
Greta Gerwig
Télérama a écrit :Greta Gerwig dans “Mistress America” : New York émois
L'actrice américaine trentenaire est à l'affiche de “Mistress America”, de Noah Baumbach, dans un nouveau rôle de New-Yorkaise paumée. Rencontre avec une jeune femme qui cite Arthur Miller, Tina Fey et confesse son amour des mariages.
Ce qui frappe en premier, ce sont ses yeux dorés. Pas marron, pas verts, dorés. Une couleur accentuée par le gris épais du ciel londonien ce matin du 4 août, jour où l'on rencontre l'actrice dans la capitale anglaise. C'est aussi son anniversaire : Greta Gerwig a 32 ans. Que peut-on souhaiter à cette Californienne aujourd'hui New-Yorkaise ? « Que je continue à faire des films ! Et que la Fox ne regrette pas d'avoir acheté Mistress America », dit-elle en riant aux éclats.
L'actrice est en effet à l'affiche de cette nouvelle réalisation de Noah Baumbach, son compagnon. C'est leur troisième collaboration sur un long métrage, et le deuxième co-écrit ensemble : la jeune femme tenait le rôle principal dans Greenberg, film qui l'a révélée, puis a participé au scénario de Frances Ha, film pop sur une irrésistible danseuse new-yorkaise paumée et attachante, à l'accueil critique très favorable (Greta Gerwig avait d'ailleurs été nommée au Golden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie en 2014 pour ce rôle.)
Héroïne mondaine
Dans Mistress America, elle campe à nouveau une New-Yorkaise paumée mais qui se donne un mal de chien pour sembler ne pas l'être. A l'opposé de son personnage de Frances qui se vautrait dans la lose avec la grâce d'une danseuse. Brooke, cette héroïne mondaine, enchaîne les projets, ou plutôt, les projets de projets improbables : la décoration d'un salon « hyper tendance » d'épilation au laser, l'ouverture à date indéterminée d'un restaurant qui fera aussi salon de coiffure. Elle est pleine d'énergie, élégante, à l'aise en société, parfaitement à sa place au beau milieu de Times Square, fourmille d'idées pas toutes réalistes.
En somme, Brooke est une étrange créature charismatique, qui vit dans un sublime appartement en plein Manhattan... mais qui n'est pas le sien. Brooke, reine des combines et perdante magnifique qui, bientôt flanquée de sa future belle-sœur Tracy (son père doit épouser la mère de la jeune femme), va s'évertuer à son contact à paraître importante et « dans le coup ». Greta Gerwig précise (toujours en riant) : « Brooke est à l'opposé de moi. J'ai beaucoup moins de choses en commun avec elle que j'en ai avec Tracy. Cette dernière me ressemble beaucoup plus. »
Tracy, (interprétée par la délicieuse Lola Kirke, sœur de Jemina Kirke, une des héroïnes de la série-indé-new-yorkaise Girls), arrive comme elle à New York à l'âge de 18 ans. Et comme elle, en tant qu'auteur en herbe. Car Greta Gerwig a commencé sa carrière au cinéma par l'écriture : « J'ai toujours beaucoup écrit, mais toujours en envisageant des films, ou des scripts… jamais des romans. Ce n'est vraiment qu'à l'université que j'ai réalisé que je pouvais être auteure. Quand j'étais plus jeune, j'adorais le théâtre, mais tous les gens que j'admirais étaient des hommes, et la plupart d'entre eux étaient morts : Arthur Miller, Eugene O'Neill, Tennessee Williams, William Shakespeare, Anton Tchekhov, August Strindberg… Bref, peu de femmes dans cette liste. Et moi, je n'étais pas un mec étranger, et mort. »
Au Barnard College de New York, (université pour filles), elle s'inscrit dans un atelier d'écriture, où elle rencontre d'autres jeunes femmes qui, comme elle, avaient envie d'écrire ou écrivaient déjà, des artistes, des créatrices... Grâce à cette émulation, elle écrit beaucoup, des pièces de théâtre en particulier, qui ont toutes été montées. La toute première a pour cadre une école de filles catholiques – elle en a elle-même fréquenté une. Une autre, « absurde », parle d'une femme qui tue un éléphant, une troisième suit deux filles qui humilient un vieil homme dans la rue, quand une autre met en scène une personne qui vient de tuer sa mère. Elle se souvient : « J'avais à l'époque étrangement très confiance en moi. Je me souviens qu'au cours de ma troisième année, il y avait un trou dans le programme, car une certaine pièce devait être montée, dont ils ont finalement perdu les droits. Le problème, c'est qu'ils avaient déjà commencé à monter la scène. Je leur ai alors dit : “donnez moi deux semaines, et je vous écris une nouvelle pièce”. Je me suis dit, “ça va aller, je vais le faire !” Puis j'ai réalisé dans quoi je m'étais engagée... »
Désormais, l'écriture, pour Greta Gerwig, est une affaire de couple avec Noah Baumbach dont elle partage la vie depuis le tournage de Greenberg. En général, ils écrivent séparement, puis se relisent, se corrigent mutuellement. Ils habitent ensemble à Greenwich Village, mythe new yorkais avant-gardiste, bohème et artistique, bien que le prix de l'immobilier aujourd'hui indique que tout cela appartient au passé. On imaginait pourtant Greta Gerwig arpenter les quartiers du très branché Brooklyn, pour écrire dans des cafés où l'on sert du thé organic, des jus de fruits healthy et des sandwiches veggies. « Mon endroit préféré à New York est Brooklyn Heights, explique-t-elle. Un endroit un peu ennuyeux, bourgeois, pas du tout hipster, avec beaucoup de quinquagénaires, leur famille… C'est magnifique, c'est là que Truman Capote a décidé de vivre, dans une de ces vieilles maisons près de l'eau, d'où l'on voit Lower Manhattan. J'adore cet endroit mais je n'y habite pas, car Noah a grandi à Brooklyn, comme son père et son grand-père, et ne veut pas y retourner. Il est du genre “j'ai grandi à à Brooklyn, j'ai réussi à Manhattan. Je ne veux d'aucune manière retourner y vivre”. »
Manhattan donc. Où elle apprécie pouvoir se balader et « écouter les conversations des gens » sans être reconnue dans la rue. « Parfois, des gens s'arrêtent pour me dire qu'ils apprécient mon travail, mais ça ne va jamais plus loin. » Elle n'envie pas du tout les stars hollywoodiennes qui selon elles, vivent dans une sorte de « prison ». Ni n'envie le destin d'Adam Driver, autre acteur indé new-yorkais issu de la série Girls avec qui elle a joué dans Frances Ha, et récemment propulsé dans la galaxie Star Wars en devenant Kylo Ren, le nouveau « méchant » de la saga. Mais elle dit adorer les gros films hollywoodiens, sauf ceux avec des courses-poursuites en voiture.
Comme Adam Driver d'ailleurs, elle fait partie d'une certaine nouvelle génération d'acteurs new-yorkais. Mais elle cite plus volontiers des femmes, un peu plus âgées qu'elle : les inséparables Tina Fey et Poehler, Amy Schumer, Mindy Kaling... « Tout ce groupe de femmes qui ont commencé à écrire des comédies pour elles-mêmes », précise-t-elle. Elle cite aussi la Canadienne Sarah Polley, ou la réalisatrice française Mia Hansen-Løve (qui l'a dirigée dans Eden). Côté actrice, elle pense à une toute autre génération en citant l'Américaine Carole Lombard (1908-1943) « incroyablement talentueuse, capable de vraies performances. C'est ce genre de jeu vers lequel j'ai envie d'aller alors qu'on nous demande souvent plutôt d'être calme, avec un jeu “interne”. »
Extérioriser, elle adore ça, et c'est aussi par la danse que la jeune femme aime s'exprimer. Elle prend toujours des cours, et compile compulsivement les musiques qui la font naturellement danser. « C'est pour ça que j'adore les mariages », s'amuse-t-elle. On se souvient alors d'un formidable clip de Spike Jonze tourné (en direct) à l'occasion des YouTube Music Awards pour le groupe canadien Arcade Fire, et dans lequel elle évoluait au milieu d'enfants. « Spike m'a appelée. Il m'a dit qu'il adorait mon travail, il avait vu Frances Ha et m'a simplement proposé de faire la vidéo. Il m'a donné rendez-vous dans un loft de Brooklyn, a mis le morceau d'Arcade Fire très fort grâce à un soundsystem de malade, et m'a demandé de danser de la façon dont j'avais envie, mouvements qui ont ensuite été chorégraphiés avant le show. On l'a fait plusieurs fois et c'était génial. » Ses yeux dorés en sont tout embués.
http://www.telerama.fr/cinema/greta-ger ... a-20160107