Le masque arraché / Sudden Fear (David Miller - 1952)
Une auteur à succès épouse un acteur qu'elle avait pourtant refusée pour une de ses pièces. Après des premiers temps idylliques, elle découvre par hasard que son mari (et sa maîtresse) ont 3 jours pour l'assassinée afin de toucher un gros héritage.
Dans le genre "thriller à la Hitchcock", celui-ci est vraiment excellent. Il n'y a pas la maestria formel du gros Alfred mais ce
sudden fear bénéficie d'un scénario redoutable et diablement construit.
La première moitié est assez conventionnel dans le sens où il s'agit avant tout de la mise en place qui n'est en rien ennuyant grâce à la qualité de l’interprétation, le romantisme de certaines scènes (l'enregistrement puis la lecture d'un monologue). D'un autre côté, on devine que cette passion dévouée de Jack Palance n'est pas si sincère que ça d'autant qu'on devine bien que certains éléments ne sont pas là par hasard.
Il y a donc rien de surprenant à voir débarquer une ancienne maîtresse au mari débonnaire, ce qui va radicaliser le sort que réserve Palance à Joan Crawford.
A partir de là, le film devient très enthousiasmant, sorte de rollcoaster grisant. Ca commence très fort avec la scène où Crawford tombe malgré elle sur un enregistrement qui détaille les ambitions meurtrières de son époux. Une longue scène uniquement centrée sur les réactions de l'actrice arpentant son bureau. On a rarement "vu" un dialogue off à ce point visuel et étouffant. Il y a un gros travail sur l'espace de cette pièce qui semble se moduler sur l'état psychologique de Crawford.
Le suite conservera cette efficacité et cette capacité à jouer sur la paranoïa et les attentes (du public et de son héroïne) souvent mis à mal. Plusieurs pistes qu'on pensait évidentes s'avèrent être des leurres astucieux (la maison près du lac, la fiole de poison). Rien de roublard ou d'une manipulation malhonnête des scénaristes, juste un déroulement de l'intrigue qui met aux mêmes niveaux les protagonistes qui tentent de planifier leur attaques (ou leur ripostes) et les gens de la salle qui essaient d'avoir une longueur d'avance sur eux. Une scène résume génialement cette idée quand Crawford imagine son plan en exécution et que des images en flash-forward se superposent à ses yeux... Évidement rien ne se passera comme prévu quand il faudra passer à l'action.
Les possibilités du scénario semblent avoir grandement inspiré Miller qui ne m'avait pas marqué jusque là (
Diane, la pêche aux trésors, Billy The kid et
complot à Dallas ; des films pas déplaisants mais pas marquant niveau mise en scène). Il conçoit une réalisation réjouissante entre temps dilaté, jeux sur les ombres (le pendule oscillant sur le visage de Crawford), pur moment de tension, jeu de cache-cache nocturne etc... On pourrait même lui reprocher d'en faire un peu trop par moment comme par exemple le coup du chien mécanique se dirigeant vers le placard

ou Crawford se dissimulant dans l'ombre tout en faisant renverser bruyamment une poubelle.
Mais la générosité du réalisateur et ce scénario implacable m'ont ravi au plus haut point (avec les mains moites de préférence).
Diffusé à la cinémathèque dans un sublime copie restaurée par la Fondation Cohen.
