
1. High Life – Claire Denis
Il était une fois, dans un futur chu de quelque désastre, une colonie pénitentiaire en dérive astrale vers la terminaison des temps. Et la plus singulière des réalisatrices françaises de réinventer le mythe de la nouvelle frontière, cette illusion ne cachant que le néant dont l’on vient et où l’on retournera. Odyssée hypno-planante dont les effets d’absorption opèrent sans retour, catafalque de vertige et d’agonie, le film maraboute l’esprit et les sens en se frottant aux mystères de l’intime.
2. Une Affaire de Famille – Hirokazu Kore-eda
Hirokazu n’a pas son pareil pour ausculter la famille, théâtre du sentiment où les secrets et les rancœurs circulent aussi librement que les mots sincères et les effusions affectives. Éclairant la contradiction entre la norme sociale et l’exigence de justice, entre les interdits et l’épanouissement de chacun, il procède d’une finesse qui rend imperceptible le contre-champ politique du propos, et désamorce toutes les ornières du film-dossier. Un joyau d’humanité, d’intelligence et de sensibilité.
3. Nos Batailles – Guillaume Senez
Le cinéaste franco-belge prouve d’éclatante manière qu’il va désormais falloir compter avec lui. Aux multiples pressions du système capitaliste, à la déshumanisation, au burn-out, à la recherche épileptique de performance, aux phénomènes de réplication ou d’exploitation consentante dans lesquels les personnages sont pris au piège, ce film superbe et poignant oppose une empathie, une chaleur, une tendresse qui embrassent tout le champ des possible autant qu’ils embrasent le cœur et la conscience.
4. First Man – Damien Chazelle
Il est peu question de conquête spatiale tonitruante et d’imaginaire triomphaliste dans cette approche quasi documentaire où le professionnalisme l’emporte sur les velléités spectaculaires. À la frénésie des morceaux de bravoure Chazelle substitue le regard inconsolable d’un astronaute en rupture des siens. Et aux images d’Épinal, le néoclassicisme virtuose d’un récit tenant de l’obsession funèbre, d’un désir de résilience qui se cristallise dans l’empreinte poudreuse laissée sur le sol lunaire.
5. Shéhérazade – Jean-Bernard Marlin
Une fois de plus le jeune cinéma français prouve qu’il a le diable au corps, les doigts dans la prise, et que ses représentants savent se saisir de la foudre. En pleine rupture avec le réalisme social de banlieue (on y entend le Crockett’s Theme au détour d’une séquence), cette électrisante odyssée phocéenne fait éclore un romanesque revitalisant à plein régime toutes les rengaines et morales épuisées, et rappelle que l’amour est question de partage, d’éveil et de transformation intérieure.
6. Les Frères Sisters – Jacques Audiard
Loin de la fugue superflue dans les contrées récréatives de l’exercice de style, Audiard offre un film complexe par ses différents niveaux de lecture et évident par la maîtrise fluide de sa facture. Soumise à l’enfer d’un monde avide et cruel avant de se ressourcer au ventre maternel, sa fratrie arpente les étapes et embûches d’un récit en forme de parabole qui préfère aux pesanteurs didactiques la plénitude d’une mise en scène laissant advenir l’émotion sans la provoquer. Très belle réussite.
7. En Guerre – Stéphane Brizé
De Nos Batailles à En Guerre, le front de la lutte syndicale suscite des films aux titres offensifs, politiquement lucides et émotionnellement gratifiants. Il est bien ici question de manœuvres tactiques et de rapports de force, d’escarmouches et de pourparlers, de capitulations et de victoires (fussent-elles à la Pyrrhus), avec une loi d’airain en ligne de mire : malheur aux vaincus. Où quand le feu de la colère et l’ardeur de l’engagement aiguisent leur tranchant contre l’amertume du constat.
8. Les Veuves – Steve McQueen
Polar en pétard où s’orchestrent la révolte des déshérités contre les nantis, la survie d’une poignée de victimes déçues et trompées bien décidées à prendre leur destin en main. Sans émousser son regard perçant sur la société américaine, l’auteur entrelace les fils du récit au sein d’un biotope précisément détouré (Chicago en proie à la concurrence des népotismes, à la corruption institutionnalisée, à la violence des gangs), propice à fondre la substance du propos dans le chaudron de l’action.
9. Sans un Bruit – John Krasinski
Souvent étrillé pour ses incohérences, ses facilités, ses maladresses, ce premier long-métrage est pourtant un slasher d’une redoutable efficacité qui exploite au maximum les opportunités de son postulat, et qui fait le pari de l’épure stylistique aux dépens de toute surenchère spectatulaire. Par sa concision, sa maîtrise de procédés narratifs oubliés, sa faculté à maintenir la tension d’un récit remarquablement économe, il s’impose comme le suspense le plus prenant de l’année. Donc le meilleur.
10. En Liberté ! – Pierre Salvadori
La loufoquerie le plus débridée, la plus désopilante, est ici ce qui transfigure la carte du Tendre et détourne chacun de sa route pour mieux lui faire retrouver son chemin. Arpentant avec une délicieuse élégance les côtés et diagonales de son quadrilatère amoureux, le cinéaste élabore ainsi une fantaisie policière ne donnant, pour se réinventer une vie après une révoltante injustice, achever un deuil ou simplement aimer, qu’une seule réponse : l’imaginaire comme force de transformation du réel.
Sur le banc : Asako I & II (Ryūsuke Hamaguchi), Les Éternels (Jia Zhang-ke), Everybody Knows (Asghar Farhadi), Leave No Trace (Debra Granik), Les Oiseaux de Passage (Cristina Gallego & Ciro Guerra)…