Seth Brundle (extraordinaire Jeff Goldblum, acteur décidément trop rare) est un jeune scientifique de génie. Vivant en reclus dans son laboratoire, il a mis au point un révolutionnaire procédé de téléportation utilisant deux Télépods (des cabines en forme de cocons dans lesquelles la matière est déstructurée et reconstituée par ordinateur). Dans une soirée, voulant impressionner et séduire Veronica (Geena Davis), une journaliste, le savant lui fait une démonstration de sa géniale invention. Mais celle-ci ne fonctionne que sur des objets inanimés. L'ordinateur ne comprend pas ce qu'est la chair, son essence, ce qui la distingue des autres matières. C'est l'éveil à la chair que lui offre Veronica qui fait comprendre à Seth que celle-ci, à la différence des objets, n'est pas qu'une simple de suite de séquences mathématiques que l'ordinateur recompose bêtement. Mais alors que le procédé fonctionne enfin tout-à-fait et que Seth veut faire le grand voyage, une mouche s'insère dans le Télépod, et les deux êtres sont assimilés lors de la reconstitution cellulaire qu'opère l'ordinateur pendant la téléportation.
Grand classique dans la filmographie de David Cronenberg,
La Mouche est le sommet absolument génial de la phase "organique" du réalisateur canadien. Dès son film suivant,
Faux-Semblants, Cronenberg s'intéressera essentiellement aux dérèglements de l'esprit plutôt qu'à ceux du corps, qui caractérisent ses films depuis
Frissons. Le gore sera bien moins présent par la suite ; on peut ainsi dire qu'à l'instar du
The Thing de Carpenter avec qui il partage de nombreux traits communs,
La Mouche marque nettement une rupture dans l'œuvre du cinéaste. Film relativement plus accessible que des films précédents comme
The Brood ou
Videodrome,
La Mouche ne sacrifie pourtant en rien les obsessions thématiques de ce réalisateur dont l'œuvre demeure d'une remarquable cohérence. Bien que remake d'un film de 1958, cette
Mouche est, à l'instar des grands remakes fantastiques des 80's (notamment
The Thing de Carpenter,
Cat People de Paul Schrader), avant tout une œuvre très personnelle, porteuse d'une vraie vision d'auteur, puisqu'on y retrouve une multitude d'éléments caractéristiques au cinéma cronenbergien : homme-mutant qui évoque la Marilyn Chambers de
Rage, psychose de l'enfantement (
The Brood), dérives du scientisme (
Scanners), fascination totale pour la chair, et quête perpétuelle du cinéaste pour en trouver le sens. Dans
La Mouche, la quête de Seth Brundle pour trouver pourquoi l'ordinateur ne "comprend" pas la chair (autrement dit, la quête de savoir ce qu'elle est réellement, ce qu'est l'humain), semble être aussi celle de Cronenberg dans la plupart de ses films. Mais cette chair est-elle la seule clé de la compréhension de l'Humanité ? L'Humanité n'est-elle pas plutôt un tout supérieur à la somme des différents éléments ? Par exemple, quid de la possible "perte" d'humanité lors de la destruction cellulaire et la reconstitution atome par atome du corps ? La destruction cellulaire préserve-t-elle ce qui fait l'essence de l'homme, sa conscience : "Je suis différent? C'est la vie ou la mémoire de la vie?" s'interroge Seth après qu'il ait testé sur lui cette téléportation qui s'apparente à une "naissance" (cabines en forme de cocons, nudité originelle). L'ironie dévastatrice est que Seth comprend malheureusement ce qui fait l'humanité au moment où, justement, celui-ci la perd peu à peu, et se mute en BrundleFly, humain et mouche à la fois, fusionnés génétiquement. Le corps de Seth subissant les dégénérescences de sa mutation (superbes maquillages de Chris Walas), on a pu dire que le film était une métaphore du SIDA ; l'analogie est sans doute pertinente compte tenu du contexte et du propos, mais il y a aussi sans doute également la crainte de la maladie de manière générale, ou encore de la vieillesse, et des conséquences que celle-ci entraîne sur le corps. Mais
La Mouche n'est pas qu'une œuvre intellectuelle et horrifique. C'est aussi - et peut-être même surtout - un film bouleversant, proposant une des histoires d'amour les plus déchirantes et viscérales qui soient. Le froid malaise organique, si caractéristique du cinéma 70's-80's du Canadien, est ici idéalement combiné avec une tonalité tendre et romantique (les premiers temps de la relation Seth-Veronica), qui trouve dans le finale un aboutissement douloureusement mémorable.
Avec
Videodrome,
La Mouche reste à mes yeux le grand chef-d'oeuvre de Cronenberg. Le cinéaste s'est orienté ensuite vers des perspectives thématiques toujours aussi cohérentes et intéressantes, mais pour lesquelles je voue décidément moins d'admiration que sa phase "organique".