L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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batfunk
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par batfunk »

Le plus grand polar des années 80 et le dernier chef d'oeuvre de Cimino! :D J'approuve totalement.
Juste quelques bémols à la critique,
1)ce passage":Cimino appuie auprès de De Laurentiis le projet Stone de passer à la réalisation avec Platoon". Celà semble sous entendre que Platoon est le premier film de Stone alors que c'est son quatrième film...
2)Le jeu de Mickey Rourke est bien développé, contrairement à celui de John Lone, cité une seul fois. Sa performance est pourtant aussi forte que celle de Rourke et il réitérera cette performance dans le méconnu mais immense M. Butterfly de Cronenberg en 93 :D
3)La fin est citée mais pas le fait que ce soit une happy end imposé par la production, qui tranche avec le reste du film.

Dernier volet de sa "trilogie" sur l'histoire américaine, ce 2ème échec commercial injustifié de suite(après Heaven's gate) marque la fin définitive de son crédit auprès d'Hollywood et de ses projets ambitieux. :cry:
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Roy Neary
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Roy Neary »

batfunk a écrit : 15 mars 21, 16:13 Dernier volet de sa "trilogie" sur l'histoire américaine, ce 2ème échec commercial injustifié de suite(après Heaven's gate) marque la fin définitive de son crédit auprès d'Hollywood et de ses projets ambitieux. :cry:
Pas tout à fait car Le Sicilien se voulait un projet vraiment ambitieux aussi (même s'il s'est monté en dehors de Hollywood).
Après, ce film a été plombé par d'autres facteurs même s'il en reste des choses magnifiques de façon éparse.
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El Dadal
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par El Dadal »

Et Desperate Hours est passionnant autant pour ce qu'il montre (les fulgurances, les percées dans la nature, la photo), que ce qu'il ne montre pas (1h de film passée à la poubelle par la production, qui voulait un tout autre film). C'est schizophrène, et quelque part c'est sa place. Mais ça reste une prod De Laurentiis avec d’énormes stars, distribuée aux USA par MGM.
Quant à Sunchaser, c'est une co-prod, mais une co-prod qui comptait Regency, New Regency et Warner, et distribuée (même de façon mollassonne) par Warner. Un de fantasmes de cinéphile aura toujours été l'adaptation de La condition humaine par Cimino, mais le caractère élégiaque de Sunchaser vient plutôt bien clore le chapitre.
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Alexandre Angel
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Alexandre Angel »

Roy Neary a écrit : 15 mars 21, 17:43
batfunk a écrit : 15 mars 21, 16:13 Dernier volet de sa "trilogie" sur l'histoire américaine, ce 2ème échec commercial injustifié de suite(après Heaven's gate) marque la fin définitive de son crédit auprès d'Hollywood et de ses projets ambitieux. :cry:
Pas tout à fait car Le Sicilien se voulait un projet vraiment ambitieux aussi (même s'il s'est monté en dehors de Hollywood).
Après, ce film a été plombé par d'autres facteurs même s'il en reste des choses magnifiques de façon éparse.
En fait, on a là un "pas tout à fait" à double titre. Il y aura en effet encore un projet ambitieux après L'Année du Dragon, c'est donc Le Sicilien, d'une part.

D'autre part, même L'Année du Dragon, qui a beau être pour moi aussi le meilleur polar des années 80, est déjà un film de commande, en tout cas un film de genre avec un héros seul contre tous (le flic intègre en guerre contre la Mafia et ses supérieurs ripoux, c'est tout de même loin des scénarios particulièrement peu programmatiques de The Deer Hunter et Heaven's Gate).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Kevin95
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Kevin95 »

El Dadal a écrit : 15 mars 21, 18:06 Un de fantasmes de cinéphile aura toujours été l'adaptation de La condition humaine par Cimino, mais le caractère élégiaque de Sunchaser vient plutôt bien clore le chapitre.
De même que son adaptation de The Fountainhead d'Ayn Rand qui, selon Tarantino qui le submergea de questions lors d'une rencontre à Lyon au festoche Lumiere, fut l'un des gros regrets de Cimino.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par El Dadal »

Ah oui ? Tu me l'apprends.
Je lisais ce matin que Zack Snyder a également abandonné son adaptation de The Fountainhead.

> Snyder = Cimino
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Alexandre Angel
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Alexandre Angel »

Kevin95 a écrit : 15 mars 21, 18:33
El Dadal a écrit : 15 mars 21, 18:06 Un de fantasmes de cinéphile aura toujours été l'adaptation de La condition humaine par Cimino, mais le caractère élégiaque de Sunchaser vient plutôt bien clore le chapitre.
De même que son adaptation de The Fountainhead d'Ayn Rand qui, selon Tarantino qui le submergea de questions lors d'une rencontre à Lyon au festoche Lumiere, fut l'un des gros regrets de Cimino.
Sans oublier Maillot Jaune !
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par batfunk »

C'est vrai pour Le Sicilien, film gâché par l'erreur de Casting qu'est Christophe Lambert.
L'Année du dragon film de commande? C'est vrai, mais Cimino a réussi, avec l'aide de Stone, à incorporer ses thémathiques à lui:à Travers ce film sur les triades chinoises, il revient sur l'importance de l'immigration chinoise dans la construction des USA.Ainsi que sur les séquelles de la guerre du Vietnam.
Ce film est bien plus qu'un polar hard boiled et personnellement, je le place au même niveau que The Deer Hunter et Heaven's gate :D
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Kevin95 »

Alexandre Angel a écrit : 15 mars 21, 18:44
Kevin95 a écrit : 15 mars 21, 18:33 De même que son adaptation de The Fountainhead d'Ayn Rand qui, selon Tarantino qui le submergea de questions lors d'une rencontre à Lyon au festoche Lumiere, fut l'un des gros regrets de Cimino.
Sans oublier Maillot Jaune !
Avec Dustin Hoffman punaise ! 8)

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Pour The Fountainhead., toujours d'après QT, le projet était prêt, le scénario lourd comme du parpaing, Cimino chaud comme tout. Mais le refus de Clint Eastwood (seul acteur envisageable pour le réal) qui ne voulait pas se confronter à l'image de Gary Cooper, va calmer les ardeurs.
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Message par Thaddeus »

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Le chevalier blanc


Adieu, limousines noires glissant sur l’océan des nuits de Chicago, feutres à bord rabattu, dîneurs en smoking avec œillet à la boutonnière, bagouzes et diamants étincelants à chaque doigt, rafales de mitraillette à chargeur camembert et mains crispées sur la nappe à carreaux de Little Italy, entraînant dans sa chute les spaghettis, le chianti ou le seau à champagne. Autres temps, autres meurtres. Les parrains des années 80 ne sont plus nés en Sicile. Ils viennent de Birmanie, de Hong Kong, de Chine. Ils règnent sur le racket et le trafic de drogue. Le noyau de ce nouvel empire du crime se situe à Chinatown, New York, où les pétards du Nouvel An chinois couvrent les coups de feu qui dévastent brasseries et night-clubs. Au capitaine Stanley White revient la tâche d’éradiquer cette pègre jaune. Travail herculéen, mais pour lequel le superflic se sent d’attaque. There’s a new marshall in town. Avec son arrogance et sa brutalité comme passe-droits, sa gueule tavelée et ses cheveux blonds cendrés, son individualisme vidorien et son côté seul contre tous, il endosse cette stupéfaction nationale : le géant yankee a été défait par les petits hommes des rizières et il aimerait bien savoir pourquoi. Ayant un compte à régler avec l’Orient, il entend nettoyer Big Apple au nom d’une certaine idée de l’Amérique — la sienne. Il veut tout oser, tout entreprendre, crever tous les abcès. Il entame une liaison avec Tracy Tzu, jolie journaliste eurasienne, image de papier glacé qu’il cherche à salir et froisser, icône cathodique dans sa luxueuse penthouse dominant Manhattan et contrastant avec les bas-fonds aquatiques où marinent les cadavres dans des cuves à soja. Il poursuit surtout Joey Tai, jeune affairiste aux dents longues autopromu chef des triades locales, d’une haine inextinguible. Cet affrontement de guerriers porte toute la mystique de Michael Cimino. Jusqu’au duel final sur la voie ferrée, passerelle de la mort où s’abolit la symétrie entre les belligérants. Lorsque l’un tend à l’autre le revolver pour décider de leur sort réciproque, on n’est pas loin de la roulette russe ni du "I love you, Nick" de Voyage au bout de l’Enfer.


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Avec L’Année du Dragon, le réalisateur achève un triptyque monumental consacré à l’Amérique, son peuple, son histoire, ses failles et ses contradictions, dans lequel il soumet ses idéaux et ses mythes à l’épreuve de la complexité du réel. Qu’est-ce que le melting pot ? Une altérité multiple, une identité transcendante, une utopie d’intégration maximale et de fusion unanimiste des communautés. Or, contrairement au pionnier John Ford qui inscrivait toute minorité (les Noirs, les Indiens) dans la totalité fondatrice des États-Unis, Cimino marque moins des différences que des clivages, des heurts de cultures. L’unité de son pays n’est plus qu’un rêve déchu et son territoire un immense champ de fractures, où s’affolent tous les points de repère. White agit comme un miroir grossissant : l’inspecteur en service commandé répétant qu’il est le policier le plus décoré de New York, l’immigré polack face aux Chinois et à leurs coutumes, aux Italiens et à leurs codes, le vétéran revanchard du Vietnam est incapable de tirer les leçons de ce spectre traumatisant. Cloisonner la ville ou instaurer les disparités, c’est s’interdire de penser la tangibilité du mal, c’est feindre de croire que les mondes d’en haut et d’en bas sont étanches, alors que les portes ouvrent sur autant d’avenues tranquilles que d’abîmes grouillants. C’est donc prétendre qu’il y a des lieux irréconciliables et parfaitement distribués quand le désordre est leur soubassement commun. Dès qu’il entre dans une pièce, Stanley l’arpente, en longe les murs, comme s’il souhaitait prendre la mesure de l’obstacle. Loin de se réfugier dans un espace circonscrit, il veut abattre les cloisons, saper les murailles, dévoiler les faux-semblants. Tour à tour enjôleur, didactique, menaçant, sentencieux, séduisant, délirant, cabotin, pompeux ou ironique, son discours lui permet de se défendre contre une réalité qui est devenue sa paranoïa.

Contrairement au Leone d’Il était une fois en Amérique, dont la vision extérieure était celle d’un outsider fasciné réinventant la mémoire d’une nation, Cimino se place sous la corne du monstre. La morale du protagoniste fait écho aux hantises d’un auteur proclamant son authenticité artistique à coups de serpe dans les reins, mais ne pouvant la revendiquer avec héroïsme qu’au travers de manifestations excessives, provocatrices, suicidaires. Rien dans son film n’est bénin ou accessoire. Le récit se fonde sur la représentation des grands rites, scandée par des parades, des obsèques et des cérémonies. Les scènes d’action, conçues avec un sens opératique de l’impact des ombres et des couleurs, dépouillent l’architecture narrative de toute monotonie, en même temps qu’elles en livrent le secret. L’art de la mise en scène consiste ici en un brusque déplacement, créateur de pathétique. Ainsi cette jeune meurtrière, un instant ballotée par les vagues de la circulation et qui vient mourir pitoyablement sur l’asphalte. L’échappée en Thaïlande, traitée oniriquement avec l’ampleur classique du western et les taches sombres du cauchemar, rompt l’unité géographique d’une intrigue où s’organisent parallèlement les conciliabules de la police et les réunions des gangsters, les dialogues du couple marié et ceux de l’aventure adultère. Les échanges entre Stanley et Connie échappent à l’habituel naturalisme amerloque par la vérité des détails (le crucifix dominant le lit des époux, le calendrier à l’effigie de Jean-Paul II). Déroutants, cruels, comme sortis d’un film de Cassavetes, ils constituent de douloureux moments d’intimité avant que la tempête White ne reprenne sa route, condamnée à payer le prix fort de ses fantasmes. Si le registre diverge, ils suivent la même noirceur, la même logique de décomposition transformant tout en champ de bataille : le tissu sociétal, politique, médiatique et familial. Juste une série d’occasions ratées, dénaturées ou inachevées (parler, pleurer, faire l’amour, se séparer).


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Fondamentales dans le cinéma panoramique de Cimino, les notions de composition et de structure se traduisent par un mouvement de boucle qui convertit ses films en de vastes spirales mélancoliques. Son écriture sécrète un type de romanesque qui ne suit aucune pente balisée par l’usage mais s’accommode au contraire volontiers de brisures inédites, d’accidents provisoires, et progresse le plus souvent par variations rythmiques et tonales (sur ce plan, La Porte du Paradis est sans doute son chef-d’œuvre). Ni le fond ni l’agencement formel du long-métrage ne tendent à imposer une quelconque hiérarchie raciale isolant et abaissant l’Autre. La critique a lieu de l’intérieur, selon un fonctionnement panique, en tourniquet, de perspectives contradictoires. La fiction, c’est la friction des points de vue. Chaque groupe ethnique est placé sur un pied d’égalité, avec ce même regard inquiet et désabusé devant une Amérique parcellisée, repliée sur elle-même. Et la mise en scène objective cette marche sur la corde raide, cette perpétuelle course à l’abîme, en une suite haletante de morceaux de bravoure : cache-cache de truands sur fond de processions avec masques, descentes musclées dans les tripots, ateliers clandestins et caves sordides, fusillade frénétique au Shanghai Palace. Elle propose une cosmogonie presque païenne où les enclos respectifs de l’Éden et du Tartare sont remplacés par des eaux primordiales, illimitées, remplies d’énergies variées. Celles de l’aquarium qui emporte avec elles les clients du restaurant, celles usées de la machine à laver que répare Connie, celles de la rivière qui coule sous les ponts où les ennemis se retrouvent, celles de la pluie qui s’abat sur le convoi mortuaire, celles enfin du gouffre où s’ébrouent le Léviathan, la Tarasque, la Gargouille et bien sûr le Dragon. Le Chinatown de Cimino est un dédale opaque de couloirs, de boyaux, d’enclaves et d’espaces sinueux, un monde hermétique, proliférant de luminosités et de matières synthétiques, saturé d’ornements, de décors, d’enseignes et d’inscriptions. Ce néo-expressionnisme urbain, qui hérite du récent Blade Runner en même temps qu’il annonce esthétiquement l’avènement d’un certain cinéma asiatique, reflète l’indifférente complexion du réel à laquelle s’oppose l’obsession de pureté dont le chevalier White, malade d’idéalisme, est le héraut aveuglé et fourvoyé.

Détruire pour reconstruire, agir furieusement pour continuer à exister, marquer les esprits, combattre l’amnésie collective, laisser une trace : telle est la stratégie incendiaire de Stanley, nouvel Achab épris de sa propre vanité. Pas une scène qui ne le montre en mouvement, où qu’il soit, à la poursuite de ses folles chimères. Chapeau mou bosselé, imperméable sombre détonnant avec les costumes blanc crème des business men, élégance surannée : Mickey Rourke compose un inoubliable Bogart moderne. Son mélange inflammable de douceur et de charisme convoque toute une mémoire de la virilité américaine blessée. Archétype du flic incorruptible, il ne cesse de traverser le cadre, de scinder la foule, de fendre les rues. Aussi l’essentiel du film tient-il à l’affirmation d’une exigence personnelle de noblesse. White n’incarne pas la politique de la loi et de l’ordre ; avec clarté et vigueur, il s’attache à la loi contre l’ordre. Sa passion de la légalité l’amène à provoquer délibérément le chaos, quitte à remporter une victoire à la Pyrrhus. Il s’abîme dans une action n’ayant d’autre justification que l’intensité du vouloir qui la conduit. Lorsqu’il propose à Tracy de mettre ses compétences au service de la cause qu’il défend, elle lui oppose avec hauteur l’indépendance de sa profession. L’utilité ne gouverne pas la vérité, pas plus que la justice ne commande l’action : contre tous les pragmatismes, Cimino défend avec une ferveur opiniâtre la loyauté à des principes absolus, aussi indifférents aux moyens qu’aux résultats. Telle une psychanalyse à ciel ouvert, la croisade de Stanley doit lui permettre d’annihiler le dragon — son "ça", en quelque sorte — qui le ronge de l’intérieur. Il s’agit de le déloger de la grotte où il se terre pour l’affronter à visage découvert. Reste à savoir si l’équilibre reconquis se stabilisera sur le long terme. La symphonie de Mahler a beau faire planer un nouvel optimisme sur les derniers plans, on aurait du mal à considérer cet élan de bonheur comme un happy end. L’énergie incroyable que le film dépense à vouloir y croire est celle du désespoir. Ne dit-on pas des dragons qu’ils sont immortels ?



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Alexandre Angel
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit : 1 nov. 24, 17:10 Ce néo-expressionnisme urbain, qui hérite du récent Blade Runner en même temps qu’il annonce esthétiquement l’avènement d’un certain cinéma asiatique
C'est une des grandes beautés de ce film que de se tenir au cœur des années 80 en même temps que d'en donner un saisissant rendu, comme le faisait, un an plus tôt et à l'autre bout du spectre de la création cinématographique, Eric Rohmer avec Les Nuits de la pleine lune.
L'Année du dragon absorbe effectivement quelque chose de l'univers de Blade Runner : le polar, l'esthétique 80', les volutes orientalisantes. Mais il s'en détache avec une souplesse d'autant plus remarquable que son réalisateur, pourtant tourné vers les grands espaces et leur déclarant allégeance formelle et thématique, ne semble subir aucun diktat du tape-à-l'œil estampillé eighties mais cohabite avec lui, l'intègre au propos sans le surplomber, le singer ou le décliner par suivisme.

C'est pour cette raison que L'Année du dragon me paraît constituer, avec le recul, le meilleur film américain pourvu, dans une certaine mesure, des attributs visuels des années 80, et de leur complément sonore : appartement chic, éclairages flashy, boîte de nuit épileptique, flingueuses "punk de prisu", jusqu'aux efficaces variations chromatiques imaginées par David Mansfield, comme ce groove sophistiqué qui accompagne un déplacement de Joey Tai avec son garde du corps, en travelling arrière.
Michael Cimino apparaît ici comme un inattendu filmeur de cette époque. Inattendu parce qu'appartenant à un univers tellement antinomique (ce qui n'est pas le cas du Ridley Scott, de Blade Runner), si diamétralement opposé.

Je disais que tout cela m'apparaissait "avec le recul" mais en fait non, tant je l'ai éprouvé dès la sortie du film il y a presque 39 ans (13 novembre 1985 exactement). J'aimais ce "frottement" de cette fiction furieuse avec le look de mon époque, déjà si soucieuse..de look. Et je trouvais d'immédiates correspondances visuelles rien qu'en sortant de la salle.

Et cet appartement (celui de Tracy), si sophistiqué et froid, réellement juché au sommet d'un gratte-ciel, qu'arpente, comme tu le dis, ce gros plouc de flic polak, de long en large, résume à lui seul le projet scénaristique du film.

Quant à l'avènement d'un certain cinéma asiatique, non seulement j'acquiesce (dans les limites de mes petites connaissances en ce domaine) mais je trouve même, et pour le coup, avec le recul, que cela va se nicher vers des zones surprenantes, à l'image de cette séquence où le jeune parrain chinois rend visite à ses deux jeunes tueurs blessés dans une piaule sordide : on se croirait dans un Jia Zang-ke..

Et là, c'est le dialogue constant entre naturalisme, sophistication et clichés qui définit le projet esthétique de l'œuvre. Quelque part entre Minnelli et Samuel Fuller.

Et merci Thaddeus!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Demi-Lune »

Alexandre Angel a écrit : 1 nov. 24, 19:25 Et cet appartement (celui de Tracy), si sophistiqué et froid, réellement juché au sommet d'un gratte-ciel, qu'arpente, comme tu le dis, ce gros plouc de flic polak, de long en large, résume à lui seul le projet scénaristique du film.
Si l'on me donnait le choix de vivre dans un habitat de personnage de cinéma (tiens, voilà un sujet qu'il pourrait être marrant de creuser), il est bien possible que ce soit le loft de Tracy Tzu que je choisisse, tellement son épure (avec la douche au milieu du salon!) et sa vue incroyable sur Manhattan sont gravées à tout jamais dans mon regard.

Le très sérieux New York Times lui avait même consacré un article en 1985 :

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New York Times a écrit :BREF LUXE : UN APPARTEMENT FAIT POUR LE CINÉMA

Par Suzanne Slesin
24 janvier 1985

''Vous pouvez voir les ponts de Brooklyn, Williamsburg et Manhattan, le World Trade Center, Ellis Island, la Statue de la Liberté et l'Empire State Building'', a déclaré Fred Caruso à propos de l'espace dramatique du loft, un décor créé pour l'un des personnages principaux de ''L'année du dragon'', un film à venir réalisé par Michael Cimino. M. Caruso, qui est responsable de la production du film, a ajouté : « Il y a du trafic et du mouvement, des bateaux, de la fumée, de la vie - tout est réel ».

C'était le cas, du moins pendant un certain temps. Situé comme suspendu entre les ponts de Brooklyn et de Manhattan, le loft offre un panorama inhabituel et saisissant de la ligne d'horizon du sud de Manhattan. Ses vues saisissantes et son intérieur sophistiqué et épuré représentent l'image cinématographique la plus récente de la vie urbaine d'aujourd'hui.

Le loft, un espace de 3 200 pieds carrés situé au dernier étage d'un bâtiment industriel faisant partie du projet Brooklyn Fulton Landing, a été transformé par Lembo-Bohn Design Associates, une entreprise de décoration d'intérieur basée à Manhattan, en un repaire glamour pour le personnage principal du film, une jeune femme qui est journaliste à la télévision. Le décor a été utilisé pendant environ une semaine de tournage le mois dernier. L'espace, désormais vide, sera converti en bureaux.

Peter Benoit, qui s'occupe des relations publiques pour le film, a décrit le film comme « un thriller urbain » dans lequel Tracy Tzu, une présentatrice de journaux télévisés sino-américaine, fait des reportages sur la politique, l'héritage culturel et la criminalité urbaine dans le quartier chinois. Le rôle de Mlle Tzu est interprété par Ariane, un mannequin de mode de 21 ans d'origine japonaise et néerlandaise.

Autrefois, les producteurs de films auraient pu choisir un penthouse intime perché au-dessus de Central Park pour la résidence d'une femme de carrière prospère. Aujourd'hui, l'héroïne du film occupe plutôt un vaste loft offrant une vue plus rude et plus vitale de New York. L'intérieur est un hymne au design contemporain. Les fenêtres sont dépourvues de rideaux, les sols sont recouverts d'une moquette lisse, le mobilier est doux et discret. Des antiquités bien choisies apportent une touche de culture et les fleurs fraîches sont de rigueur. Bien qu'il s'agisse d'une fantaisie créée pour un film, le décor reflète le mode de vie actuel de nombreux New-Yorkais fortunés - et celui que d'autres pourraient souhaiter.

L'intérieur à plusieurs niveaux est meublé de banquettes en toile, d'un piano à queue, de fauteuils en cuir et d'antiquités orientales, et parsemé d'orchidées en pot et de gadgets électroniques dernier cri.

Bien que nous n'ayons pas été obligés d'inclure une cuisine, nous n'avons pas abordé ce projet différemment de n'importe quel autre projet résidentiel », a déclaré Laura Bohn, qui, avec son partenaire Joseph Lembo, a été chargée par M. Cimino de concevoir le décor.

Mlle Bohn avait travaillé sur un appartement de Manhattan pour M. Cimino il y a quatre ans. Il nous a appelés à l'improviste », a déclaré Mlle Bohn. On nous a dit : « Pouvez-vous livrer un projet complet en 12 semaines ? ».

L'emplacement du loft aurait pu être tourné en studio, mais un support photographique de la ville n'aurait pas eu la vie de la scène réelle », a déclaré M. Caruso. Et lorsque le personnage vit à Manhattan, il est agréable de pouvoir voir une vue de New York. Le loft nous a permis de dire au public que l'action se déroulait à New York. Et l'une des meilleures vues de Manhattan ne se trouve-t-elle pas à Brooklyn ?

La vue était convaincante », a déclaré M. Lembo. Nous savions immédiatement que l'aspect le plus difficile du travail était de ne pas laisser la vue éclipser l'intérieur. Nous devions garder à l'esprit un équilibre particulier.''

La tâche des concepteurs consistait à créer un intérieur correspondant aux goûts du personnage central. Elle est brillante, belle et issue d'une famille aisée », a déclaré M. Lembo.

L'année du dragon doit sortir aux Etats-Unis cet automne chez M-G-M. Le budget est de 20 millions de dollars. Budgété à 20 millions de dollars, il est produit par Dino de Laurentiis. M. Cimino, qui a également réalisé ''The Deer Hunter'', acclamé par la critique, et ''Heaven's Gate'', désastreux sur le plan financier, tourne en Thaïlande.

L'espace de l'usine, à double hauteur de plafond, comportait 12 ouvertures en arc, trois sur chacun des quatre côtés. Pour tirer le meilleur parti de la vue, nous avons passé les deux premières semaines à chercher comment faire en sorte que des fenêtres de 15 pieds de large et 10 pieds de haut n'aient pas de meneaux », explique Mlle Bohn.

La solution a consisté à installer dans chaque ouverture trois panneaux de plexiglas de 1,5 m sur 1,5 m qui pouvaient être collés sans coutures apparentes. Les murs du loft ont ensuite été reconstruits pour se conformer à la forme arquée originale des fenêtres.

Pour compléter l'appartement, les concepteurs ont installé des plates-formes recouvertes de moquette, des sièges bas et moelleux et un lit placé au centre de la chambre à coucher surélevée.

Bien que M. Cimino n'ait pas vu le décor avant qu'il ne soit terminé, il a suivi les progrès des concepteurs grâce aux photographies de repérage et de production que son équipe lui envoyait quotidiennement. Dans le salon, par exemple, selon Mlle Bohn, « il fallait que le canapé, où devait se dérouler une grande scène d'amour, soit au même niveau que le bas de la fenêtre. Cela devait créer un sentiment de précarité.

Les concepteurs ont estimé qu'un projet comparable au décor, mais conçu pour de vrais habitants et comprenant une cuisine, coûterait entre 300 000 et 500 000 dollars.

Attenante à la chambre surélevée, une salle de bains carrelée de la taille d'un spa, avec une piscine en escalier, était encombrée de plantes en pot. Au départ, elle devait servir à tourner une scène de douche et il n'était pas nécessaire de la remplir pour l'utiliser comme baignoire », explique Mlle Bohn. Mais même dans les films, les clients changent parfois d'avis. Une nuit, pendant le tournage, la designer a été réveillée par un membre de l'équipe de tournage qui lui a demandé où trouver un bouchon carré pour le drain improvisé. Sa solution personnalisée ? Il suffit d'utiliser un morceau de ruban adhésif, dit-elle."
https://www.nytimes.com/1985/01/24/gard ... movie.html
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Re: L'Année du dragon (Michael Cimino - 1985)

Message par Alexandre Angel »

Oui, c'est un décor génial, en fait. Et tu as raison, il reste gravé, notamment du fait d'un beau plan nocturne avec la silhouette de Tracy qui se découpe sur une fenêtre, et la guitare mélancolique de Mansfield par dessus.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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