L’homme de la plaine – Anthony Mann
Belle découverte, le film est mené solidement par James Stewart (Will Lockhart) qui incarne un ancien militaire qui recherche des explications, une vengeance sur la mort de son frère. Une recherche qui va le mener dans une ville menée par un homme dont la famille autodestructrice dont il est le chef ne demande qu’à s’effondrer, se déchirer. L’enquête tient place sur un territoire situé sous une menace indienne, au milieu d’un traffic d’armes. Dépouillé, battu, emprisonné, blessé, James Stewart va payer lourdement son investigation, assez rapidement le héros est malmené dans une scène assez violente et toujours impressionnante. Une histoire où les personnages sont mis en valeur par la réalisation efficace d’Anthony Mann. Les décors et panoramas sont de toute beauté. Immersion totale, plaisir garantie.
L'Homme de la Plaine (Anthony Mann - 1955)
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Re: L'Homme de la Plaine (Anthony Mann - 1955)

Les frères ennemis
Un homme est passé. Ainsi pourrait se résumer le dernier des cinq westerns qu’Anthony Mann tourna avec James Stewart. De Winchester 73 à L’Homme de la Plaine, toujours peu ou prou la même histoire : l’itinéraire tourmenté d’un héros ordinaire (oxymore mannien par excellence) à la recherche de celui qui tua son père pour l’un, son frère pour l’autre. Cette boucle thématique qui relie les deux films n’est pas innocente. Elle définit la cohérence d’un cinéma qui recourt à des structures narratives géométriques (le cercle dans le premier, une succession de segments dans le second) pour mieux jouer de l’opposition entre le personnage et l’espace dans lequel il évolue. Venu de Laramie à la tête d’un convoi de marchandises, Will Lockart arrive à Coronado pour livrer sa commande à Barbara Waggoman, propriétaire de la mercerie locale. Cet homme à ras de terre n’est ni l’Américain flamboyant poussé par une grande idée, ni le bandit d’honneur auréolé d’un panache romantique. C’est un étranger errant, sans patrie, qui pénètre dans une région sauvage et hostile en trimballant un lourd passé. Il va son chemin laborieusement, sans éclat, plus démuni que ses adversaires. Coronado était le nom du conquistador qui, en quête des "Sept Cités d’or", explora le pays jusqu’au Kansas et peut-être jusqu’au Nebraska, avant de revenir sur ses pas et de mourir le cœur brisé. À l’or qu’il convoitait se substitue ici un matériau moins précieux, le sel du désert, dont on interdira pourtant à Will d’emporter fût-ce quelques pelletées. C’est dans le même mouvement qu’il transporte ses fournitures et qu’il s’attribue son projet d’auto-justice. Au bout du compte, retrouver l’assassin de son frère constitue un business parallèle. Et cette ambivalence est lourde de conséquences quant à la nouvelle cartographie morale et politique du genre qui s’avance là.
Riche en personnages torturés autant qu’en résonance théâtrales et psychanalytiques, l’œuvre développe un récit complexe et sinueux, active des schémas dramatiques et des archétypes empruntés à la tragédie grecque ou shakespearienne. Son Roi Lear est Alec Waggoman, qui règne par la peur sur la ville et le ranch de La Pointe. La seule faiblesse psychologique de ce monarque vieillissant est l’amour trop exclusif qu’il voue à son fils Dave, frivole, capricieux et vindicatif. Il s’est donc appuyé sur son contremaître Vic, sorte de gendre idéal qui fait office à la fois de nurse et de gendarme. Deux histoires de frères s’affrontent en miroir : le premier tournant autour de la vengeance de Lockhart, le second opposant l’enfant naturel à l’enfant adopté. Mann n’en fait qu’un seul en deux temps trois mouvements. Il court-circuite les fratries au profit d’une relation transversale entre Will et Vic. La question se rapporte moins aux liens du sang qu’à la hantise : qui hante qui ? Chacun avance avec une doublure qui le poursuit et l’empêche de dormir. Le film cultive ainsi une forme de fantastique se manifestant notamment dans le pli du temps où Lockhart découvre les chariots du régiment décimé et se recueille devant une tunique et un chapeau débarrassés de tout cadavre. Ou bien dans ce père à moitié aveugle qui reconnaît en l’étranger le spectre longiligne de l’homme qui viendra lui enlever son fils. Au seuil de la ville, Will doit alors quitter sa monture et revêtir le sel gris cendre du lac. Il venait cueillir sa vengeance, il se retrouve dans le rêve d’un autre. Mais cette fois le vengeur ne ressemble plus à l’ange de l’Apocalypse des Affameurs ou de Je suis un Aventurier, au justicier infaillible qui frappe avec l’assurance de la destinée. Il observe plutôt la fatalité faucher dans son dos. "I stick around", répète-t-il, je reste dans le coin, je m’accroche. Pendant que son enquête piétine meurent successivement l’indic, le fils et le père. Toujours juste avant lui, quelqu’un est passé. Il devient une présence ténébreuse qui tue sans frapper, qui n’a même pas à lever le poing pour prendre une vie. Patient, passif, auteur d’un seul coup (la formidable bagarre près du corral), l’homme de Laramie regarde ensuite les quilles tomber.
C’est qu’il y a du polar dans L’Homme de la Plaine, effet de la laïcisation du western par la pratique procédurière du commerce. Mann n’a certes pas inventé la double acceptation de la dette, ni l’hypothèse archi-américaine que les affaires font récit, encore moins le paradoxe plus général du pragmatisme érigé en mythe. Bien qu’ils soient tous deux entrepreneurs, Lockhart et Waggoman n’incarnent pas les mêmes valeurs. Le premier, cœur fermé à ciel ouvert, est celui dont la liberté épouse la circulation sans barrière des biens. Version utopique du libre-échange : le champ appartient à qui le travaille, le sel à qui le ramasse. Or voici que des cavaliers s’avancent et le lassotent en disant : ce sel est à nous. Ils incarnent l’économie nouvelle par laquelle advient la propriété. À leur tête, Dave déborde cependant l’utilitarisme moderne et outrepasse ce qui requiert le seul négoce. Il ramène l’échange équitable à sa mouture la plus archaïque. À tout instant, la loi du commerce peut s’équiper de fusils : c’est là qu’intervient Vic. Le capital est donc une hydre à deux têtes. Dave allume le feu, Vic l’éteint. Dave est un faux coupable, une fin de race dont la fureur n’engage que lui. Le vrai méchant, c’est Vic : calmant le jeu de la main droite, éliminant les gêneurs de la gauche. Entre le dollar et le revolver la parenté est telle que, plus que consanguins, ces deux pôles trouvent à cohabiter dans un seul corps. Il y aurait ainsi une possible traduction idéologique des mots "gémellité", "fratrie", "filiation" qui traversent le film, et de l’infernal jeu de chaises musicales à quoi ils donnent lieu : au sein de la bulle commerciale englobante, tous les rôles s’échangent, s’altèrent, se touchent, se confondent. Il faut alors à Will la jouer très serré pour, à la dernière minute, se désolidariser de cet affairisme armé, et à Mann toute sa parcimonie pour rendre crédible un cow-boy qui n’en a ni les mains (remarque de Kate Canaday) ni la gâchette facile ("no need for that"). Lockhart se doit de résister à la tentation d’exécuter son possible double, ce qui reviendrait à assimiler ses méthodes. C’est en serrant les poings qu’il l’épargne. "Get away from me." Je ne suis pas comme toi.
Pour l’auteur de L’Appât, le paysage est toujours dépouillé de son pittoresque dramatique. Jamais de ces pitons impressionnants surplombant des déserts, ni de ces contrastes écrasants destinés à ajouter leurs effets à ceux du style ou du scénario. L’herbe se mêle à la caillasse, l’arbre à la poussière, la neige au pâturage et les nuages au bleu du ciel, comme un gage de la tendresse secrète que garderait la nature pour l’homme jusqu’en ses plus rudes épreuves saisonnières. Chez John Ford, le paysage est un cadre expressionniste où viennent s’inscrire les trajectoires humaines. Chez Anthony Mann, c’est un milieu. L’air ne s’y sépare pas de la terre et de l’eau. De la même manière que Cézanne qui voulait le peindre, le réalisateur cherche à faire sentir l’espace aérien non comme un contenant abstrait, un vide de l’horizon à l’horizon, mais comme la qualité concrète de l’espace. D’où l’usage si remarquable du Scope, dont le format n’est jamais utilisé comme une ressource nouvelle. Cette maîtrise géologique et géographique, qui est l’un des traits les plus distinctifs du cinéaste, n’empêche pas la pierre, la plaine ou la butte de fonctionner aussi de façon symbolique, de pourvoir en matière les plans que l’on admire comme une exposition de peintures phosphorescentes. Des chariots brûlent orange vif sur la blancheur des salines, des balles ricochent avec un impact sec et poudré sur un rocher, Lockhart est traîné sur un sol de cendres. Structures, lignes et textures sont saisissantes, nourries par la miscibilité des couleurs et des éléments, et concourent à l’épanouissement de la mise en scène au sens proprement mythologique du "jaillissement d’un monde". Épisode célèbre : le héros est ceinturé par deux hommes tandis qu’un troisième lui ôte son gant et lui tire sadiquement une balle dans la main. Plan de la main, puis plan du visage de Will, tordu par le mépris et la souffrance, au moment de la détonation hors champ. On jurerait qu’il y a une coupe entre les deux images, mais non : juste un mouvement ultrarapide de bas en haut, une diagonale de fou.
Par une convention hollywoodienne qui rappelle aussi les romances de Shakespeare (Le Conte d’Hiver), les motifs tragiques cèdent pourtant à une conclusion heureuse, un avenir rédempteur. Le décor confortable et harmonieux de meubles de pin et de porcelaine chinoise bleue et blanche représente, dans la wilderness poudreuse et virile du Nouveau-Mexique, une incrustation toute féminine de la Nouvelle-Angleterre, et le Blue que Whistler et Rossetti collectionnaient à cette époque s’harmonise superbement avec les yeux clairs de Cathy O’Donnell. Il n’est pas excessif d’estimer que L’Homme de la Plaine marque l’apogée de ce qui caractérise la grandeur du cinéma mannien : le désintérêt pour le prêche au profit du descriptif, le refus de l’épanchement verbal au profit du geste, la défiance à l’égard de l’exotique au profit de l’utilitaire. La beauté s’impose chez lui comme de surcroît. Il s’attarde avec une superbe hauteur au moindre bruissement de la prairie, au moindre effarement du bétail. Ses motifs formels excluent toute inclination emphatique et sont toujours calculés pour accompagner l’action. Son style net, tranchant, rigoureux, soucieux de saisir une vérité sans la transformer en spectacle, ne cesse de rechercher les manières de situer l’homme dans l’environnement, tant affectif que topographique. Celui-ci ne succombe à aucun folklore : minéral, aride, imposant parfois mais jamais idyllique, il dessine le panorama d’un véritable désarroi intérieur. Préfigurant les westerns du crépuscule des années soixante, ceux de Mann concluent inexorablement à l’inanité de la vengeance et de la violence. Avec eux le genre évolue mais il conserve sa grandeur, comme si la majesté de la nature qui s’ouvre à la mort pouvait racheter tout un chacun, comme si l’expression active des passions les purifiait. En manifestant l’exigence d’une nécessité pour toute chose (que ce soit un point d’eau, une étendue de rocailles, une arme ou un sentiment), ils assurent à leur auteur le statut d’un classique, au sens que le XVIIème siècle français a conféré à ce terme : celui d’un art de mesure, au service d’une morale supérieurement exposée.

Riche en personnages torturés autant qu’en résonance théâtrales et psychanalytiques, l’œuvre développe un récit complexe et sinueux, active des schémas dramatiques et des archétypes empruntés à la tragédie grecque ou shakespearienne. Son Roi Lear est Alec Waggoman, qui règne par la peur sur la ville et le ranch de La Pointe. La seule faiblesse psychologique de ce monarque vieillissant est l’amour trop exclusif qu’il voue à son fils Dave, frivole, capricieux et vindicatif. Il s’est donc appuyé sur son contremaître Vic, sorte de gendre idéal qui fait office à la fois de nurse et de gendarme. Deux histoires de frères s’affrontent en miroir : le premier tournant autour de la vengeance de Lockhart, le second opposant l’enfant naturel à l’enfant adopté. Mann n’en fait qu’un seul en deux temps trois mouvements. Il court-circuite les fratries au profit d’une relation transversale entre Will et Vic. La question se rapporte moins aux liens du sang qu’à la hantise : qui hante qui ? Chacun avance avec une doublure qui le poursuit et l’empêche de dormir. Le film cultive ainsi une forme de fantastique se manifestant notamment dans le pli du temps où Lockhart découvre les chariots du régiment décimé et se recueille devant une tunique et un chapeau débarrassés de tout cadavre. Ou bien dans ce père à moitié aveugle qui reconnaît en l’étranger le spectre longiligne de l’homme qui viendra lui enlever son fils. Au seuil de la ville, Will doit alors quitter sa monture et revêtir le sel gris cendre du lac. Il venait cueillir sa vengeance, il se retrouve dans le rêve d’un autre. Mais cette fois le vengeur ne ressemble plus à l’ange de l’Apocalypse des Affameurs ou de Je suis un Aventurier, au justicier infaillible qui frappe avec l’assurance de la destinée. Il observe plutôt la fatalité faucher dans son dos. "I stick around", répète-t-il, je reste dans le coin, je m’accroche. Pendant que son enquête piétine meurent successivement l’indic, le fils et le père. Toujours juste avant lui, quelqu’un est passé. Il devient une présence ténébreuse qui tue sans frapper, qui n’a même pas à lever le poing pour prendre une vie. Patient, passif, auteur d’un seul coup (la formidable bagarre près du corral), l’homme de Laramie regarde ensuite les quilles tomber.
C’est qu’il y a du polar dans L’Homme de la Plaine, effet de la laïcisation du western par la pratique procédurière du commerce. Mann n’a certes pas inventé la double acceptation de la dette, ni l’hypothèse archi-américaine que les affaires font récit, encore moins le paradoxe plus général du pragmatisme érigé en mythe. Bien qu’ils soient tous deux entrepreneurs, Lockhart et Waggoman n’incarnent pas les mêmes valeurs. Le premier, cœur fermé à ciel ouvert, est celui dont la liberté épouse la circulation sans barrière des biens. Version utopique du libre-échange : le champ appartient à qui le travaille, le sel à qui le ramasse. Or voici que des cavaliers s’avancent et le lassotent en disant : ce sel est à nous. Ils incarnent l’économie nouvelle par laquelle advient la propriété. À leur tête, Dave déborde cependant l’utilitarisme moderne et outrepasse ce qui requiert le seul négoce. Il ramène l’échange équitable à sa mouture la plus archaïque. À tout instant, la loi du commerce peut s’équiper de fusils : c’est là qu’intervient Vic. Le capital est donc une hydre à deux têtes. Dave allume le feu, Vic l’éteint. Dave est un faux coupable, une fin de race dont la fureur n’engage que lui. Le vrai méchant, c’est Vic : calmant le jeu de la main droite, éliminant les gêneurs de la gauche. Entre le dollar et le revolver la parenté est telle que, plus que consanguins, ces deux pôles trouvent à cohabiter dans un seul corps. Il y aurait ainsi une possible traduction idéologique des mots "gémellité", "fratrie", "filiation" qui traversent le film, et de l’infernal jeu de chaises musicales à quoi ils donnent lieu : au sein de la bulle commerciale englobante, tous les rôles s’échangent, s’altèrent, se touchent, se confondent. Il faut alors à Will la jouer très serré pour, à la dernière minute, se désolidariser de cet affairisme armé, et à Mann toute sa parcimonie pour rendre crédible un cow-boy qui n’en a ni les mains (remarque de Kate Canaday) ni la gâchette facile ("no need for that"). Lockhart se doit de résister à la tentation d’exécuter son possible double, ce qui reviendrait à assimiler ses méthodes. C’est en serrant les poings qu’il l’épargne. "Get away from me." Je ne suis pas comme toi.

Pour l’auteur de L’Appât, le paysage est toujours dépouillé de son pittoresque dramatique. Jamais de ces pitons impressionnants surplombant des déserts, ni de ces contrastes écrasants destinés à ajouter leurs effets à ceux du style ou du scénario. L’herbe se mêle à la caillasse, l’arbre à la poussière, la neige au pâturage et les nuages au bleu du ciel, comme un gage de la tendresse secrète que garderait la nature pour l’homme jusqu’en ses plus rudes épreuves saisonnières. Chez John Ford, le paysage est un cadre expressionniste où viennent s’inscrire les trajectoires humaines. Chez Anthony Mann, c’est un milieu. L’air ne s’y sépare pas de la terre et de l’eau. De la même manière que Cézanne qui voulait le peindre, le réalisateur cherche à faire sentir l’espace aérien non comme un contenant abstrait, un vide de l’horizon à l’horizon, mais comme la qualité concrète de l’espace. D’où l’usage si remarquable du Scope, dont le format n’est jamais utilisé comme une ressource nouvelle. Cette maîtrise géologique et géographique, qui est l’un des traits les plus distinctifs du cinéaste, n’empêche pas la pierre, la plaine ou la butte de fonctionner aussi de façon symbolique, de pourvoir en matière les plans que l’on admire comme une exposition de peintures phosphorescentes. Des chariots brûlent orange vif sur la blancheur des salines, des balles ricochent avec un impact sec et poudré sur un rocher, Lockhart est traîné sur un sol de cendres. Structures, lignes et textures sont saisissantes, nourries par la miscibilité des couleurs et des éléments, et concourent à l’épanouissement de la mise en scène au sens proprement mythologique du "jaillissement d’un monde". Épisode célèbre : le héros est ceinturé par deux hommes tandis qu’un troisième lui ôte son gant et lui tire sadiquement une balle dans la main. Plan de la main, puis plan du visage de Will, tordu par le mépris et la souffrance, au moment de la détonation hors champ. On jurerait qu’il y a une coupe entre les deux images, mais non : juste un mouvement ultrarapide de bas en haut, une diagonale de fou.
Par une convention hollywoodienne qui rappelle aussi les romances de Shakespeare (Le Conte d’Hiver), les motifs tragiques cèdent pourtant à une conclusion heureuse, un avenir rédempteur. Le décor confortable et harmonieux de meubles de pin et de porcelaine chinoise bleue et blanche représente, dans la wilderness poudreuse et virile du Nouveau-Mexique, une incrustation toute féminine de la Nouvelle-Angleterre, et le Blue que Whistler et Rossetti collectionnaient à cette époque s’harmonise superbement avec les yeux clairs de Cathy O’Donnell. Il n’est pas excessif d’estimer que L’Homme de la Plaine marque l’apogée de ce qui caractérise la grandeur du cinéma mannien : le désintérêt pour le prêche au profit du descriptif, le refus de l’épanchement verbal au profit du geste, la défiance à l’égard de l’exotique au profit de l’utilitaire. La beauté s’impose chez lui comme de surcroît. Il s’attarde avec une superbe hauteur au moindre bruissement de la prairie, au moindre effarement du bétail. Ses motifs formels excluent toute inclination emphatique et sont toujours calculés pour accompagner l’action. Son style net, tranchant, rigoureux, soucieux de saisir une vérité sans la transformer en spectacle, ne cesse de rechercher les manières de situer l’homme dans l’environnement, tant affectif que topographique. Celui-ci ne succombe à aucun folklore : minéral, aride, imposant parfois mais jamais idyllique, il dessine le panorama d’un véritable désarroi intérieur. Préfigurant les westerns du crépuscule des années soixante, ceux de Mann concluent inexorablement à l’inanité de la vengeance et de la violence. Avec eux le genre évolue mais il conserve sa grandeur, comme si la majesté de la nature qui s’ouvre à la mort pouvait racheter tout un chacun, comme si l’expression active des passions les purifiait. En manifestant l’exigence d’une nécessité pour toute chose (que ce soit un point d’eau, une étendue de rocailles, une arme ou un sentiment), ils assurent à leur auteur le statut d’un classique, au sens que le XVIIème siècle français a conféré à ce terme : celui d’un art de mesure, au service d’une morale supérieurement exposée.

- Alexandre Angel
- Une couille cache l'autre
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Re: L'Homme de la Plaine (Anthony Mann - 1955)
T'as gagné, je le revoie dès ce soir. Il inaugurera mes films du mois.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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