Zardoz (John Boorman - 1974)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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El Dadal
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par El Dadal »

Et dire que je me suis privé du Arrow toutes ces années en espérant pouvoir donner mes sous à un éditeur français... Pitoyable.
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Alexandre Angel
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Michel Ciment, volcanique!



Quel époque pour les critiques même si Charensol est toujours aussi balourd : au moins, il ne peut décemment pas lui balancer, comme il le fera à propos de Shining, que Ciment s'enflamme parce qu'il a écrit un bouquin sur Boorman puisque ce dernier paraîtra 10 ans plus tard..
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Courleciel
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Courleciel »

Alexandre Angel a écrit : 19 mai 24, 19:46 Michel Ciment, volcanique!



Quel époque pour les critiques même si Charensol est toujours aussi balourd : au moins, il ne peut décemment pas lui balancer, comme il le fera à propos de Shining, que Ciment s'enflamme parce qu'il a écrit un bouquin sur Boorman puisque ce dernier paraîtra 10 ans plus tard..
Je suis de l'avis de Michel Ciment, Zardoz est un grand film de John Boorman
"- Il y avait un noir a Orly, un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire a un grand noir avec un loden vert
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Shin Cyberlapinou
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Shin Cyberlapinou »

Film découvert il y a un an ou deux en tâchant d'être ouvert et effectivement vraie réussite, et Dan Harmon doit être fan car il en avait fait une belle parodie dans Rick & Morty. Suis-je le seul à voir des passerelles avec Fury Road, notamment le fait que Connery joue au fond un warboy?
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Alexandre Angel
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Shin Cyberlapinou a écrit : 20 mai 24, 09:31 Film découvert il y a un an ou deux en tâchant d'être ouvert et effectivement vraie réussite, et Dan Harmon doit être fan car il en avait fait une belle parodie dans Rick & Morty. Suis-je le seul à voir des passerelles avec Fury Road, notamment le fait que Connery joue au fond un warboy?
Non, tu n'es pas le seul : j'y ai pensé hier en faisant le parallèle entre le jaillissement de l'eau sous la magnanimité d'Immortan Joe et le jaillissement des fusils de la bouche du masque volant dans Zardoz.
Ce qu'il y a de certain concernant ce film, c'est que, si je partage aussi une partie des réserves de Gilles Jacob (je ne parviens pas à ressentir l'enthousiasme inconditionnel de Ciment, un peu comme pour L'Hérétique), il ne s'agit aucunement d'un film fait par des gens qui ont fumé la moquette comme on a pu le lire ici ou là : la fabrication, y compris scénaristique du film, est totalement rigoureuse et méthodique et non pas délirante dans ses prospections (en 74, de toute manière, on est plus trop dans le psychédélisme).
Après, ça passe ou ça casse.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Shin Cyberlapinou
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Shin Cyberlapinou »

90% de l'aura nawak du film tient à l'image d'une star majeure dans une tenue improbable (François Forestier en fera la couverture de son livre consacré aux nanars, ouvrage par ailleurs très sage depuis qu'on a redécouvert Vivre pour survivre ou Turkish Star Wars), mais au delà de ce choix le film est effectivement très tenu.
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Alexandre Angel
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Shin Cyberlapinou a écrit : 20 mai 24, 09:59 90% de l'aura nawak du film tient à l'image d'une star majeure dans une tenue improbable
Et déjà, dans ce Masque et la Plume, il y a une allusion moqueuse à ça par Jean-Louis Bory.

Je me risque à un autre parallèle : si ça se trouve, avec le dernier Coppola, on va se trouver devant le même phénomène d'appréhension de l'œuvre sous l'angle de "délire nawak et kitsch / dystopie cohérente et inspirée".
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Telmo »

Shin Cyberlapinou a écrit : 20 mai 24, 09:59 90% de l'aura nawak du film tient à l'image d'une star majeure dans une tenue improbable (François Forestier en fera la couverture de son livre consacré aux nanars, ouvrage par ailleurs très sage depuis qu'on a redécouvert Vivre pour survivre ou Turkish Star Wars), mais au delà de ce choix le film est effectivement très tenu.
C'est mitigé en fait. Le film est sur Nanarland, dans la catégorie au-delà du nanar, mais fit l'objet d'une contre-chronique. En ce qui me concerne, assez d'accord avec la contre-chronique : qui trop embrasse, mal étreint. John (Djôhn si j'en crois le Masque et la Plume) avait beaucoup d'ambition, mais pas les moyens qui allaient avec. C'est intéressant bien sûr, mais les fulgurances de kitsch accompagnent le film tout du long. Les 5 premières minutes du film avec le jeu de mots involontaire de la VF, le pénis c'est le mal ou mâle sont cultissimes. :uhuh:
Zardoz : un titre énigmatique pour un film philosophico-sociologico-SF calibré se déroulant entièrement dans un futur post-apocalyptique dont on ne verra que trois ou quatre scènes (le gros de l’action se déroulant dans un Eden paradisiaque).


Non, je vous l'jure, c’est pas un manga japonais adapté à la télé !


Tout commence avec une tête de statue mal incrustée volant sur fond de nuage le tout soutenu par une interprétation énigmatique de la septième symphonie de Beethoven. Un texte précise que l’action se déroule en 2293 mais ne parle ni de guerre nucléaire ni d’épidémie, dommage.


Moi, Zardoz, vous primitifs !


La tête en pierre volante débarque au milieu d’une horde de brutes, dont Sean Connery, alias Z. Vêtu d'un inoubliable slip rouge et de bretelles-cartouchières assorties, celui-ci semble être à la fois le plus beau spécimen moustachu et le chef. Le dieu-statue-effet-spécial-fauché vomit alors des armes en expliquant qu’il faut tuer tout le monde et éviter le pénis (« the gun is good, the penis is evil » en VO). Z tire alors sur la caméra avec une arme dont le calibre ne correspond pas aux cartouches de sa cartouchière-string et l’écran vire au noir (quand on zigouille un caméraman il a quand même le temps de faire un fade-off). A partir de cet instant, le spectateur hypnotisé ira de découverte en découverte, tel le héros Z, à la fois paumé et manipulateur, hagard et dépassé par un script que le scénariste lui-même ne devait pas avoir compris.


J’ai rien pigé au script mais avec mes bretelles rouges j’ai la classe !


Mais mon but n’est pas de vous raconter tout le film par le menu, uniquement de vous donnez une idée de ce qui vous attend pour vous pousser à partir à la découverte de Zardoz avec vos grands yeux profonds et espiègles de nanardeur. Car, comme la matrice, Zardoz est un film qu’il faut explorer soi-même...


Rien que pour voir James Bond sous cet angle, le film vaut le coup !


D’abord tout est au premier degré, depuis l’intrigue qui se veux allégorique jusqu’aux décors en passant par les dialogues où on parle pêle-mêle d’inconscient, de philosophie, du paradoxe de l’immortalité, de l’homme qui a eu tort de vouloir s’élever au-dessus des lois de la nature, de potentiel reproductif et de nécessité de conserver la culture sous forme de statuettes en plâtre dans des sacs de plastique. Dit comme ça ce n’est pas drôle, mais la philosophie pratiquée par des jeunes filles peu vêtues, au regard halluciné, s'exprimant en voix off et agitant frénétiquement les doigts les bras tendus prend tout de suite un autre visage. Mais ce ne serait rien si tout le film n’était pas monté comme un clip psychédélique.


Les moyens de transport aussi sont cocasses.


Ainsi, lors d'une scène, des femmes peu pudiques transmettent toutes les connaissances humaines à Z en l’allongeant sur une table et en le caressant (enfin, c’est dur de voir ce qui se passe exactement). Défile alors une sorte de clip kaléidoscopique à base de stock-shots de plancton et de miroirs multi-facettes. On entend différentes voix réciter des vers dans pas moins de trois langues différentes, on observe des femmes aux décolletés provoquant (une constante) sourire et tournoyer avec de l’écho et, pour montrer qu’il n’y a pas que de l’art mais aussi des sciences, on voit même défiler en surimpression une intégrale simpliste (ben oui, intégrer un polynôme c’est pas difficile). En fait je crois que l’idée du film était de faire quelque chose de si obscur et abscons, mélangeant tellement d’éléments philosophiques atrophiés, de références culturelles rachitiques et de sacs en plastique transparents, qu’un ignare total puisse penser : « ce film est vachement profond, je ne l’apprécie pas parce que je ne suis pas érudit ».


Admirez mon casque et mes bretelles !


Certaines scènes sont des morceaux d’anthologie : voir Sean Connery en string se balader à l’intérieur d’une tête volante remplie de femmes stockées dans des sacs en plastique (une obsession thématique) est quand même quelque chose de fort. De même, j’ai aussi adoré le passage « déchirage de sac poubelle transparent » avec l’assistance médusée par l’exploit. On les sens bien se dire « zut ! ce type est capable de déchirer un blister d’emballage, en pique-nique il doit savoir ouvrir un sachet de chips sans les dents » ou encore « décidément le metteur en scène abuse de léchage de grenouilles hallucinogènes ». Mention spéciale aux élues immortelles, aussi nombreuses que peu vêtues, qui ne savent même pas ce qu’elles veulent et demandent à la fois à Z, la brute bestiale venue du monde extérieur, de les tuer et de les féconder (on se demande dans quel ordre).


Ce Z est vachement intéressant scientifiquement. Il a des poils sur le torse...

Une dernière recommandation avant de visualiser le chef-d’œuvre (car vous allez forcément le voir, n’est-ce pas ?) : n’oubliez pas de bien observer les décors dignes d’une boutique de chiromancienne retapée par une midinette amatrice de reproductions en balsa de statues grecques. C’est tellement cheap et hétéroclite qu’on peut supposer que TOUT le stock de l’accessoiriste y est passé. Allez, un bon 3/5 car Sean Connery est tout simplement grandiose en moustachu velu.
Contre-chronique
En résumé, Zardoz n'est certes pas un très bon film. A force de trop en vouloir et de tenter d'aborder trop de thèmes en même temps, le film se perd et devient confus, illisible. Toutefois, il serait injuste de le qualifier de nanar car je suis convaincu que le kitsch incroyable des décors, des costumes et de certaines séquences est, sinon volontaire, du moins assumé. Zardoz est drôle mais comme peuvent l'être, toutes proportions gardées, les pièces du théâtre de l'absurde.
https://www.nanarland.com/chroniques/au ... ardoz.html

Il mérite d'être vu en tout cas.
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Flol »

Alexandre Angel a écrit : 20 mai 24, 10:14 Je me risque à un autre parallèle : si ça se trouve, avec le dernier Coppola, on va se trouver devant le même phénomène d'appréhension de l'œuvre sous l'angle de "délire nawak et kitsch / dystopie cohérente et inspirée".
Si je me fie à pas mal de retours lus et entendus à propos du dernier Coppola, le clivage dont tu parles existe déjà.
Et il faut absolument que je revoie Zardoz. Vu une seule fois il y a pile 20 ans je crois, et j'en garde un souvenir assez fascinant (et pas seulement du fait de la tenue de Sean). Je me souviens notamment de l'explication du titre, qui m'avait particulièrement plu.
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Spike »

Alexandre Angel a écrit : 20 mai 24, 09:44 il ne s'agit aucunement d'un film fait par des gens qui ont fumé la moquette comme on a pu le lire ici ou là
Sans doute pas la moquette, mais...
IMDb a écrit :Director Sir John Boorman would later admit that he was under the heavy drug influence while writing the film and during production. He also claims that not even he is sure what parts of the film are about, mainly due to the haze of drugs he was in at the time, and feels that several scenes are pointless.
(source)
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Re: Zardoz (John Boorman - 1974)

Message par Thaddeus »

Je profite de la remontée de topic...

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Ontogénèse du mythe


Pas facile, la condition d’immortel. Arthur Frayn en sait quelque chose, qui se présente d’emblée comme une divinité factice, un manipulateur en chef présidant au destin des personnages, mais qui admet dans le même temps n’être lui-même qu’une créature fictive inventée dans le seul but de divertir. Prologue déconcertant, étrange amorce d’un cautionary tale à la Swift qui stigmatise la dévaluation de toutes les valeurs prophétisée par Nietzsche. Le cinéma de science-fiction accoucha dans les années 70 d’un mouvement à la fois disparate et étonnamment hétérogène allant du TXH 1138 de Lucas au Quintet d’Altman, en passant par Orange Mécanique de Kubrick, Soleil Vert de Fleischer ou La Montagne Sacrée de Jodorowsky. Par son esthétique chamarrée, sa dimension initiatique, son ésotérisme radical, c’est sans doute de ce dernier que Zardoz se rapproche le plus. À l’instar de l’excentrique réalisateur franco-chilien, John Boorman opte pour la distanciation brechtienne et invite le spectateur à mettre le récit en doute avant même de le commencer. Il prolonge aussi certains thèmes centraux de Délivrance, comme la précarité d’une civilisation que menace sa propre technologie, coupant l’individu du dialogue qu’il avait constamment entretenu avec la nature. L’immortalité définit le point extrême de cette dénaturation, et le mouvement qui anime le film est bien de restituer à l’homme ce qui justifie son existence et sa condition : la finitude. S’il se fonde sur un scénario original, le cinéaste ne cache pas ses liens avec la science-fiction littéraire. À Frank Herbert, il emprunte le souci de construire un univers très cohérent et élaboré, si marqué dans Dune ; à John Wyndham, le pessimisme latent et le pittoresque extérieur dans la description d’un environnement post-atomique, fort sensible dans Les Transformés ; à A.E. Van Vogt, qu’il ne cite pas mais dont l’influence est évidente, la complexité de l’intrigue et l’ordalie du protagoniste, semblable à celle de Gilbert Gosseyn dans Le Cycle du Ā.


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Pour le dire schématiquement, Boorman revisite Le Magicien d’Oz comme Kubrick aurait entrepris un remake d’Alice aux Pays des Merveilles. C’est dire que ses ambitions ne sont pas minces et qu’il exprime au grand jour une philosophie universelle restée jusqu’alors sous-jacente, laquelle devra attendre Excalibur pour se manifester avec autant de clarté. De ses idées abondantes, transcendées par et pour l’imagination, naît un monde inédit, autonome, crédible. L’apparition d’un immense masque de pierre flottant dans l’espace, puis vomissant des armes et avalant du blé, efface dès la scène pré-générique toutes les questions oiseuses concernant son existence. On est en 2293. La Terre est devenue un vaste désert, sans nulle trace de végétation, d’un brun uniforme et boueux que parcourent à cheval les Exterminateurs, caste élue qui massacre ou exploite les Brutes, hommes faméliques et loqueteux survivant au milieu des ruines. Ils ne sont cependant que les agents (ou les intermédiaires) d’un ordre supérieur : les Éternels. Ceux-ci se sont réfugiés au sein d’un pseudo-paradis clos (un lac et une vallée verdoyants), le Vortex, qu’ils ont isolé des Terres extérieures par un champ de force infranchissable. Leur microcosme se maintient dans un état de permanence absolue. Le temps y est aboli et il y règne un printemps perpétuel. On n’y meurt pas ; un individu "mort" est immédiatement recréé. On n’y naît pas ; le désir et ses corrélats ont été bannis. Ses habitants ont renoncé à toute violence, vivent en entente spirituelle et communiquent par des méditations en groupes. Ils ont, dans un âge qui a été fixé à vingt-cinq ans, l’éternité devant eux. Mais c’est une éternité glaciale, privée de sentiments, d’émotions, de passions, où la sexualité même n’est plus qu’une abstraction. Leur destin n’est pas la liberté comme un vain peuple le pense, mais une aliénation plus inhumaine que n’importe quelle prison. De là découlent la léthargie des Apathiques, qui ont perdu tout intérêt pour les idéaux de la communauté (purgatoire), et la révolte des Renégats, automatiquement punie de vieillissement et de gâtisme (enfer).

L’intervention de Zed (à qui Sean Connery prête toute sa virilité sauvage) va bouleverser l’ordre des choses. La singularité de ce héros malgré lui se situe à un double niveau : c’est un mutant créé artificiellement pour la mission qu’il doit accomplir et un homme que l’on a mis sur la voie de la connaissance. Parce qu’il a été "programmé" par Frayn, nouveau Merlin l’Enchanteur, il apparaît comme l’instrument (presque) aveugle de la fatalité. À la fin du film, il se perd dans le labyrinthe des illusions et doit se confronter à son propre double d’exterminateur masqué afin de le détruire. La chambre d’écho du savoir absolu est la personnification d’une raison calculante devenue spéculaire ; un aleph-cristal qui vitrifie les êtres et déréalise les images en les anamorphosant à l’infini ; un reflet exténué par la réverbération de deux miroirs se faisant face. Quant au Tabernacle, ce super-ordinateur panoptique et omniscient, il s’avère encore plus mégalomane et vaniteux que le HAL 9000 de 2001 : plutôt que de cryogéniser et de tuer les hommes, il les condamne à l’ennui éternel, ce qui est une manière originale — autrement plus atroce — de les réduire au silence. En atteignant le cœur du sanctuaire, Zed parvient à une sorte d’illumination, un éveil mystique qui lui permet de s’affranchir de tous les conditionnements et d’achever son processus d’individuation. In fine, l’image-excès se révèle être une image-simulacre : le réfléchissement d’une utopie prisonnière de sa propre réflexivité, rendue stérile par un trop-plein théorique et un cruel défaut d’incarnation. C’est seulement après avoir franchi ce Rubicon symbolique que Zed peut anéantir le Vortex, frontière entre deux mondes forclos mais aussi entre deux temporalités cycliques et caduques : celle de la barbarie "pré" ou "anté" historique de l’état de Nature (le monde des Brutes) et celle de la "fin de l’Histoire" (le monde des Éternels), c’est-à-dire d’une Histoire parvenue à son point d’achèvement et, par là-même, rendue obsolète.


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La survivance de la culture n’est pas ici, au contraire de Fahrenheit 451, un enjeu décisif pour la renaissance de l’humanité. Il s’agit de l’assimiler (Zed lit tous les livres de la bibliothèque), de la déconstruire (il comprend que le terrible Zardoz est le magicien d’Oz), de l’ingérer à nouveau (son apprentissage accéléré) pour pouvoir en conserver l’essence sans nécessairement en préserver la forme (les statues des anciennes idoles sont détruites avant de se reconstituer à la faveur d’un trucage optique). Cette dialectique complexe est celle d’une véritable ontogénèse du mythe, étroitement lié à la régénération de l’Histoire et à la remise en marche du processus civilisateur. L’arme et l’art en sont les principaux vecteurs, comme en atteste la toute dernière image : le pistolet et l’empreinte de la main sur le mur de la caverne. En définitive, le parcours de Zed s’apparente à une transmutation alchimique. Le début du film semble coïncider avec celui de l’Œuvre au noir, première étape de la rédemption d’une matière corrompue et viciée, la materia prima du monde des Brutes. L’Exterminateur est le principe actif qui pénètre dans l’Athanor (le Vortex) par la grâce d’un Adepte (Frayn, le démiurge). Zed interagit avec les différents éléments qui s’y trouvent : la matière volatile (les Éternels), la matière inerte (les Apathiques) et les sédiments qui stagnent et fermentent au fond du creuset (les Renégats). Il devient alors corrosif (suscitant la haine), est fertilisé par les réactions qu’il a suscitées (il est ensemencé par le savoir) avant d’entrer dans la phase ultime de l’Œuvre au rouge (Rubedo) en accédant à la pierre philosophale pervertie et contrefaite par les Adeptes qui ont jadis péché par orgueil (les Renégats). Il réintègre enfin le Mercure Œuf, la matrice originelle (la tête de Zardoz) et s’unit à son principe contraire (Consuella). Cette "reconduction en Terre" a pour conséquence de modifier la destinée de l’espèce humaine et de permettre à Zed d’accéder à la seule véritable immortalité : la filiation. Les Éternels redeviennent mortels (leur holocauste est représenté comme une délivrance) et le pourvoyeur de la mort devient un père (la scène finale reconduit le scénario adamique en mettant sur un pied d’égalité l’homme et la femme).

Après le film policier (Le Point de non-retour), le film de guerre (Duel dans le Pacifique) et le film d’aventures (Délivrance), c’est donc avec l’épopée que Boorman conjugue l’allégorie. La réflexion porte simultanément sur les plans historique (les civilisations les plus développées sont aussi les plus vulnérables), politique (toute classe sociale privilégiée subit un jour la loi de ceux qu’elle opprime), philosophique (Dieu est une supercherie conçue pour réduire l’homme en esclavage), moraliste (qu’est-ce que le Bien, le Mal, la vérité, le mensonge ?). Cette richesse thématique est suppléée par l’exubérance visuelle et la profusion néo-baroque de la mise en scène, qui perturbent toute interprétation univoque. Le cinéaste brouille les limites entre songe et réalité : les effets de miroir, les fantasmes projetés sur les murs, les machines à mesurer les états d’âme favorisent une disposition où le cœur est mis à nu — mieux : où il envahit et déforme le monde extérieur. Son style s’appuie sur l’alternance des plans généraux et moyens "remplis", dont la luxuriance des détails incite le regard à se perdre, avec les plans rapprochés et les gros plans, qui invitent au déchiffrement. Zardoz est souvent réduit par ses détracteurs à un bric-à-brac nanardisant, hétéroclite, boursouflé, confus, suprêmement kitsch. Il faut y voir au contraire une œuvre intelligente et ludique, car tout dans cette aventure n’était au fond qu’un jeu, dont les joueurs eux-mêmes ont été floués mais ravis de l’être. Une œuvre libre et ingénue, car Boorman ne réfrène jamais l’inventivité bariolée de ses visions. Une œuvre grave et belle, car il est beau de voir l’éternité courir joyeusement vers sa propre annihilation, le héros crever du doigt un autoportrait de Van Gogh devant une maternité de Picasso, ou Zed et Consuella disparaître aux accents paradoxalement triomphants de la marche funèbre de la 7ème Symphonie de Beethoven. Cette vivifiante entreprise de destruction des virtualités contemporaines donne à rêver et à réfléchir, telle une auberge espagnole de la futurologie proposant à chacun de trouver ce que ses obsessions personnelles lui feront découvrir.


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