Ensuite, le gif de la balayeuse.
Profondo Rosso a écrit : ↑9 mai 21, 21:02Les Fleurs de Shanghai est un film charnière dans l’œuvre de Hou Hsiao Hsien. C’est une œuvre où il s’éloigne à la fois de la veine intime de ses films des années 80 (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986)) mais aussi de l’ancrage historique de son cycle suivant sur le passé de Taïwan (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)). Les Fleurs de Shanghai se situe dans un passé plus lointain avec cette Chine continentale de la fin du XIXe siècle, mais si la reconstitution sera certes raffinée et méticuleuse, on s’éloigne de toute préoccupation politico-historique trop marquée (et par conséquent de lien à Taïwan) pour nous plonger dans les méandres d’un monde clos et de ses codes dans une approche stylisée et organique qui annonce les films suivants du réalisateur dont le fameux Millenium Mambo (2001).
Ce dépaysement se ressent même sur des éléments pas forcément perceptibles par le spectateur occidental. Les aléas de financement et coproduction amènent le casting à être composé à la fois de stars hongkongaises (Tony Leung Chiu-wai, Michelle Reis, Carina Lau), d’acteurs taïwanais et habitués de Hou Hsiao Hsien comme Jack Kao et de la japonaise Michiko Hada. Nous ne sommes cependant pas dans les facilités d’un cinéma hollywoodien qui s’essaie à un récit à l’environnement asiatique (Memoir of Geisha qui caste les Chinoises et malaisiennes et Zhang Ziyi, Michelle Yeoh et Gong Li pour jouer des Japonaises, en anglais…). Pour Hou Hsiao Hsien c’est une manière d’accentuer le dépaysement y compris pour les spectateurs locaux puisque les dialogues du film sont dans la langue shanghaienne du XIXe, plus pratiquée désormais et que les acteurs durent apprendre pour certains phonétiquement ou alors être doublés (Hou Hsiao Hsien préfèrera d’ailleurs rendre muet et sous-titrer le segment de Three Times (2005) se situant à la même période historique car n’ayant pas le temps de faire apprendre la langue aux acteur comme ici). C’est donc à une plongée dans l’ailleurs en termes d’atmosphères, de rythme et de rapport humains que nous préparent tous ces artifices et ce dès la scène d’ouverture.
Un groupe d’homme festoient dans une maison close, leurs courtisanes juchées debout derrière eux comme des trophées ornementaux et participant à leurs jeux à boire. Cependant deux d’entre eux dont Wang (Tony Leung Chiu-wai) quitte bientôt l’assemblée pour rejoindre leur courtisane attitrée qui les attends dans ses quartiers. Après leur départ, les restants déplorent alors ou se moquent des rapports conflictuels et passionnés que les absents entretiennent avec leur courtisanne. En effet si les circuits qui amènent les femmes à être courtisanes (généralement orpheline vendues à des maisons closes et éduquées en vu de leur future vocation) obéissent à des codes de soumissions patriarcaux, la question se fait plus complexe parmi les plus populaires d’entre elles dans le rapport au client. Même si des sentiments sincères peuvent naître et aboutir au mariage, les prémices commerciaux de la relation ne s’estompent jamais réellement. La jalousie supposée masque plutôt la concurrence commerciale quand Rubis (Michiko Hada) reproche à Wang de fréquenter Jasmin (Vicky Wei), nouvelle venue. Elle invoque le manque à gagner qu’implique son exclusivité à Wang alors qu’il va voir ailleurs, et ses dettes non remboursées par ce dernier. Cette dépendance est pourtant plus contrastée quand on comprendra que ce lien essentiellement « pécuniaire » est entretenu et voulut par Rubis alors que Wang souhaitait épouser. A l’opposé on trouve une farouche volonté d’indépendance chez d’autres comme la déterminée Emeraude (Michelle Reis) évite toute proximité amoureuse avec le client pour tenter de racheter sa liberté. On oscille ainsi dans des interactions intime à un carrefour entre soumission et/ou prolongation du modèle (la vieille patronne qui continue d’avoir des aventures avec de jeunes amants, Jade jeune courtisane prête au suicide passionnelle) et volonté de s’en émanciper, le choix se faisant dans ce qui sera le plus lucratif. On sera d’ailleurs frappé par la quasi-absence de sensualité, de tendresse et de proximité physique, l’oubli se fait dans les volutes d’opium plutôt que les bras de l’autre dans cette atmosphère flottante.
Le film est adapté (sur un scénario de la fidèle Chu Tien-wen) d’un roman de Han Bangqing, auteur qui vécu à cette période et retranscrivit dans son ouvrage des situations dont il fut témoin puisqu’il était lui-même un visiteur assidu des maisons de plaisirs. Hou Hsiao Hsien reprend la narration du livre, dépourvu de fil rouge narratif et passant d’une situation à l’autre par les fondus au noir. Visuellement cela s’illustre comme une suite de tableaux dont les soubresauts sentimentaux passent par les nuances de la photo de Mark Lee Ping Bin, les compositions de plan où la disposition des personnages, le travail de texture entre le décor (qui renforce le côté vase-clos en ne faisant jamais distinguer si l’on est de nuit ou le jour) et les costumes, expriment par l’image toute la complexité des rapports entre les personnages. Les trous sur l’évolution de certaines relations sont comblés furtivement par un dialogue, mais c’est bien l’écrin formel qui est le moteur émotionnel de Hou Hsiao Hsien. Comme dans Millenium Mambo à venir, les notions de dominant/dominé sont plus complexes, à la fois pour les femmes entre elles (leur surnom désignant presque pour toutes un bijou, donc la brillance narcissique autant que la possession) et face à des hommes bourreaux comme victimes (la mélancolie finale de Wang) du monde qu’ils ont conçu. 5/6
Joe Wilson a écrit : ↑9 févr. 09, 20:50Découverte assez admirable, qui confirme mon attachement à l'oeuvre d' Hou-Hsiao Hsien.
La puissance de la mise en scène laisse un sentiment d'intemporalité assez fascinant. Si l'univers des maisons closes peut apparaître lointain et inaccessible, dès la première séquence, un sentiment de familiarité nous saisit. La radicalité de la proposition esthétique provoque le vertige d'une immersion dans un monde secret, obscur, qui abrite simplement le flot des contradictions et désirs humains.
Si il est certainement ardu de suivre un récit discontinu et complexe, Hou nous invite précisément à une contemplation sensible, hypnotique et fragile. C'est d'elle que découle les pics dramatiques (la relation Wang/Rubis), qui permettent l'appréhension des souffrances et des frustrations. La réalisation est discrète, coule de source, donne l'impression d'une succession de tableaux, qui nous place en position de témoins d'instants d'intimité perdus. L'attention aux codes, aux gestes, exprime une rigueur immense : Hou se concentre sur des rapports ambigus de domination et d'inter-dépendances, entre courtisanes et clients. La peinture est subtile, et offre finalement une vision d'une sérénité profondément émouvante et troublante.
Au travers d'une démarche historique exemplaire, Les fleurs de Shanghai cerne un espace-temps révolu avec un regard d'une précision et d'une exigence mémorables. La splendeur des décors, la beauté fébrile et fugace de certaines compositions de plan, sont au service de cette exploration souterraine d'un cadre de vie.
Le film laisse une trame infime tant les détails semblent s'évanouir après la vision, dans le flottement du souvenir. Et c'est certainement une de ses plus grandes richesses.
Demi-Lune a écrit : ↑7 mars 16, 09:51Pour ma part, je suis allé voir Les fleurs de Shanghai (1998), une tranche de vie dans une maison close à la fin du XIXe siècle. La somptuosité de l'image (photographie mordorée à la Gordon Willis, raffinement des étoffes et des gestes, atmosphère sensuelle aux vapeurs d'opium, etc) est aussi agréable à l’œil que le physique des actrices, mais je déplore une nouvelle fois de rester à l'extérieur de la proposition, à cause du peu d'intérêt du semblant d'histoire. Pas d'ennui insondable cependant, j'étais même surpris de constater que le film avait duré plus de deux heures.
bruce randylan a écrit : ↑22 mars 16, 01:31Les fleurs de Shanghai (1997) m'a presque déçu au vu de sa réputation.
Cela dit, ça reste assez difficile d'accès, froid et étiré jusqu'à l'abstraction quasiment. Le genre de films qui pourrait durer 20 minutes comme 5h que ça changerait pas grand chose. Toujours est-il qu'au bout d'une heure et des poussières, j'avais fait le tour de ce que le film a à proposer.
Mais en effet, c'est loin d'être vilain à regarder.
tenia a écrit : ↑5 août 20, 16:21perso, j'ai commencé à regarder ma montre à 45 min).
En proposant une série de vignettes autour de personnages jamais précisés, jamais étoffés, et dont les motivations, enjeux, positions sociales et valeurs profondes sont virtuellement introuvables, tout le film finit par glisser à distance, et tout ce petit monde semble évoluer dans une bulle derrière une vitre. Les fondus en noir entrecoupant les plans séquences exacerbent l'impression d'un film qui pourrait durer 1h de moins ou 3h de plus que ça ne changerait rien et le jusqu'au-boutisme les faisant remplacer parfois la moindre coupe alourdit l'aspect visuel du film, lui donnant un aspect soudainement très cheap. Couplés à l'insupportable musique qui donne l'impression de 3 thèmes de Zelda SNES tournant en boucle pendant 1h45 sans discontinuer, cela renforce l'impression de choix esthétiques contre-productifs pour le spectateur. Le fond pourrait être captivant mais semble avoir volontairement été mis à distance par la forme, comme si le but de HHH était de totalement saper toute possibilité d'identification ou d'affection pour les personnages et leurs (més)aventures.
Le livre de Tesson sur le film (offert comme goodies Carlotta après ma séance) confirme pour moi ce travail de sape. Tesson détaille notamment le travail technique sur les plans ainsi que leurs conséquences à l'écran, et elles s'avèrent quasi toujours frustrantes et négatives pour le spectateur (pour ne pas dire punitives). Qui plus est, Tesson a bien du mal à dépasser le pur constat technique : tel plan permet de priver le spectateur du couple dans le cadre, tel autre transforme le protagoniste en un figurant quasi muet pour désarçonner le spectateur, et tel dialogue réduit une intrigue sentimentale entière à du hors-champ intégral et 3 lignes de texte. Ca donne envie.
Cela n'empêche pas la beauté des costumes et la rigueur des cadrages d'être impressionnantes, tout comme le jeu intériorisé des principaux interprètes, mais il fut difficile pour moi de ne pas avoir l'impression d'une page blanche où tout le travail de remplissage est laissé au spectateur. D'ailleurs, un panneau texte clôture le film. Il n'était pas sous-titré à ma séance, et j'ai donc cru que c'était un panneau soit lié à la restauration, soit à la production du film, quelque chose de plutôt accessoire en tout cas. Mais non : le livre de Tesson explique qu'il détaille en fait ce qu'il advient du personnage principal, rien de moins ! Mais visiblement, on s'en fout tellement de ce qui peut lui arriver qu'on n'a même pas besoin de cette info.
Peu importe/10, et la confirmation pour moi que HHH n'est pas vraiment pour moi, même si j'avais bien aimé Les garçons de Fengkuei, qui m'a laissé a posteriori un très bon souvenir (meilleur que le 7/10 que je lui avais accordé).
Mama Grande! a écrit : ↑4 oct. 20, 18:52La première vision des Fleurs de Shanghai il y a une douzaine d'années m'avait pourtant bien ennuyé, à une époque où j'étais en pleine phase HHH. Je l'avais vu lors d'une séance spéciale où la scénariste était invitée, et ses premiers mots après la projection furent "ça va? vous n'avez pas trop dormi?" Je ne m'étais en effet pas intéressé aux personnages et à leurs vies, contrairement à ceux de Millennium Mambo qui vivaient à mon époque et étaient de ma génération. Sans compter le doublage en shanghaien pas toujours très convaincant.
Mais en le revoyant lors de cette ressortie, il m'a plus captivé. L'intrigue (Tony Leung pris entre deux courtisanes) m'est apparue plus claire, et la profondeur de champ incroyable des plans, outre la performance technique, leur donne une vie, un pouls, un parfum, qui est resté avec moi pendant plusieurs jours après la projection. Comme si leur durée leur avait laissé le temps de m'imprégner, et ensuite de fleurir dans ma mémoire pour pouvoir dans quelques années peut-être les revisiter, et y découvrir de nouvelles richesses. HHH avait dit dans une interview que plus que des intrigues, il voulait transmettre des atmosphères et ambiances à partir desquelles des histoires pourraient naître. Ca n'a jamais été aussi vrai qu'avec celui-là.
Je préfère les HHH contemporains et autobiographiques, mais Les Fleurs de Shanghai reste à mon avis une réussite.