Luchino Visconti (1906-1976)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Kevin95
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

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ROCCO E I SUOI FRATELLI (Rocco et ses frères) - Luchino Visconti (1960) révision

Au croisement entre deux périodes, Rocco e i suoi fratelli n'est pas un enfant ballotté mais la réunion du meilleur de Luchino Visconti. A la fois gros morceau néo-réaliste (Visconti première main) et fresque opératique (Visconti deuxième main), le film peut se voir comme le plus beau de son auteur, à la fois à hauteur d'hommes à l'heure avec son époque et en même temps imposant, éternel. Filmé avec un soin extrême, Rocco synthétise toute l'après-guerre en Italie, à la fois d'un point de vue cinématographique, politique et sociale. Une famille du Sud veut croquer du boom économique transalpine, quitte terres et patois pour la grande ville et va se casser les dents sur le bitume du Nord. La faute à personne, au destin mettons, Visconti souligne autant la mentalité crasseuse des néo-bourgeois citadins que la propre responsabilité de la famille à s’autodétruire (annonçant les crises familiales d'Il Gattopardo / Le Guépard et de La caduta degli dei / Les Damnés). Alain Delon se cache, Renato Salvatori casse et Annie Girardot trépasse, tout le monde en aura pour son malheur et les dernières minutes étouffent dans les cris, les larmes et le désespoir. Sans les codes opératiques, tout ceci aurait viré au ridicule mais pris devant la caméra de Visconti, le chaos de cette famille prend une proportion tragique, déchirante. Les Francis Ford Coppola (The Godfather) ou Martin Scorsese (Mean Streets) se sont abreuvés à cette source, le film perciste avec le temps, s’amplifie même avec les récents restaurations mettant en valeur l'incroyable beauté visuelle du film. Au coude à coude dans mon panthéon Visconti-en avec Il Gattopardo... allez, va pour Rocco, pour ses larmes et son coté "opéra de la rue".
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Kevin95
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

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IL GATTOPARDO (Le Guépard) - Luchino Visconti (1963) révision

Découvert trop tôt, la grosse machine de Luchino Visconti m'était un peu passée au-dessus de la tête or depuis, chaque vision est un coup de poing au ventre et le film se cesse de monter dans mon panthéon personnel au point d'inquiéter Rocco e i suoi fratelli / Rocco et ses frères (1960) dans la case numéro une de la filmo de son auteur. Beau à s'en faire griller les pupilles, Il Gattopardo c'est de la mélancolie en costume trois pièces, une tristesse enfouie derrière les apparences, un drame déchirant sur un homme témoin d'un monde qui change, d'une vie qui passe et d'un corps qui faiblit. Chaque scène, chaque plan est d'une telle maitrise, d'une telle évidence qu'on lèverait les yeux au ciel toutes les cinq minutes s'ils n'étaient pas scotchés sur l'écran. Un plan parmi d’autres, juste comme ça, pour le plaisir : la famille arrive dans leur villégiature, ils assistent à la messe sans prendre le temps de se changer et d'un travelling latéral, Visconti souligne la vétusté de cette noblesse, objet de musée balayé par le temps. C'est grand, discret et génial, le bal final retourne le cœur entre euphorie et déprime lorsque Burt Lancaster (un Dieu) se regarde dans le miroir. En quelques plans on ressent tout son mal-être, la peur de vieillir, le dégout de ce monde fin de race (l'arrière-plan sur les urinoirs), l'étouffement du lieu. Il faudrait analyser le film image par image, chose que je ne ferai pas (faut pas déconner), pour en faire ressortir toute la grandeur. Classe A.
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Alexandre Angel
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Alexandre Angel »

Belle esquisse Kevin.
Si je ne me trompe, le travelling latéral que tu évoques les montre empoussiérés (puisqu'ils n'ont pas eu le temps de se changer) et effectivement, la symbolique sépulcrale est géniale.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Kevin95
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

Alexandre Angel a écrit :Si je ne me trompe, le travelling latéral que tu évoques les montre empoussiérés (puisqu'ils n'ont pas eu le temps de se changer) et effectivement, la symbolique sépulcrale est géniale.
C'est ça, j'ai oublié de préciser. :wink:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

MJ a écrit :Rocco et ses Frères de Luchino Visconti

Des longueurs et certaines interprétations outrée (la mamma plutôt cliché...), mais dans l'ensemble c'est très convaincant. Etonnant comme le film bascule de l'ambiance initiale à la déchéance finale, carrément éprouvant même.
Oui éprouvant : j'ai même eu énormément de mal avec la dernière heure trop opératique et exagérée à mon goput alors que tout le début m'avait laissé dans un grand état de ravissement, notamment tout ce qui se rattache encore au néoréalisme comme la manière de filmer les rues, les décors nocturnes, la photo... Très bien (Annie Girardot notamment est grandiose) mais quand même très déçu au final en rapport à mes attentes.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Super Soul »

Up up up !

L'occasion ou jamais de (re)voir les Visconti sur grand écran, c'est en ce moment et pendant un mois à la Cinémathèque française.
On a concocté une petite bande-annonce, et j'ai fait un choix très subjectif de 5 films dans cette imposante filmo.
A très vite au 51 rue de Bercy ?

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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par bruce randylan »

L'étranger (1967)
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Disons le tout de suite, je ne le connais pas le roman de Camus ( :oops: ). Ceux qui l'ont lu ont l'air de considérer cette adaptation ratée et très faible. Découvrant donc l'histoire et le personnage directement sur l'écran, j'avoue avoir trouvé le résultat vraiment intéressant. Sans doute pas aussi passionnant que cela aurait pu l'être mais certainement pas honteux ou dispensable.
Il y a une sorte de déliquescence existentialiste que j'ai trouvé très originale à défaut d'être viscérale. A ce titre, le recours à une voix off est une réelle facilité qui aurait mérité d'être traité plus visuellement comme l'est le tout dernier acte où les ténèbres engloutissent littéralement et progressivement Mastroianni. Il y a bien des tentatives de traduire sa lassitude et son détachement par l'utilisation du son ou de la lumière mais ces effets ne sont pas assez poussés pour être palpable. D'un côté, j'ai trouvé que cette "indécision" de la réalisation appuyait presque le propos du film à l'image du procès où Meursault est totalement absent et déconnecté des enjeux, peut-être conscient que les dés étaient déjà lancés et que la résistance est inutile puisque incompréhensible. Par contre, c'est sûr qu'il y a des moments où Visconti ne sait pas quoi faire de son matériel et se contente de balancer les zooms mécaniquement comme lors du premiers tiers assez agaçant.
Je sais pas si Mastroianni a compris ou non le personnage du livre mais je n'ai pas été dérangé par son interprétation tout en admettant que c'est loin d'être son meilleur rôle.

Un film assez curieux, bancal, maladroit mais qui m'a souvent fasciné dans l'ensemble, sans doute plus en effet pour son scénario et son personnage central insaisissable que pour la pellicule imprimée. Reste que cet opus de Visconti ne mérite pas cette quasi invisibilité. Il y a un problème de droit ou c'est juste sa piètre réputation qui joue contre-lui ?


L'innocent (1976)
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C'est assez troublant de voir à une semaine d'écart L'étranger et cette ultime réalisation de Visconti. J'y ai retrouvé un personnage masculin assez similaire : froid, en parti désensibilisé qui porte sur un monde un regard absent sans la moindre empathie, décrivant ainsi cliniquement à son épouse son attirance pour sa maitresse comme si cette dernière était capable de couper ses émotions. Justifier son comportement par son athéisme m'a un peu dérangé même si d'un pure point de vue symbolique, la perte de valeur du "sacré" est plutôt pertinente.
Bien que l'ayant vu en étant très fatigué (re :oops: ), j'ai beaucoup apprécie le rythme de sa narration qui joue fortement sur la durée des prises de vues pour y distiller une tension psychologique intrinsèque qui rend chaque plan indispensable à la progression du film. Il y a là une assurance et une maturité dans le timing et la direction d'acteurs remarquables. Les 130 minutes ne se ressentent jamais, pas plus que la "lenteur" de la narration, la retenue des émotions ainsi qu'un canevas finalement très simple, presque épuré où 75% du film se déroule à 2 ou 3 intervenants dans un nombre réduit de pièces.
Sans être forcément intense ou palpitant, le film déploie des flammes non de plus en plus vives mais de plus en plus brûlantes. Un peu à la manière des grenouilles immergées dans de l'eau froide et qui ne se rendent pas compte de l'augmentation de la température, l’innocent provoque un sentiment que j'aurai du mal à définir clairement mais qui bâtit scène après scène un malaise indéfini et difficilement caractérisable avant que la pression n'explose avec la séquence de la messe de minuit.
On n'en ressort pas bouleversé ou même ému mais avec une réelle blessure morale entêtante et tout autant durable comme les nombreux regards lancés par les protagonistes et qui deviennent obsédant.
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Rick Blaine »

J'aimerai beaucoup voir L'étranger, même si j'ai peur d'être déçu en grand admirateur du livre (qu'il faut lire, absolument ! ). J'espère qu'un éditeur se penchera sur la question.
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Kevin95
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Kevin95 »

Rick Blaine a écrit :J'aimerai beaucoup voir L'étranger, même si j'ai peur d'être déçu en grand admirateur du livre (qu'il faut lire, absolument ! ). J'espère qu'un éditeur se penchera sur la question.
Ça va être très compliqué (film peu apprécié + dans les cartons de la Paramount, et j'ai cru comprendre que les héritiers de Camus ne voulait pas en entendre parler).
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Supfiction »

Vu Bellissima. La mise en scène de Visconti est tellement belle qu’elle rend même supportable Magnani. Peut-être qu’après deux films en deux semaines (le magot de josepha la semaine dernière) avec elle, j’ai fini par m’habituer à la voir hurler constamment.
L’épilogue fait un peu penser au Schpountz. Mais on ne rit plus.

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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par joe-ernst »

Supfiction a écrit :Vu Bellissima. La mise en scène de Visconti est tellement belle qu’elle rend même supportable Magnani. Peut-être qu’après deux films en deux semaines (le magot de josepha la semaine dernière) avec elle, j’ai fini par m’habituer à la voir hurler constamment.
Ne regarde jamais Mamma Roma, parce qu'à côté, Bellissima et Le magot de Josepha, c'est de la douce musique de chambre... :mrgreen:
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Supfiction »

joe-ernst a écrit :
Supfiction a écrit :Vu Bellissima. La mise en scène de Visconti est tellement belle qu’elle rend même supportable Magnani. Peut-être qu’après deux films en deux semaines (le magot de josepha la semaine dernière) avec elle, j’ai fini par m’habituer à la voir hurler constamment.
Ne regarde jamais Mamma Roma, parce qu'à côté, Bellissima et Le magot de Josepha, c'est de la douce musique de chambre... :mrgreen:
Merci du conseil. :mrgreen: Dire que je me plaignais a une époque de Rosalind Russell, à côté de Magnani (ou même Giulietta Masina), c’est vraiment rien. Et pourtant, elle incarnait sans doute avec réalisme les femmes italiennes de cette époque.
Dans Bellissima, il y a quelques rares passages reposants qu’on apprécie d’autant plus. Mais je trouve la fin peu crédible quand on voit tout ce qu’elle a fait pour en arriver là.
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Jeremy Fox
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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par Jeremy Fox »

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Re: Luchino Visconti (1906-1976)

Message par moonfleet »

Sur France Culture à 15h, en quatre parties :wink:

Épisode 1 : L'âge d'or de Luchino Visconti
Les lois de nos désirs sont des dés sans loisirs
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