J'aurais pas choisi FWWM. Ceux qui veulent découvrir Lynch ne vont rien y comprendre.Jack Carter a écrit : ↑17 janv. 25, 17:43 Ce vendredi 17 janvier à 22h50, France Télévisions rendra hommage à David Lynch en proposant aux téléspectateurs de France 5 de (re)visionner le film Twin Peaks - Fire Walk with me
Prochainement, la plateforme france.tv mettra en ligne le film Lost Highway
Paris Première rendra hommage à David Lynch en diffusant son film culte Elephant Man, samedi 18 janvier à 21h
David Lynch (1946-2025)
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Re: David Lynch (1946-2025)
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Re: David Lynch (1946-2025)
Une bande-annonce existe, je crois.
Sinon, parmi la pluie d'hommages et face à mon propre désœuvrement à mettre des mots sur le vide que laisse sa disparition, ces messages ont une coloration particulière à mon cœur :
Steven Spielberg : “I loved David’s films. ‘Blue Velvet,’ ‘Mulholland Drive’ and ‘Elephant Man’ defined him as a singular, visionary dreamer who directed films that felt handmade.” “I got to know David when he played John Ford in ‘The Fabelmans.’ Here was one of my heroes—David Lynch playing one of my heroes. It was surreal and seemed like a scene out of one of David’s own movies. The world is going to miss such an original and unique voice. His films have already stood the test of time and they always will.”
Martin Scorsese

Francis Ford Coppola

John Carpenter :

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Re: David Lynch (1946-2025)
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Re: David Lynch (1946-2025)
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Re: David Lynch (1946-2025)
Quel étrange état que celui dans lequel je me trouve depuis hier soir. Car David Lynch a longtemps été pour moi un cinéaste-totem absolu, de ceux qui se comptaient sur les doigts d’une main lorsqu’il s’agissait de définir quels étaient les artistes les plus importants à mon cœur. Parce que je me suis longtemps senti en communion ultime avec sa sensibilité, son expression, son univers, sa poésie, son romantisme. Cette adoration se doublait la plupart du temps d’une perplexité radicale lorsque je me confrontais au ressenti des autres, y compris de ceux qui l’adulaient. On parlait alors "d’inquiétante étrangeté", de "films-puzzle", de "sensorialité", de "maître du bizarre et du déconcertant", voire – pire – de "cinéma du malaise, de la morbidité, du glauque". Certains défenseurs acharnés affirmaient qu’il n’y avait rien à y comprendre, et que c’est en cela que cet art était si grand. Ah bon ? Si ces films me touchaient, c’est précisément parce que je les comprenais : je comprenais très intimement ce qui les articulait, les enjeux qui les animaient, les états par lesquels passaient les protagonistes, la situation dans laquelle ils se trouvaient et pourquoi ils réagissaient ainsi. Ne s’abandonner qu’à la surface des sensations (si riches et intenses soient-elles) en se défaisant des profondeurs qui les motivent, c’est se trouver bien pauvre. À l’autre extrémité du spectre, d’autres admirateurs étudiaient ces œuvres comme de nouveaux petits Champollion, seulement guidés par leur goût du déchiffrement, des indices, des énigmes à résoudre. Les films de Lynch sont des puzzles, affirment ceux-là, et c’est bien cela qu’ils sont géniaux. Amusante mais bien maigre satisfaction que voilà. Autant de notions que je percevais mais qui me semblaient incroyablement réductrices, pour ne pas dire marginales. Le Lynch que j’aimais tant, ce n’était pas ce Lynch-là. C’était d’abord et avant tout le Lynch de l’humain, le grand plasmateur du sentiment. Sentiment au sens de sentimentalité (et non de sentimentalisme). Elephant Man, c’était cela puissance 1000. Victor Hugo au cinéma : la beauté de l’âme et la laideur physique, le peuple et la foule, la sensibilité et la virginité. Et l’éternité, les étoiles, la mémoire qui s’écoule dans l’infini du temps et de l’espace. John Merrick était le Gwynplaine de Lynch, s’échappant sur l’Adagio de Samuel Barber. Dès son second long-métrage, Lynch définissait ce qui rendait pour moi son art si précieux : une empathie à déplacer les montagnes, une compassion coulant en torrents, un amour inextinguible pour ses fabuleux personnages. Un grand cinéaste classique, au sens où il mobilisait tous les ressorts du pathos, de la catharsis, de l’identification. Devant ses films, je suis John, je suis Laura, je suis Alvin, je suis Betty-Diane. Fut une époque où j’écrivais des pages et des pages pour tenter de restituer ne serait-ce qu’une infime partie de ce que généraient en moi le romantisme de l’auteur, la splendeur esthétique de ses images, la puissance incantatoire de ses visions, le glamour et la séduction qui en émanaient. Et la pictorialité organique des plans (les jaunes, carmins et bleus profonds de Blue Velvet), l’abîme qui gisait au travers des sons (fermez les yeux, écoutez), les mélodies éthérées ou la gravité élégiaque que dispensait la musique (c’est un Ange qui la composait). J’étais ensorcelé, émerveillé, hypnotisé, émoustillé comme jamais (commentaire lu aujourd’hui : "devant Naomi Watts et Laura Harrring, je suis passé de petit garçon à homme" – on se comprend, mec). Et surtout, j’étais extraordinairement ému. Par ces histoires de détresse, de solitude, de désarroi, de hantises, de désillusions, par lesquelles transitaient toute la vulnérabilité de l’expérience humaine. L’Émotion, avec un grand E. J’ai énormément pleuré à la souffrance de l’homme-éléphant, figure ultime de la condition humaine ; à l’affliction de Laura, victime expiatoire du monde ; au chagrin de Diane, broyée par Hollywood et anéantie par la passion. Ce cinéma était pourtant aux antipodes du misérabilisme, de la sinistre macération ou des complaisances dont se nourrissent les tourmentés professionnels. Si certains de ces films étaient de bouleversants lamentos, l’humour, la chaleur, la légèreté nourrissaient l’inspiration lynchienne d’une inaltérable lumière. Ce sont des visions de paradis qui clôturent Fire walk with me et Mulholland Drive. Et c’est une ode merveilleuse à l’existence et à notre passage sur terre que Lynch a composé avec son film le plus incompris, le plus sous-estimé, le plus vaguement snobé (à commencé par les thuriféraires proclamés du cinéaste), j’oserais presque dire le plus beau : Une Histoire Vraie. À travers le voyage d’Alvin, lumineux cicérone de nos fraternités, c’est le Lynch que j’aimais tant qui triomphait : la bienveillance, la chaleur, la sensibilité pure. Il s’exprimait déjà dans le lyrisme débridé de ce qu’un Sailor et Lula offrait de plus fort, de plus beau. Sailor courant vers Lula, en un étourdissant travelling latéral, lors d’un mega happy end sur le Im Abendrot de Strauss. Chavirant. Puis est venu Inland Empire, qui s’est planté comme une mauvaise graine dans ma conscience et a commencé à tout saloper. Au point que son ombre s’est profilée derrière la plupart des films de Lynch lorsque je les ai revus depuis. Je ne vais pas réexpliquer une fois de plus comment mon rapport avec l’artiste s’est depuis lors sérieusement dégradé, comment la magie a fini par inéluctablement se gripper. Ce n’est pas/plus le moment pour cela. Mais je me devais de rendre un petit hommage à celui qui, pendant si longtemps, fut un astre central dans le panthéon de mon imaginaire et de subjectivité.
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Re: David Lynch (1946-2025)
Mulholland Drive sur Arte le 22 janvier à 20.55Jack Carter a écrit : ↑17 janv. 25, 17:43 Ce vendredi 17 janvier à 22h50, France Télévisions rendra hommage à David Lynch en proposant aux téléspectateurs de France 5 de (re)visionner le film Twin Peaks - Fire Walk with me
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Re: David Lynch (1946-2025)
Le hazard voulait que je doive finir de regarder Les Fabelman ce soir, pour rendre le dvd demain à la bibliothèque….
Brève mais savoureuse dernière apparition, qui plus est dans le figuré d’un titan.
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Re: David Lynch (1946-2025)
Et le moins sympathique Arthur Leigh Allen, principal suspect dans le Zodiac de Fincher.Alexandre Angel a écrit : ↑17 janv. 25, 17:44John Caroll Lynch, comédien qu'il me semble avoir découvert (et qu'on a pas mal revu depuis) dans Fargo . Il était le sympathique mari de Frances McDormand qui participait à un concours de timbres.
“Le monde qui nous entoure est dégueulasse et sordide. Je ne cherche pas à le maquiller comme 99 % des films hollywoodiens.”
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Re: David Lynch (1946-2025)
Qu'est-ce que j'adore cette séquence! Il y avait un moment hors du temps et magique, sur une anecdote ultra connue pour celles et ceux qui s'intéressent à Spileberg. Avoir Lynch pour le rôle de John Ford était une idée de génie de Tony Kushner, le coscénariste du film et bravo à Spielberg d'avoir pu la mettre en scène de cette manière étrangement "lynchienne".The Eye Of Doom a écrit : ↑17 janv. 25, 22:19 Le hazard voulait que je doive finir de regarder Les Fabelman ce soir, pour rendre le dvd demain à la bibliothèque….
Brève mais savoureuse dernière apparition, qui plus est dans le figuré d’un titan.

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Re: David Lynch (1946-2025)
Merci !!

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Re: David Lynch (1946-2025)
Lundi 8 mars 1999

Mercredi 14 septembre 2022

Samedi 18 janvier 2025

J'adore le petit scud envoyé à Tarantino en haut de la page 6.
Je n'ose imaginer quel sera le prochain cinéaste à faire la couverture de Libération...

Mercredi 14 septembre 2022

Samedi 18 janvier 2025

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Dernière modification par Thaddeus le 18 janv. 25, 12:01, modifié 1 fois.
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Re: David Lynch (1946-2025)
Dans la nuit de jeudi à vendredi (une nuit blanche volontaire), je pense à David Lynch, et en particulier à Lost highway.
Je me dis qu'il me faut ce dernier dans ma collection et je passe longtemps à examiner les différentes éditions disponibles.
Je...pompe même le film pour regarder si le steelbook allemand pourrait faire l'affaire, malgré son absence de sous-titres anglais (pas toujours nécessaires mais...). Non. Ces sous-titres, il me les faut. Je vire le fichier et me décide pour le Criterion UK 4KUHD/BD, mais ça ne presse pas, me dis-je.
Peu après, j'apprends le décès de son réalisateur, car j'essaie de vivre le plus possible dans une grotte.
Puis j'apprends le décès d'une amie de ma maman que je connaissais et appréciais beaucoup, ayant été, jeune, camarade de chant de ses deux fils.
Je ne vais pas l'acheter, ce film, finalement. Un "hommage" un peu différent de la norme. Ça tombe "bien", je pense que tant Lynch que son oeuvre l'étaient aussi.
Je me dis qu'il me faut ce dernier dans ma collection et je passe longtemps à examiner les différentes éditions disponibles.
Je...pompe même le film pour regarder si le steelbook allemand pourrait faire l'affaire, malgré son absence de sous-titres anglais (pas toujours nécessaires mais...). Non. Ces sous-titres, il me les faut. Je vire le fichier et me décide pour le Criterion UK 4KUHD/BD, mais ça ne presse pas, me dis-je.
Peu après, j'apprends le décès de son réalisateur, car j'essaie de vivre le plus possible dans une grotte.
Puis j'apprends le décès d'une amie de ma maman que je connaissais et appréciais beaucoup, ayant été, jeune, camarade de chant de ses deux fils.
Je ne vais pas l'acheter, ce film, finalement. Un "hommage" un peu différent de la norme. Ça tombe "bien", je pense que tant Lynch que son oeuvre l'étaient aussi.
Woke n' wall is thought pollution
Woke n' wall is gonna die
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I've seen an old man have a
heart attack in Manhattan
Well he died while we just
stood there lookin' at him
Ain't he cute?
I don't care about you
Fuck you!
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"3 forumeurs plaisantins n'auraient pas empêcher une demi-douzaine d'autres moins sots de lire ton intervention"
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Re: David Lynch (1946-2025)
Je m'en vais acheter Libé.
Merci Thaddeus. Et pour ton beau texte aussi.
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Re: David Lynch (1946-2025)
Merci.

Je me permets de poster ici l'article de Télérama, car il est en accès libre.
« Le noir et blanc charbonneux, le vent et la fumée des cheminées, les cendres et le sang étaient là dès la naissance du cinéma de Lynch. Souvenez-vous du cauchemar à la Kafka d’Eraserhead (1977) et de son bébé prématuré emmailloté. Triste ironie : c’est sans doute en raison d’un emphysème sévère consécutif à des années de tabagisme forcené que David Lynch vient de trouver la mort, à 78 ans. « Ashes to ashes », comme disait Bowie, et ce au moment même où Los Angeles est encore en proie aux flammes. Cette annonce est brutale : l’auteur de Blue Velvet et de Lost Highway comptait auprès des cinéphiles comme un réalisateur majeur, sans doute le plus beau symbole d’un cinéma résolument plastique.
Art total, expérimental, encore figuratif mais au bord de la défiguration ou de l’abstraction. Ce n’est pas rien. Godard l’avait fait avant lui mais Lynch a poussé plus loin le geste artistique. À la différence de l’auteur de Pierrot le Fou, l’esthète aux faux air de James Stewart (dans la voix surtout), la chemise toujours boutonnée jusqu’au col, ne venait pas de la cinéphilie ni de la vieille Europe. Mais de l’imaginaire américain et de la peinture, qu’il a continué toute sa vie à pratiquer, au même titre que la photo, le design, la sculpture ou la musique – on lui doit plusieurs albums, de rock industriel ou d’électro. Et Dieu sait combien chacun de ses films est fait d’une pâte sonore inouïe, entre puissantes fréquences basses, chuintements et free jazz strident, créés par Angelo Badalamenti, son compositeur fétiche.
Né en 1946 à Missoula (Montana), David Lynch a beaucoup déménagé dans son enfance, à travers plusieurs États, à la suite de différentes mutations de son père, chercheur en biologie au ministère de l’Agriculture. Cette vie itinérante lui apporta un sentiment diffus d’insécurité, se sentant toujours un peu étranger et de passage là où il résidait. Très tôt, il a rejeté le simple coloriage pour se mettre à dessiner et à peindre. Ce tropisme l’a incité à s’inscrire dans une école d’art, d’abord à Boston puis à Philadelphie, ville où il s’est installé avec sa première femme et leur fille, Jennifer (future réalisatrice), qu’il a eue jeune, à 22 ans.
L’admirateur de Francis Bacon et d’Oskar Kokoschka pense alors à changer de médium et se lance dans la fabrication de courts métrages très bizarres, à l’instar de The Alphabet et The Grandmother. On y entrevoit déjà bon nombre de ses motifs et idées fixes : le rêve, la maladie, la métamorphose, l’animal et l’humain, le monticule de terre, l’arbre, la matière organique indéfinissable. C’est un prélude à Eraserhead, film très dérangeant sur un imprimeur aux cheveux dressés (Jack Nance, un ami proche, disparu trop tôt), aussi étrange que terrorisé par son environnement. Phobie du sexe, panique devant la paternité, obsession de la malformation : ce premier film culte est une mine d’or pour psychanalystes. On n’avait jamais vu, auparavant, une telle chose, inclassable, si forte et dérangeante qu’elle fut longtemps mal aimée, jugée trop « arty » par les cinéphiles. Mais adoubé par le milieu de l’avant-garde et l’underground post-punk.
Deux ans plus tard, Lynch s’extirpe de l’expérimental pour sortir son premier chef-d’œuvre, Elephant Man (1980). Huit nominations aux Oscars ont couronné ce film absolument bouleversant sur le destin de Joseph Merrick (John Hurt, dans le rôle de sa vie), devenu bête de foire dans l’Angleterre victorienne en raison de ses difformités physiques. Sans jamais être pontifiant, ce film est une admirable leçon d’humanisme et d’empathie, où l’auteur signifie que le hideux n’est pas dans l’« homme éléphant », mais dans ce qu’on lui fait endurer – le monstre est tapi ici en chacun de nous. Cette œuvre au noir, un classique dès sa sortie, reste aujourd’hui, sans doute, la plus accessible. Car par la suite David Lynch n’a jamais fait dans la facilité. Hormis Une histoire vraie, odyssée rectiligne et lumineuse d’un pépé au volant de sa tondeuse à gazon, ses histoires sont tortueuses à souhait. Crypté et chaotique, violent et sombre, profondément mystérieux, son univers a fait naître un nouveau vocable : « lynchien ».
En 1990, le filmeur de l’Amérique et de ses cauchemars, de la nuit et des routes menant nulle part, décroche avec Sailor et Lula une Palme d’or qui a fait couler beaucoup d’encre. Cette cavale folle et sulfureuse au milieu du désert, emmenée par un couple du tonnerre (Laura Dern et Nicolas Cage, avec son inoubliable veste en peau de serpent), est un électrochoc à base de rock et de heavy metal abrasif, un dynamitage en règle des codes du polar et un bras d’honneur au conservatisme américain. Le road-movie convulsif remporte un franc succès, mais beaucoup s’insurgent. Et une large partie de la critique fait encore la fine bouche.
Il faut attendre sa série Twin Peaks (1990-1991) pour que le cinéaste soit enfin pleinement reconnu comme un grand. Et il y a de quoi. Révolutionnant totalement le petit écran, entre saga surréaliste et trip hallucinant, cette enquête du FBI autour de la mort de Laura Palmer invente un type de narration labyrinthique, où s’entrecroisent une jeune muse blonde, un agent du FBI obsédé par le café, des adolescentes rêveuses, un shérif, une borgne, un manchot, des fantômes, des anges et des diables. Une Amérique génialement peuplée et génialement décorée, avec ses forêts de pins, motels, coffee-shops. Dorénavant, l’histoire des séries ne sera plus la même. Côté cinéma, c’est avec Mulholland Drive (2001) que le créateur marque à jamais les spectateurs. Hommage grisant au cinéma hollywoodien et à la ville de Los Angeles, histoire d’amour hautement voluptueuse, traversée vertigineuse des miroirs, ce chef-d’œuvre est un voyage soyeux et envoûtant. Où Naomi Watts et Laura Harring apparaissent et disparaissent en semi-déesses inoubliables.
Son dernier long métrage, Inland Empire, remontait à 2006. Expérience forte de hantises, de vide inquiétant, d’images saccadées. Le réalisateur y poussait encore plus loin l’exploration mentale, son grand dada, lui qui pratiquait par ailleurs la méditation transcendantale. Passer dans un corridor, franchir un seuil, entrebâiller une porte, soulever un rideau, tous ses films offrent cette perspective aussi terrifiante qu’excitante. Qui fait basculer sur une scène, une antichambre de la mort, un autre espace-temps, où le monstrueux parade avec le sublime.
En interview, l’habitant des hauteurs de L.A. conservait toujours la même classe, brushing nickel, clope éternelle à la main. Ses propos pouvaient paraître brumeux, sans jamais être grandiloquents. Il parlait avec les mains, les doigts qui papillonnent, comme si les mots ne suffisaient pas ou risquaient même de brouiller le sens. Il reconnaissait qu’enfant il avait longtemps refusé de s’exprimer de manière articulée et limpide. De là peut-être son esthétique extrasensorielle, à la fois primitive et sophistiquée, tout aussi conceptuelle que charnelle. Le tout agrémenté d’un sens prononcé de l’absurde. Car oui, n’en déplaise à ses détracteurs, Lynch avait aussi le sens de l’humour, confirmé outre-tombe. En annonçant sa mort, sa famille a tenu à citer une formule qu’il affectionnait tout particulièrement : « Gardez un œil sur le donut et non sur le trou. » Chapeau pour l’épitaphe.»
Jacques Morice
Art total, expérimental, encore figuratif mais au bord de la défiguration ou de l’abstraction. Ce n’est pas rien. Godard l’avait fait avant lui mais Lynch a poussé plus loin le geste artistique. À la différence de l’auteur de Pierrot le Fou, l’esthète aux faux air de James Stewart (dans la voix surtout), la chemise toujours boutonnée jusqu’au col, ne venait pas de la cinéphilie ni de la vieille Europe. Mais de l’imaginaire américain et de la peinture, qu’il a continué toute sa vie à pratiquer, au même titre que la photo, le design, la sculpture ou la musique – on lui doit plusieurs albums, de rock industriel ou d’électro. Et Dieu sait combien chacun de ses films est fait d’une pâte sonore inouïe, entre puissantes fréquences basses, chuintements et free jazz strident, créés par Angelo Badalamenti, son compositeur fétiche.
Né en 1946 à Missoula (Montana), David Lynch a beaucoup déménagé dans son enfance, à travers plusieurs États, à la suite de différentes mutations de son père, chercheur en biologie au ministère de l’Agriculture. Cette vie itinérante lui apporta un sentiment diffus d’insécurité, se sentant toujours un peu étranger et de passage là où il résidait. Très tôt, il a rejeté le simple coloriage pour se mettre à dessiner et à peindre. Ce tropisme l’a incité à s’inscrire dans une école d’art, d’abord à Boston puis à Philadelphie, ville où il s’est installé avec sa première femme et leur fille, Jennifer (future réalisatrice), qu’il a eue jeune, à 22 ans.
L’admirateur de Francis Bacon et d’Oskar Kokoschka pense alors à changer de médium et se lance dans la fabrication de courts métrages très bizarres, à l’instar de The Alphabet et The Grandmother. On y entrevoit déjà bon nombre de ses motifs et idées fixes : le rêve, la maladie, la métamorphose, l’animal et l’humain, le monticule de terre, l’arbre, la matière organique indéfinissable. C’est un prélude à Eraserhead, film très dérangeant sur un imprimeur aux cheveux dressés (Jack Nance, un ami proche, disparu trop tôt), aussi étrange que terrorisé par son environnement. Phobie du sexe, panique devant la paternité, obsession de la malformation : ce premier film culte est une mine d’or pour psychanalystes. On n’avait jamais vu, auparavant, une telle chose, inclassable, si forte et dérangeante qu’elle fut longtemps mal aimée, jugée trop « arty » par les cinéphiles. Mais adoubé par le milieu de l’avant-garde et l’underground post-punk.
Deux ans plus tard, Lynch s’extirpe de l’expérimental pour sortir son premier chef-d’œuvre, Elephant Man (1980). Huit nominations aux Oscars ont couronné ce film absolument bouleversant sur le destin de Joseph Merrick (John Hurt, dans le rôle de sa vie), devenu bête de foire dans l’Angleterre victorienne en raison de ses difformités physiques. Sans jamais être pontifiant, ce film est une admirable leçon d’humanisme et d’empathie, où l’auteur signifie que le hideux n’est pas dans l’« homme éléphant », mais dans ce qu’on lui fait endurer – le monstre est tapi ici en chacun de nous. Cette œuvre au noir, un classique dès sa sortie, reste aujourd’hui, sans doute, la plus accessible. Car par la suite David Lynch n’a jamais fait dans la facilité. Hormis Une histoire vraie, odyssée rectiligne et lumineuse d’un pépé au volant de sa tondeuse à gazon, ses histoires sont tortueuses à souhait. Crypté et chaotique, violent et sombre, profondément mystérieux, son univers a fait naître un nouveau vocable : « lynchien ».
En 1990, le filmeur de l’Amérique et de ses cauchemars, de la nuit et des routes menant nulle part, décroche avec Sailor et Lula une Palme d’or qui a fait couler beaucoup d’encre. Cette cavale folle et sulfureuse au milieu du désert, emmenée par un couple du tonnerre (Laura Dern et Nicolas Cage, avec son inoubliable veste en peau de serpent), est un électrochoc à base de rock et de heavy metal abrasif, un dynamitage en règle des codes du polar et un bras d’honneur au conservatisme américain. Le road-movie convulsif remporte un franc succès, mais beaucoup s’insurgent. Et une large partie de la critique fait encore la fine bouche.
Il faut attendre sa série Twin Peaks (1990-1991) pour que le cinéaste soit enfin pleinement reconnu comme un grand. Et il y a de quoi. Révolutionnant totalement le petit écran, entre saga surréaliste et trip hallucinant, cette enquête du FBI autour de la mort de Laura Palmer invente un type de narration labyrinthique, où s’entrecroisent une jeune muse blonde, un agent du FBI obsédé par le café, des adolescentes rêveuses, un shérif, une borgne, un manchot, des fantômes, des anges et des diables. Une Amérique génialement peuplée et génialement décorée, avec ses forêts de pins, motels, coffee-shops. Dorénavant, l’histoire des séries ne sera plus la même. Côté cinéma, c’est avec Mulholland Drive (2001) que le créateur marque à jamais les spectateurs. Hommage grisant au cinéma hollywoodien et à la ville de Los Angeles, histoire d’amour hautement voluptueuse, traversée vertigineuse des miroirs, ce chef-d’œuvre est un voyage soyeux et envoûtant. Où Naomi Watts et Laura Harring apparaissent et disparaissent en semi-déesses inoubliables.
Son dernier long métrage, Inland Empire, remontait à 2006. Expérience forte de hantises, de vide inquiétant, d’images saccadées. Le réalisateur y poussait encore plus loin l’exploration mentale, son grand dada, lui qui pratiquait par ailleurs la méditation transcendantale. Passer dans un corridor, franchir un seuil, entrebâiller une porte, soulever un rideau, tous ses films offrent cette perspective aussi terrifiante qu’excitante. Qui fait basculer sur une scène, une antichambre de la mort, un autre espace-temps, où le monstrueux parade avec le sublime.
En interview, l’habitant des hauteurs de L.A. conservait toujours la même classe, brushing nickel, clope éternelle à la main. Ses propos pouvaient paraître brumeux, sans jamais être grandiloquents. Il parlait avec les mains, les doigts qui papillonnent, comme si les mots ne suffisaient pas ou risquaient même de brouiller le sens. Il reconnaissait qu’enfant il avait longtemps refusé de s’exprimer de manière articulée et limpide. De là peut-être son esthétique extrasensorielle, à la fois primitive et sophistiquée, tout aussi conceptuelle que charnelle. Le tout agrémenté d’un sens prononcé de l’absurde. Car oui, n’en déplaise à ses détracteurs, Lynch avait aussi le sens de l’humour, confirmé outre-tombe. En annonçant sa mort, sa famille a tenu à citer une formule qu’il affectionnait tout particulièrement : « Gardez un œil sur le donut et non sur le trou. » Chapeau pour l’épitaphe.»
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Re: David Lynch (1946-2025)
Pas tout lu encore, mais dossier complet de 13 pages, avec notamment un article de Philippe Garnier.
Dernière modification par Zelda Zonk le 18 janv. 25, 12:05, modifié 1 fois.