Un cycle consacré à "Octobre 1917" touche à sa fin à la Fondation Pathé avec forcément quelques titres assez rares au milieu des classiques d'Eisenstein ou de Poudovkine :
Débris d'empire / l'homme qui a perdu la mémoire (Fridrikh Ermler - 1929)
Après 10 ans d'amnésie causée par la guerre, un homme retrouve la mémoire et décide de retourner dans son ville d'origine.
En s'inspirant de de cas avérés d'amnésie (causée par le traumatisme de la guerre), Ermler parvient à livrer un film de propagande assez original et prétexte aux nombreuses expérimentations russes typiques de l'époque. Ainsi lorsque les souvenirs reviennent au héros, les fulgurantes accélérations du montage avec des plans d'une ou deux images sont tout à fait justifiées psychologiquement ; de même que plusieurs effets très inspirés sur la profondeur de champ et l'utilisation de flous ainsi qu'une première partie baignant volontiers te symboliquement dans l'obscurité avec là encore une certaine virtuosité comme ses phares balayant les environs d'une gare enneigée.
Et pour l'histoire, elle est également assez habile en présentant cet amnésique faire face à un saut temporel de 10 ans sans qu'il ait eu l'occasion de saisir les effets de la Révolution qu'il n'a pas connu. Ainsi quand il rend visite à son ancien patron d'usine pour retrouver son poste, il ne comprend pas pourquoi ce dernier traîne pathétiquement en pyjama et complétement reclus chez lui, pas plus qu'il ne comprend qui dirige vraiment la fabrique d'autant qu'il ne trouve pas Mr Fabkom (l'abréviation de Fabrichny komitet). C'est assez astucieux et moins démonstratif que d'autres films de l'époque d'autant que la présentation des personnages est moins manichéenne qu'on aurait pu croire (l'ancien patron est presque touchant et un employé boit de l'alcool entre les machines).
La narration est un peu brouillonne au début où les repères ne sont toujours pas évident entre 1917, 1918 et 1928 avec en plus une fausse piste sur le protagoniste principal qui n'est pas celui qu'on imagine (un jeune soldat secouru). Une fois que le vrai héros est identifié et revient au bercail, le film gagne en intensité dramatique avec quelques moments remarquables même si le film n'est pas avare en séquences brillantes durant la première partie comme ce moment stupéfiant (et jamais reproduit depuis à ma connaissance) où le blessé assoiffé va téter une chienne qui vient d'accoucher (et qui sera froidement abattue par les troupes impériales laissant ses chiots orphelins).
Le final enfin ne manque pas de puissance mais à un niveau plus intimiste lorsque que le héros retrouve enfin sa fiancée qui s'est remariée à un bourgeois cynique et violent pour une séquence qui explique le titre (
Débris d'empire). La gestion des focales, de l'espace, des gros plans et du montage composent une symphonie visuelle d'une grande maturité appuyée par l’interprétation sensationnelle de Fyodor Nikitin, impeccable du début à la fin.
Montagnes d'or (Sergei Youtkevitch - 1931) est plus conventionnel et évoque à ce titre un peu la
Fin de St Petersbourg avec des ouvriers hésitant entre la grève ou de rester fidèle à leur patron qui les manipule.

Ca reste un film globalement réussi pour sa facture visuelle mais qu'il est difficile de juger puisque la Fondation Pathé a jugé bon de diffuser la version sonorisée que le cinéaste établit en 1936 mais en coupant le son pour l'accompagnement au piano...
J'ai pas trouvé trop d'infos (et la présentation était un peu floue) mais on dirait que le cinéaste a retourné plusieurs séquences et a dû en couper pas mal puisque cette version est plus courte d'une bonne trentaine de minutes. En tout cas, on voit que le son est ici important et son utilisation a l'air plutôt pertinente : la musique folklorique qui accompagne une future naissance mais qui s'arrête brutalement quand on devine que l'accouchement s'est mal déroulé, la séquence musicale dans les toilettes où les employés ne peuvent pas rester plus de 5 minutes, l'atmosphère des bars nocturnes, une porte qu'on tambourine... et surtout le tic-tac d'une montre, cadeau du patron à un de ses ouvriers avec l'espoir que celui-ci s'oppose à la grève des bolcheviks et qui résonne ainsi comme un rappel à la trahisons envers ses compagnons.
Passé cette curieuse idée de programmation assez frustrante, le film se suit bien avec quelques idées visuelles mémorables comma la foule se regroupant autour autour d'un cadavre en une succession de jump cuts. Dans l'ensemble, les effets de style se trouvent plutôt dans le premier tiers et se font plus rare une fois que le dilemme du héros est lancé. Mais le scénario est assez bien ficelé et ne manque pas de force malgré des seconds rôles assez caricaturaux comme les sous-fifres du patron suintant la perfidie.
Les 26 commissaires de Bakou (Nikolaï Chenguelaia - 1932) est le moins intéressant des trois à cause d'une durée bien trop longue pour une narration manquant cruellement de concision. Je dois avouer que j'ai eu assez de mal à rentrer dans l'histoire. Pour le coup un petit recadrage historique n'aurait pas fait de mal avant la séance : bolcheviks, menchéviks, troupes germano-turcs et anglais se retrouvent bientôt en confrontation. Pas facile de s'y retrouver au début même si l'intrigue aborde un fait assez peu connu chez nous qui aurait pu donner quelques choses de passionnant.

L'intrigue assez mollassonne et sa dimension collective font qu'on se désintéresse un peu trop rapidement des protagonistes malgré une photographie époustouflante qui offre de puissants plans de visages. Passée une introduction plutôt alléchante, ça retombe bien vite dans d'interminable réunions et scènes d'exposition. En revanche le dernier tiers remonte en flèches quand les anglais trahissent la ville de Bakou pour s’approprier les puits de pétrole et préfère ensuite saboter les pipeline plutôt que de les laisser aux bolcheviks. Outre une saisissante séquence d’exécution au milieu des dunes, on trouve des plans incroyables des ouvriers sous une pluie de pétrole d'une beauté macabre. Je me demande vraiment comment cela a été tourné (et si c'est vraiment du pétrole !) car le résultat est impressionnant.
Ca permet de se dire qu'on a pas perdu son temps.
Sinon pour sortir de la Fondation Pathé
Grosse révélation avec [b]After death[/ ... oviétique.
Je continue mon exploration d'Evgenii Bauer avec deux moyen-métrages.
Enfants de la cité / Child of the big city (1914) est moins abouti qu'
After Death tout en étant très inspiré et largement en avance sur son temps. Les lacunes du film proviennent de plusieurs moments un peu trop théâtraux pour une histoire édifiante où un bourgeois recueille une modeste couturière qui prendra vite goût au luxe au point de tourner le dos à son protecteur quand il fait faillite. La fin à ce titre est d'une rare violence, à la fois grotesque et poignante.
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- L'aristocrate déchu se suicide sur le perron de la demeure de son ancienne maîtresse, émue quelques secondes et rapidement contrainte d'enjamber maladroitement son corps pour ne pas arriver en retard à une soirée, suivie par une dizaine de convives.
Par contre formellement, le film possède plusieurs moments qui méritent qu'on s'y attarde comme l'utilisation de la photographie, des sources de lumières et de la profondeur de champ qui donne un moment très réussi comme le personnage féminin debout devant un vaste rideau cachant une parti de la salle de réception dans le fond de la pièce.
Daydreams (1915) m'a beaucoup moins marqué avec sa variation sans éclat d'
After Death où un homme ne se remet pas du décès de son épouse et ne tarde pas à projeter l'image de cette dernière dans une comédienne qui lui ressemble. Il y a ici quelques travelling très bien utilisés mais desservis par des décors médiocres, une photo un peu plate (un comble pour Bauer) et un interprète peu crédible. Du coup, je n'ai pas réussi à être pris par la progression dramatique qui donne pourtant un dernier tiers normalement tragique sur le papier.