Il faut que je touche deux mots du magnifique film de Krzysztof Zanussi,
La Constante (1980).
On y suit Witold, un jeune polonais idéaliste, s'inscrivant au corps des parachutistes lors de son service militaire, une manière pour lui de marcher dans les pas de son père. Ce dernier, figure accomplie d'une époque différente, aura laissé un vide incomparable dans la famille, mourant lors d'une escalade du mont Everest alors que son fils n'a que 8 ans. Witold décroche ensuite un emploi qui, luxe rare dans la Pologne de l'époque, lui permet de voyager, de l'Inde à l'Allemagne de l'Ouest, la promesse ultime restant le continent nord américain. Alors, qu'il prépare avec des amis une nouvelle expédition dans l'Himalaya pour achever l'œuvre de son père, il doit cependant faire face à la dégradation rapide de l'état de santé de sa mère, gérer une rencontre amoureuse avec une jeune infirmière, se heurter à sa direction et ses collègues et surtout batailler avec sa conscience dans sa recherche d'idéal moral.
La photo est magnifique, magnifiant un Pologne hivernale, une Inde ocre et un Himalaya éclatant, fait rare dans la cinématographie nationale. La partition de Wojciech Kilar est grandiose et mériterait bien d'être éditée séparément. Zanussi procède par tableaux elliptiques mais suffisamment chargés de sens pour induire une évolution dans le regard que porte son protagoniste sur son monde. Ce dernier n'est pas tant en lutte avec l'idéal communiste qu'avec la perversion de cet idéal, en particulier par toutes les figures d'autorité sensées le représenter. Entre l'image avortée et déformée de la figure paternelle, une mère malade et un état corrompu, Witold fait figure de dernier homme. Le film pourrait être vu comme une version polonaise du
Serpico de Lumet tant il aborde frontalement la question de la corruption (politique, financière, morale), des tourments sociaux qu'elle peut causer (mise au ban de Witold qui ne veut pas prendre de pot de vin) et du compas moral qu'elle dérègle dans un monde en pleine évolution. Witold est montré comme déconnecté du monde, refusant l’entrebâillement capitaliste auquel tout un chacun semble vouloir accéder. Sa recherche d'accomplissement personnel et d'ailleurs géographique le met toutefois aux antipodes du système communiste mourant. Il n'a sa place nulle part et ne sait comment traiter sa relation amoureuse. Sa vertueuse résistance et son abnégation en font un esprit rebelle et tourmenté errant dans les limbes d'un monde déjà-mort. Le rêve d'Everest (soit un environnement parfaitement hostile à l'humain) doit devenir réalité tangible si Witold veut avancer dans la vie: on gravit une montagne comme on monte une marche d'escalier, un pied devant l'autre. Stagner, c'est mourir et toute évolution devient bonne à prendre. Nul renoncement dans le final qui pourrait sembler amer, mais un nouveau début.
Le film est plus complexe et nuancé que ma vulgaire appréciation ne le laisse paraître. Le cinéma polonais avait vraiment atteint un niveau d'extase de la pensée incroyable, mariant avec une belle finesse les tourments intérieurs, le portrait social en creux et l'histoire en marche. Un film détox.