peau du trésorier de Victor Jory, est là pour faire le clown de service ; quant à Jane Wyman, elle n’est malheureusement présente que pour nous présenter son beau visage en pleurs à chaque fois que son Jim Cole d’époux quitte le foyer pour aller chevaucher vers de nouveaux dangers.

Mais l’important n’est visiblement pas là ! Ray Enright nous emballe un western plein d’humour et d’action ne visant qu’à divertir. Nous pourrons donc assister à une bagarre à poings nus sur le toit d'une diligence en mouvement, à une carriole caracolant avec deux enfants épouvantés à bord, à une débandade en plein centre ville d'un troupeau de vaches, à des attaques de train par le gang James-Younger… Le réalisateur est surtout doué pour ce genre de séquences et utilise aussi beaucoup la succession de fondus enchainés en guise d’ellipses temporelles. Mais contrairement à la Fox pour son Jesse James, la Warner n’a pas octroyé à son équipe de moyens conséquents pour cette autre biographie romancée ; il s’agit d’un film de série sans conséquence (mais pas forcément mauvais) qui pourra faire passer un agréable moment à la condition expresse de ne pas trop en demander et surtout de ne pas trop en attendre car le scénario ne contient aucun éléments nouveaux ni franchement passionnants, la réalisation est purement fonctionnelle et l’interprétation est à l’image du film, tout juste moyenne. Vous voilà prévenus !
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Wild Bill Hickok Rides (1942) de Ray Enright
WARNER
Sortie USA : 31 janvier 1942
A peine six mois après
Bad Men of Missouri, Ray Enright remet le couvert avec quasiment la même équipe technique et les mêmes ingrédients, toujours sous l’égide de la Warner et sa production de westerns à petits budgets. Abandonnant les hors-la-loi célèbres, le cinéaste et son scénariste Charles Grayson se focalisent désormais sur l’un des plus fameux tireurs de l’Ouest, l’aventurier Wild Bill Hickok. Ce dernier était un bagarreur notoire mais oeuvrant toujours pour la loi et la justice. Il gagna son surnom de Wild Bill suite à ses actes héroïques durant la Guerre Civile américaine alors qu’il s’était engagé dans les rangs de l’Union. Il fut ensuite tour à tour shérif adjoint au Kansas puis éclaireur pour l’armée (c’est là qu’il portera sa fameuse veste en daim) avant d’être nommé shérif dans plusieurs villes différentes toujours au Kansas. Il fit ensuite partie du spectacle itinérant de Buffalo Bill avec qui il était ami puis devint chercheur d’or dans le Wyoming avant de se rendre dans les Black Hills en compagnie de Calamity Jane. Il fut tué à Deadwood lors d’une partie de poker. Une vie sacrément mouvementée mais sachez que l’histoire que raconte le film de Ray Enright n’est absolument pas une biographie du personnage ; je ne saurais dire si les faits narrés sont réels, en tout les cas c’aurait pu être l’une de ses très nombreuses aventures, cette dernière s’étalant sur un très court laps de temps à partir de 1871.

L’incendie de Chicago. Alors qu’une partie de la ville croule sous les flammes, des hommes d’affaires malhonnêtes, contemplant la catastrophe, s’en moquent un peu ; ils ont déjà dans la tête une nouvelle idée pour s’enrichir. Harry Farrel (Warren William) a un plan pour prendre le contrôle d’une ville du Wisconsin et toutes ses terres alentour, la région d’élevage de Powder River. Ayant placé lui même à sa tête Edmunds (Ward Bond), un shérif véreux, Farrel compte sur ce dernier pour l’aider dans son ignoble tâche. Ayant appris que les éleveurs du coin ne détenaient aucun papier administratif justifiant qu’ils soient propriétaires de leurs terres, il loue des hommes afin que ces derniers les revendiquent à leur tour pour faire tomber ensuite toutes les parcelles entre ses mains. Mais Ned Nolan (Russell Simpson), l’homme à qui appartient la terre la plus fertile, ne veut rien entendre et préfère se battre plutôt que de céder. Le shérif Edmunds monte une cabale contre lui ; il est accusé de meurtre puis lynché sans sommation. La place semble libre pour les spoliateurs ; c’était sans compter sur l’arrivée en ville du vieil ami de Nolan, le fameux Wild Bill Hickok (Bruce Cabot) qui était revenu pour l’anniversaire de Jane (Betty Brewer), la jeune orpheline qu’ils avaient recueillis tous deux. Avec l’aide de Belle Andrew (Constance Bennett), une Gambling lady venu de Chicago avec Farrel pour tenir une maison de jeu, il va organiser la lutte pour que les éleveurs puissent rester sur place avec leurs bêtes à cornes…

Une intrigue toute simple pour un film qui ne l’est pas moins, pétarades et cavalcades étant les maîtres mots de cette plaisante série B sans aucune prétention autre que de nous divertir à la condition de ne pas en attendre plus d’un western. Si les cavalcades ressemblent étrangement à celles du précédent western de Ray Enright (on remplace juste les enfants de
Bad Men of Missouri par des Saloon Gal lors de la débandade d’une carriole dont les chevaux s’emballent), les séquences de bagarres avec armes à feu paraissent un peu forcées et feront certainement aujourd’hui sourire ; malgré que Bruce Cabot ait l’air de ne pas trop savoir tenir un revolver, à chaque tir il fait mouche, les 'Bad Guy' continuant néanmoins à se présenter devant lui avec la constance d’un métronome et tombant comme des mouches sans chercher à se protéger. Ceci étant dit, ça tire dans tous les coins, ça bouge pas mal et nous pouvons même assister in fine au sabotage d’un barrage et à la catastrophe qui s’ensuit, tout ceci étant filmé avec une certaine efficacité, le travail sur les maquettes donnant un petit coté magique et naïf à l’ensemble. Clin d’œil ou non, les personnages du film évoquent à un moment donné les frères Younger, les ‘Bad Men of Missouri’ du film du même titre.

Sinon, par rapport à ce précédent western de Ray Enright, on prend les mêmes et on recommence ! Le scénario très léger de Charles Grayson ne s’embarrasse guère de psychologie ni de sentiments et ne se préoccupe pas de donner de l’étoffe à ses personnages mais il ne se révèle pas trop désagréable et même un poil mieux mené que son précurseur ; la mise en scène de Ray Enright sait être parfois dynamique mais reste le plus souvent conventionnelle. On trouve cependant de bonnes choses niveau casting mais ce n’est pas vers les ‘héros’ qu’il faut tourner ses regards mais surtout, comme pour le précédent, du côté des ‘méchants’. Après Arizona de George Marshall, Warren William prouve une nouvelle fois qu’il pouvait interpréter à la perfection les pires salauds, le tout avec une certaine classe et une belle élégance. A ses ‘mauvais’ côtés, Ward Bond dans la peau du shérif véreux, Howard Da Silva méconnaissable en juge de l’accusation ou encore, clown de service à nouveau, Walter Catlett en ‘journaliste-barbier’ couard. Car, si l’on passe du bon côté de la loi, Bruce Cabot, pas déshonorant, ne nous fera cependant jamais oublier le Wild Bill charismatique de Gary Cooper dans le très mal nommé en français
Une Aventure de Buffalo Bill (
The Plainsman de Cecil B.DeMille), Betty Brewer est insupportable et on comprend que sa carrière se soit arrêtée peu de temps après (elle joue ici une fillette de 12 ans alors qu’elle en avait 18), Constance Bennett fait, durant son faible temps de présence, ce qu’elle peut et plutôt bien surtout lors de sa chanson et le sympathique Russell Simpson n’a décidément pas de chances sous la direction de Ray Enright, ce dernier l’envoyant à chaque fois ‘Ad patres’ dès la fin du premier tiers du film. Bref, un petit film pas trop désagréable mais sans grandes surprises réservé avant tout aux aficionados.
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Les Ecumeurs (The Spoilers, 1942) de Ray Enright
UNIVERSAL
Sortie USA : 08 mai 1942
Ne serait-ce que pour la première et unique rencontre (dans le genre qui nous préoccupe) des deux plus importants cow-boys de l'histoire du cinéma,
Les Ecumeurs mériterait de rester dans les annales. Sans ça, il n'en est pas moins un très honnête divertissement (un peu l'équivalent du
Honky Tonk réalisé par Frank Lloyd pour la MGM mais en beaucoup moins classieux) mais ne fait toujours pas franchement décoller l'année 1942, cette dernière en ce début mai attendant encore un grand film dans le genre.
1900 : Nome (Alaska), en plein boom de la ruée vers l’or. De prétendus agents du gouvernement font régner la loi dans la région en spoliant les chercheurs d’or ; le vol de concessions sous couvert juridique va bon train. Les petits propriétaires décident alors de s’associer à Glennister (John Wayne), détenteur d’un des plus gros gisements de la région, pour contrer les ‘écumeurs’ menés par Alexander McNamara (Randolph Scott), pourtant commissaire aux mines. Avec l’aide d’un juge véreux, McNamara essaie de s’approprier les terrains aurifères les plus juteux dont le filon découvert par Glennister. Ce dernier, trompé par ses adversaires, perd le bénéfice de ses parts et est envoyé en prison. Au milieu de tous ces imbroglios, on trouve Cherry Malotte (Marlene Dietrich), patronne du saloon, tiraillée entre la jalousie de voir son amant Glennister reluquer la nièce du juge, l’amour intense que lui porte le croupier (Richard Barthelmess) et la tentative de séduction du peu recommandable McNamara. Elle finira par aider Glennister à contrecarrer les sombres complots du fonctionnaire malhonnête en jouant de ses charmes pour neutraliser ce dernier.

Même si
Les Ecumeurs date seulement de 1942, il n’en est pas moins la 4ème adaptation d’un célèbre roman de Rex Beach publié en 1906. La première avait vu le jour en 1914 et William Farnum (qui joue le juge véreux dans la version Enright) tenait alors le rôle de Glennister. En 1930, ce fut au tour de Gary Cooper d’endosser le rôle du mineur. Mais le western couronné de succès de Ray Enright demeure encore aujourd’hui la version de référence pour cette histoire. Il fait partie de ce courant "westernien" faisant se dérouler ses intrigues à l’époque de la ruée vers l’or, signifiant la plupart du temps une limite géographique se situant au Nord-Ouest des USA, au Klondyke plus particulièrement. Dès 1925, dans
La ruée vers l’or, Charlie Chaplin posait les bases de ces "Northern western" en décrivant de façon inoubliable la faune grouillante s’étant établie dans ces terres froides : ses chercheurs d’or avides, ses hommes de loi véreux, ses saloons débordant de vitalité, de filles et de violence… Avec
Les Ecumeurs, on voit apparaître le premier vrai fleuron de ses westerns narrant avec nonchalance, sans jamais se prendre vraiment au sérieux, les problèmes opposant les mineurs aux "spoilers" en Alaska et alentours.

Comme un grand nombre de westerns de l’époque, il n’a pas d’autres prétentions de départ que de divertir et il faut bien avouer qu’il y réussit fort bien, Enright ayant eu un budget plus conséquent que quand il tournait à la Warner et sa mise en scène se révélant plus dynamique et bien plus carrée. Mais le film se révèle surtout un formidable véhicule pour ses trois têtes d’affiche. John Wayne venait pour la seconde fois soutenir la carrière, chancelante à l’époque, de Marlene Dietrich. Très à son aise dans la peau de cet aventurier un peu lourdaud (son culot et son indélicatesse lui font recevoir une gifle mémorable donnée par Marlene Dietrich), il arrive pourtant à être éclipsé par ses deux partenaires. Randolph Scott se sort avec les honneurs de son rôle de"Bad Guy", son sourire et son aisance faisant merveille. Mais
Les Ecumeurs demeure avant tout un film dans lequel Marlene Dietrich brille de tous ses feux. "
Tu serais belle même dans un sac de jute" lui rétorque à un moment donné Wayne/Glennister. Il s’agit du second rôle de Marlene en tant que "saloon gal" après l’avoir été dans
Femme ou démon (
Destry Rides Again, 1939) de George Marshall où elle avait pour partenaire le tout jeune James Stewart. Belle, enjôleuse, joviale, indépendante, énergique, boudeuse, difficile à conquérir, elle impose ici la vision archétypique de ce genre de personnage dans le western, la femme à la fois forte et frivole. Dans la peau de cette "lady" à la moralité pas tout à fait irréprochable mais au cœur grand comme ça, l’actrice se fait plaisir et monopolise le film, ses partenaires et les spectateurs. Le port altier, se déplaçant nonchalamment aux milieux des rues boueuses du Klondyke, elle attire tous les regards et attise tous les désirs. Toujours élégamment vêtue de robes façonnées sur mesure, elle est en outre magnifiquement et amoureusement photographiée et il ne fait pas de doutes que le héros ne pourra que tomber dans ses bras plutôt que dans ceux de la trop sage et réservée Margaret Lindsay, d’autant plus que cette dernière se révèle in fine faire partie du gang des écumeurs. En conclusion, même sans être fan de ce genre de films, la prestation de Dietrich ne pourra que séduire le plus grand nombre surtout que les dialogues qui lui sont confiés sont remplis de sous-entendus. Par contre, il faut prévenir les amoureux de la "chanteuse Dietrich" qu’elle ne pousse ici à aucun moment la chansonnette.

Toujours par sa distribution, ce western de série nous propose d’autres occasions de nous réjouir : nous avons la chance de trouver parmi les seconds couteaux, deux acteurs bien oubliés de nos jours. Tout d’abord, le sympathique Harry Carey, ici l’associé de John Wayne, vieux cow-boy philosophe n’arrivant pas à dompter son fusil "‘Betsy" qui tire sans prévenir. Puis Richard Barthelmess et son air de chien battu, amoureux transi de Marlene Dietrich et qui n’hésitera pas à faire accuser de meurtre son rival en amour. Ceux qui connaissent cette merveille du 7ème art qu’est
Seuls les anges ont des ailes de Howard Hawks savent quel très bon acteur il était.

Avec un postulat de départ convenu, des situations courantes et sans grandes originalités, comme on peut s’en douter, le film ne cherche pas à délivrer un quelconque message ; il s’agit là, comme nous l’avons déjà signifié, de pur divertissement mené de main de maître par un artisan qui a du métier, le réalisateur Ray Enright, surtout célèbre pour avoir dirigé Rintintin et des chorégraphies de Busby Berkeley. Il ne s’embarrasse d’aucune psychologie ou bavardage mais va de l’avant avec une célérité étonnante. Film efficace, enjoué, d’une belle vitalité et plein d’humour, il nous gratifie en outre d’une des scènes de pugilat les plus spectaculaires du cinéma. Une science du découpage étonnante et une caméra très légère font de cette scène justement célèbre un must pour les amateurs. Les deux acteurs principaux restent crédibles tout du long malgré la présence de deux cascadeurs, ce qui prouve la brillance du montage. Enfin, ce "western" nous propose aussi quelques fulgurances et autres superbes plans comme celui qui ouvre le film nous faisant voir un train arrivant au milieu de la ville aux rues boueuses grouillantes d’un monde bigarré ou cette autre, toujours avec un train, ce dernier défoncant une barrière avant de dérailler. Film gentillet, loin d’être inoubliable mais qui a le mérite de faire passer un bien agréable moment, les lacunes du scénario étant palliées par l’inattaquable métier du réalisateur et la qualité du casting.
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Du Sang sur la Piste (Trail Street, 1947) de Ray Enright
RKO
Sortie USA : 19 février 1947
Au 19ème siècle, Wyatt Earp ne fut pas le seul Marshall célèbre pour son efficacité à ‘faire le ménage’ dans les villes turbulentes du Far-West. Il y eut aussi entre autres William Barclay Masterson plus connu sous le surnom de Bat Masterson, né en 1853 et décédé en 1921. Il fut chasseur de bisons, éclaireur de l’armée américaine et joueur avant de devenir un nom redouté parmi les hors-la-loi, son premier coup de maître ayant été de ‘nettoyer’ Dodge City de la vermine qui la vérolait. Pourtant au départ, il ne rêvait que d’être journaliste, ce qu’il deviendra par la suite en tant qu’éditorialiste sportif dans les colonnes du New York Morning Telegraph. Albert Dekker interpréta ce personnage en 1943 au côté de Claire Trevor dans un western de George Archainbaud,
The Woman of the Town que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de voir. Quatre ans après, c’est au tour de Randolph Scott d’endosser la défroque de cet homme de loi réputé sous la direction de Ray Enright, honnête artisan qui, après en avoir réalisé pour la Warner et l’Universal, tourne ce western pour la RKO.

Liberal, petite ville du Kansas dont la rue principale est le terminus d’une piste utilisée pour convoyer les bêtes à cornes (d’où le titre Trail Street), endroit à partir duquel elles partent pour Chicago après avoir été vendues. Une plaque tournante du commerce du bétail où, au grand dam des éleveurs, des fermiers viennent pourtant s’installer en masse avec leurs clôtures. Non seulement la terre sèche du Kansas ne leur permet pas d’obtenir de belles récoltes mais quand ils réussissent, les champs de blés sont constamment décimés par l’arrivée des troupeaux ; en effet, les cow-boys ne supportant pas l’installation de ces indésirables laissent allègrement leurs bêtes tout saccager sur leur passage. Si certains fermiers tentent de se défendre, la plupart décident de quitter l’état ; Allan Harper (Robert Ryan), honnête homme d’affaires qui a tout misé sur le succès des agriculteurs est dépité. Un espoir lui est pourtant donné par la découverte d’un des fermiers qui lui assure que la victoire est à portée de main. Logan Maury (Steve Brodie) qui souhaite régner sur la région , le vil tenancier de Saloon Carmody (Billy House) et Lance Larkin (Harry Woods), éleveur inquiétant avec qui ils sont en cheville, ayant surpris ce secret qui risque d’entraver leur ascension, font assassiner le fermier. Trop tard car d’une part Allan Harper sait désormais ce qu’il faut faire pour retenir les agriculteurs dans la région, de l’autre le vieux Billy Burns (George ‘Gabby’ Hayes), agacé par les cow-boys turbulents, a appelé à la rescousse son ami Bat Masterson qui vient de prouver son efficacité en nettoyant la ville de Dodge City avec l’aide de Wyatt Earp. Les 'affreux’ éleveurs n’ont qu’à bien se tenir !

Eternel conflit entre fermiers et éleveurs, volonté des habitants de retrouver une ville apaisée et tranquille, réflexion sur la loi et l’ordre en opposition avec la justice populaire… Rien de bien neuf sous le soleil du western, le sujet ayant déjà été traité à maintes reprises, et rien non plus de très stimulant dans cette modeste série B sans prétention ! Les amateurs devraient pourtant passer un agréable moment du fait de la présence de Randolph Scott, égal à lui-même dans le rôle du Marshall Bat Masterson, homme droit, valeureux et indémontable avec presque constamment le sourire aux lèvres malgré les soucis qu’il a à gérer. En revanche, les deux femmes du film ne lui tournent absolument pas autour tellement il semble avoir assez à faire par ailleurs. Nous n’assisterons donc à aucune quelconque romance concernant le Marshall mais à deux autres sans véritable intérêt. Très peu loquace, Masterson ne manque pas de faire fuser quelques phrases bien senties qu’on aurait pu voir sorties de la bouche d’un Tuco ou d’un Blondin vingt ans plus tard ; jugez plutôt à travers la réponse qu’il balance à son adversaire qui a osé l’interpeler par son surnom ! «
Listen, fella, there's only two kind of people I allow to call me Bat : good friends and people I like. You don't belong in either group ! » Très à l’aise dans ce personnage d’une loyauté à toute épreuve qu’il avait eu à maintes reprises l’occasion de forger ses derniers temps, dès
Trail Street, Randolph Scott décide de ne plus tourner que des westerns tout le restant de sa carrière. Et effectivement, après
Christmas Eve sorti la même année sur les écrans, on s’apercevra qu’il aura tenu parole n’étant plus jamais délogé de son genre de prédilection où il fera constamment merveille même si beaucoup le considèrent encore comme un acteur très limité.

Mais pour le fan que je suis, il aura fallu patienter vingt minutes avant de le voir apparaître et c’est pour rapidement s’apercevoir que ce ne sera pas nécessairement lui qui aura le plus de temps de présence mais George ‘Gabby’ Hayes qui trouve peut-être ici son rôle le plus conséquent. Habituel partenaire de John Wayne entre autres, c’est un peu lui qui aura mis en place le personnage du vieux grincheux édenté dont Walter Brennan et Arthur Hunnicut se feront également une spécialité. Il amène ici pas mal d’humour, Billy Burns étant un bavard impénitent ne sachant pas s’arrêter une fois lancé et racontant à tour de bras des anecdotes qui feraient passer les histoires marseillaises pour raisonnables et mesurées. L’autre comédien qui se trouve souvent sur les devants de la scène dans
Trail Street n’est autre qu’un tout jeune Robert Ryan que l’on découvre pour la première fois dans un western ; son interprétation n’est guère marquante mais il faut dire pour sa défense que le personnage qu’il doit interpréter est franchement falot. Il en va de même pour le reste du casting qui ne se démarque guère, que ce soient les deux actrices, Anne Jeffreys et Madge Meredith ou les acteurs interprétant les Bad Guys. Si le corpulent Billy House arrive à faire impression, il n’en est pas de même de Steve Brodie, plus que terne et par la même très peu crédible pour un homme qui souhaite régner sur toute une région.
Il est clair que seuls les inconditionnels du genre pourront trouver à cette série B mollassonne et bavarde un quelconque intérêt à condition de ne pas attendre de furieuses chevauchées et de majestueux grands espaces à chaque coin de pellicule. Dans ce western urbain, il faudra qu’ils aillent chercher de l’agrément du côté des chansons fredonnées par Anne Jeffreys dont l’excellente ‘
You're Not the Only Pebble On the Beach’, des considérations politiques sur l’avenir du Kansas, des observations agricoles sur la culture du blé, des scènes d’actions assez bien menées notamment la dernière fusillade en centre ville où les éleveurs se font piéger par tous les habitants. Ils pourront aussi écouter avec amusement les histoires de George Gabby Hayes et découvrir avec étonnement un plan superbe voyant Robert Ryan ouvrir une fenêtre découvrant d’immenses champs de blé balayés par les vents. Sans surprise et sans véritable rythme mais avec suffisamment d’éléments sympathiques qui satisfassent les amateurs peu exigeants, notamment la belle prestance de Randolph Scott.
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La Descente Tragique (Albuquerque, 1948) de Ray Enright
PARAMOUNT
Sortie USA : 20 février 1948
L’année 1948 allait commencer sous le signe de la routine. Avec
Albuquerque, western que l’on croyait perdu avant de ressortir miraculeusement des tiroirs il y a peu de temps, Randolph Scott mettait fin à son contrat à la Paramount avant de produire lui-même la quasi totalité de ses films suivants. Et on sent l'acteur effectivement un peu moins concerné que précédemment ; son Cole Armin ne semble pas l’avoir inspiré plus que ça même si l’acteur réussit néanmoins à nous le rendre sympathique en dépit aussi du fait que son personnage soit un peu moins pacifiste qu'habituellement, n'hésitant pas même à en appeler au lynchage (pas bien Randy !). Quant au travail des autres interprètes ainsi que des membres des équipes techniques ou artistiques, il ne dépasse jamais lui non plus le minimum syndical. Ce n’était pas encore cette fois que Ray Enright, honnête technicien, allait nous offrir un western mémorable. Il y eut bien
Les Ecumeurs (
The Spoilers) qui ressortait un peu du lot mais c’était surtout grâce au trio composé par John Wayne, Marlene Dietrich et déjà Randolph Scott, une fois n’est pas coutume, dans le rôle du ‘Bad Guy’ ; pour le reste, le cinéaste n’a jusqu’à présent pas franchement fait d’étincelles et sa descente n’a de tragique que son titre. Alors que j’avais l’habitude de le citer parmi les très bons cinéastes de série B, pour le moment, même s’il n’a rien réalisé de honteux, je révise un peu ma copie en espérant toujours un sursaut qualitatif à venir, sans cependant trop y croire.

Cole Armin (Randolph Scott) se rend en diligence à Albuquerque où son oncle John (George Cleveland) doit lui proposer le poste de directeur d’une société de transport de minerai. La diligence est attaquée et 10.000 dollars sont dérobés à Celia Wallace (Catherine Craig), somme qui devait lui permettre, avec son frère Ted (Russell Hayden), d’ouvrir sa propre société de transport de fret. En arrivant à Albuquerque, Cole se rend compte que le nom de Armin n’est pas franchement apprécié. En effet, couvert par le shérif, le despotique John Armin décourage toute velléité de concurrence et règne en maître sur la ville. Cole ne met pas longtemps à comprendre que la diligence a été attaquée sur les ordres de son oncle pour ne pas que les Wallace puissent égratigner le monopole qu’il voudrait s’octroyer pour étendre son empire. Menaçant son oncle, Cole lui demande de restituer l’argent volé puis refuse son offre de travail. Avec cette somme, il se rend chez les Wallace et se propose de les aider à monter leur propre entreprise. Fou de rage, John Armin envoie la belle espionne Letty Tyler (Barbara Britton) s’infiltrer dans leurs affaires pour, avec les informations obtenues, pouvoir leur mettre plus aisément des bâtons dans les roues. S’ensuivront coups fourrés, sabotages, incendies, etc. Le trio d’associés, entre deux amourettes, devra se battre avec acharnement pour que leur business puisse prendre forme…

Après avoir été à l’origine des premiers Rin-tin-tin, la filmographie 'westernienne' de Ray Enright s’étale sur à peine 12 années et se compose d’environ une quinzaine de titres : en cette année 1948,
Albuquerque se situe donc environ à mi-parcours. Le script de ce film n’est pas des plus réussis même s’il partait d’une idée de départ plutôt intéressante et rarement abordée dans le genre, la description de la compétition que se livraient des sociétés de transport de minerai qui devaient prendre d’énormes risques pour acheminer les métaux précieux à bon port. Assez à l’aise encore ici lorsqu’il s’agit de décrire la faune bigarrée et vivante d’un saloon (les bagarres homériques qui s’y déroulaient dans
The Spoilers sont restées célèbres), Ray Enright l’est un peu moins en extérieurs. La descente tragique (du titre français) qui est censée nous faire vibrer (à cause du sabotage du frein d’un chariot chargé à bloc lors de la descente dangereuse qui part des mines pour arriver dans la vallée), avec ses vilaines toiles peintes beaucoup trop visibles et un montage bien paresseux, nous laisse franchement sur notre faim. Le combat à mains nues qui oppose Randolph Scott à Lon Chaney Jr paraît aussi un peu poussif, ce dernier gardant sa cigarette à la bouche pendant toute la durée du pugilat et les cascadeurs paraissant manquer cruellement d’agilité et de conviction. Beaucoup d’autres invraisemblances dans ce scénario assez terne dont l’immense et improbable facilité qu’a le personnage de l’espionne d’inspirer confiance à ses ‘ennemis’ en une poignée de secondes. On pourra rétorquer que le très joli minois de Barbara Britton doit y être pour beaucoup mais quand même, un peu plus de rigueur messieurs les scénaristes !

S’agissant d’un film de série de la Paramount (avec pourtant un budget assez important mais qui ne se voit guère à l’écran), nous serions d’assez mauvaise foi de juger ce film sur les facilités d’un scénario très convenu qui ne propose au cinéaste que peu de scènes vigoureuses ; mais ces dernières étant très peu enthousiasmantes, il ne nous reste plus grand-chose à nous mettre sous la dent. En revanche, nous retrouvons les longs travellings et mouvements de caméra dont le cinéaste raffole, dont l’un superbe en contre-plongée, suivant sur environ une bonne trentaine de secondes Randolph Scott et Gabby Hayes traversant une rue ensoleillée, quelques plans fulgurants sur les visages comme celui inquiétant de Lon Chaney cigarette au bec, et un Gunfight final plutôt rondement mené. Une déception contrairement au précédent Randolph Scott, le très bon
Gunfighters de George Waggner qui nous avait fait découvrir le dépaysant procédé Cinecolor encore utilisé ici. Il fait certes penser un peu à un Techicolor du pauvre mais, sans ironie, le fait de voir des arbres aux feuilles marrons possède un certain charme puisque le vert ne faisait pas partie de la palette de couleurs de cette pellicule. Au final, point d’ennui (de justesse) mais une paresse et des conventions qui devraient lasser tous les non-amateurs.
Les autres, dont je fais partie, entre deux bâillements, trouveront du plaisir à voir de jolies vues en plongées sur la progression des mules à travers la montagne, un Randolph Scott à la belle prestance, superbement vêtu, ne trouvant pas d’autres moyens pour se faire remarquer que de porter le tablier de cuisine en essuyant la vaisselle ou de jouer aux marionnettes pour amuser une petite fille, un pittoresque et amusant George Gabby Hayes cependant plus en retrait que dans
Trail Street, deux actrices rivalisant de beauté et de jolies robes (surtout Barbara Britton que l’on croise souvent en ce moment dans les productions Paramount), un casting de troisièmes couteaux à la mine patibulaire tels Lon Chaney ou John Halloran et enfin un George Cleveland que nous avions plus l’habitude de rencontrer du bon côté de la loi. Dans
Albuquerque, de son fauteuil roulant, il domine tout et n’hésite pas à dévoiler ses vils desseins à qui veut l’entendre : "
On doit se battre pour les contrats. C’est là que tout est permis, sans retenues. L’instinct de conservation s’applique aussi aux affaires : la concurrence doit être étouffée". Paroles et film à consommer avec modération ! Divertissant mais mineur.
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Ton Heure a Sonné (Coroner Creek, 1948) de Ray Enright
COLUMBIA
Sortie USA : 01/07/1948
Même si le parcours est chronologique, avec la possibilité que nous avons de voyager dans le temps pour voir ce qui s’est fait par la suite dans le domaine qui nous préoccupe ici, osons émettre l’hypothèse que les deux films de l’association Randolph Scott / Harry Joe Brown auront été les jalons du western de série B des années 50, celui qu’une grande majorité des aficionados du genre adule par-dessus tout et d’où sortiront les films de Budd Boetticher, André De Toth, Gordon Douglas et autres Joseph H. Lewis, les westerns avec Randolph Scott pour la Columbia, avec Audie Murphy pour la Universal, ceux avec Alan Ladd ou Jeff Chandler en tête d’affiche… Car effectivement, si
Gunfighters de George Waggner et
Coroner Creek de Ray Enright pourront sembler de nos jours très conventionnels, ils possèdent néanmoins d’innombrables points communs qui font penser que les réalisateurs respectifs n’en sont pas à l’origine, des éléments nouveaux qui seront repris à foison par la suite que ce soit par des tâcherons ou des génies. A commencer par des typologies de personnages qui n’étaient pas encore franchement en germe avant 1947, le tireur d’élite qui n’a de cesse de fuir devant les têtes brûlées qui veulent se mesurer à lui (
Gunfighters) ou l’homme étouffé par sa haine et qui ne retrouvera l’apaisement qu’une fois les représailles accomplies comme dans ce
Coroner Creek. Randolph Scott interprètera par la suite des dizaines de personnages dont l’épouse a été tuée ou kidnappée et que la vengeance conduira dans des traques impitoyables ; le film de Ray Enright entame cette série d'une façon tout à fait honnête.

Une diligence est attaquée par un groupe d’Apaches qui semble être commandé par un mystérieux homme blanc ; ses conducteurs et passagers sont abattus sauf une jeune femme qui est kidnappée. 18 mois plus tard, Chris Denning (Randolph Scott) a rendez-vous avec un indien qui en sait beaucoup sur cette violente échauffourée. Il apprend que la femme s’est suicidée avec un poignard trois jours après son enlèvement et que le chef des ravisseurs était un homme blond aux yeux bleus avec une cicatrice sur la joue droite et qu’il est désormais propriétaire d’un relais de diligence. « Big. Strong. Yellow Hair. Blue Eyes. And a Scar on his Right Cheek » : répétant inlassablement ces éléments d’informations, Chris, sillonnant l’Ouest des États-Unis, part à la recherche de l’homme qui a causé la mort de sa future épouse. Il n’aura de cesse de ressasser sa haine jusqu’à ce que sa vengeance soit accomplie. Sa traque prend fin dans la petite ville de Coroner Creek où il retrouve son homme qui s’avère être Younger Miles (George MacReady) qui, avec l’aide du magot volé dans la diligence s’est acheté un ranch et s’est caché sous un masque de respectabilité en épousant la fille du shérif O’Hea (Edgar Buchanan). Miles n’en a pourtant pas fini avec ses malversations puisqu’il tente par tous les moyens, pour s’accaparer les terres alentour qui permettraient d’agrandir sa propriété, de faire fuir ses voisins. Chris accepte justement de devenir le contremaître de l’un d’entre eux, une femme nommée Della Harms (Sally Eilers), pour s’approcher plus facilement de celui dont il a décidé que ‘son heure avait sonné’…

Ray Enright peut d’ailleurs remercier Harry Joe Brown grâce à qui il réalise son meilleur film depuis
Les Ecumeurs (
The Spoilers). Car ce n’est probablement pas de son fait, sa mise en scène étant le point faible de cet honorable western. Mais revenons deux minutes sur ce qu’ont mis en place les deux hommes lorsqu’ils ont décidé de s’associer et de ne produire que des westerns de série B. On a l’impression à la vision des deux premiers films qu’ils s’en sont servis comme de champ d’expérimentations, souhaitant faire apparaître de nouveaux personnages, de nouvelles thématiques et techniquement également, de nouvelles idées de mise en scène, de cadrages … Des films mineurs certes mais qui ont fait éclore un style autre : l’apparition de la couleur dans la série B, des titres (originaux) qui claquent, des méchants plus vicieux et menaçants entourés d’hommes de main à la mine patibulaires pas moins inquiétants et qui préfigurent les Lee Marvin, Jack Elam ou Richard Boone, l’abandon des transparences dans les séquences mouvementées en extérieurs (la série B fera plus pour ça que le western de prestige), une violence bien plus sèche, des types de personnages neufs, des romances plus adultes et dénuées de romantisme trop sucré, l’utilisation très parcimonieuse d’une voix off censée représenter les pensées du ‘héros’ (héros d’ailleurs pas forcément toujours sympathique), un sadisme assez poussé… [Quel bonheur d’assister à la naissance balbutiante d’un ‘style’ qui continue à me ravir de film en film et qui aboutira à de tels sommets : des titres pour bien plus tard car sinon vous allez trouver à juste titre que je rabache

]
Coroner Creek est donc un des premiers westerns dont le thème principal est la vengeance jusqu’auboutiste ; pour arriver à ses fins, Chris Denning sera capable de trahir des secrets en public au risque de faire du mal à la personne concernée (en l’occurrence, la pauvre épouse de son ennemi, devenue alcoolique car ne pouvant plus supporter que son mari l’ait pris pour femme dans le seul but de trouver une certaine respectabilité, l’amour étant totalement absent de leur couple), d’effrayer un homme afin qu’il parle, lui faisant croire qu’il va lui écraser la tête sur le poêle bouillant, de faire sienne la théorie ‘œil pour œil’ écrasant à coups de bottes la main de son adversaire après que ce dernier lui ait fait la même chose, de vouloir bien aider ceux qui en ont besoin à condition que ça n’entrave pas son plan mais qu’au contraire ça y contribue… Nous qui avions l’habitude d’un Randolph Scott qui forçait le respect par sa droiture et sa moralité, sommes encore plus surpris quant il se met, une fois contremaître, à traiter ses hommes avec une rudesse inaccoutumée. Bref, un acteur qui se plait à prendre le contre-pied de ses rôles habituels au risque de déplaire à ses fans. Mais ce caractère plus trempé va si bien à la dureté de son visage, l’acteur arrivant à faire passer tellement de choses à travers son regard et les sobres rictus de sa bouche, que nous sommes content d’assister au cours de ces deux films au ‘forgeage’ du personnage type qui le rendra célèbre la décennie suivante. Et puis avouons qu’il n’a pas son pareil dans le port de la chemise : quelle classe et quelle élégance ! (on est prié de ne pas pouffer !) Une sobriété et une économie de jeu qu’il partagera avec son adversaire, le Ballin Mundson de
Gilda, l’inquiétant et classieux Georges MacReady, superbe salaud de cinéma qui n’hésite pas à lacérer des joues à coups d’éperon sans sourciller, à gifler sa femme devant son beau-père outré, restant toujours maître de lui, d’une froideur glaçante ! Les Bad Guys aux yeux bleus (voir Phil Carey par la suite) sont ceux qui feront souvent le plus froid dans le dos.

Le reste du casting est moins marquant même si Forrest Tucker est assez efficace dans le rôle du cruel bras droit de MacReady. Le combat à poings nus qui l’oppose à Randolph Scott est remarquable, d’une brutalité assez inouïe pour l’époque, et finit de convaincre que Ray Enright, incapable de mener à bien jusqu’au bout une scène d’action souvent faute à un montage calamiteux (voire l’attaque de diligence qui débute le film), réussissait en revanche très bien les bagarres filmées presque sans plans de coupe et à l’aide de travellings assez nerveux. Les formidables idées de mise en scène (la surprenante apparition de George MacReady de dos lors de la première séquence) et les prises de vues inhabituelles (le ‘duel’ final à l’intérieur d’une pièce exiguë filmé en plongée verticale au dessus des deux adversaires ; les tirs de Forrest Tucker face caméra avant qu’il ne s’écroule) sont nombreuses (dues probablement à Scott et Brown vu qu’on en trouvait déjà pas mal dans
Gunfighters) mais montrent cependant les limites du cinéaste souvent incapables de les concrétiser jusqu’au bout sans lourdeur. Elles ont au moins le mérite d’exister et surtout d’intriguer ; tout comme certains éléments du décor (une église de cette taille au milieu d’une petite ville de l’Ouest) ou bien encore le score de Rudy Schrager, aussi curieux que celui écrit précédemment pour le film de Waggner, utilisant plus souvent les bois (notamment les flûtes) que les cordes traditionnelles.

Toujours au chapitre des innovations bienvenues, une réflexion à plusieurs reprises lancée sur le tapis à propos de l’utilité ou non de la vengeance par l’intermédiaire du principal personnage féminin interprété par Marguerite Chapman ; si la conclusion n’est guère originale (d’autant qu’au cours du film sans aucun romantisme, nous n’avons ressenti aucune alchimie entre Randolph Scott et Marguerite Chapman), une tentative de dénigrer la loi du talion aura été entrevue. La vengeance aura été néanmoins mené à bout avec une balle dans le dos ! Respectable ? Vous allez me dire "tant de blabla pour en arriver à conclure qu’il s’agit d’un western mineur" ! Oui mais quel plaisir au cours du visionnage grâce aussi à cet exotique Cinecolor. De la série B nouvelle manière en cette fin de décennie grâce à la Columbia, la compagnie jusqu’ici la moins prolifique dans la production de western mais ne décevant presque jamais son public, et à la complicité entre un acteur qui avait décidé de ne désormais se consacrer qu’à ce qu’il aimait le plus, le western à petit budget, et un producteur qui avait à peu près les mêmes idées que lui sur la manière d’en tourner. Bien agréable même si oublié aussitôt vu.