Production : Henry Blanke (Warner)
Scénario : Salka Viertel, Stephen Morehouse Avery
et William Faulkner d'après un roman de Dan Totheroh
Image : Ted McCord
Musique : Max Steiner
Avec :
Ida Lupino (Libby Saul)
Dane Clark (Barry Burdette)
Wayne Morris (Jeff Barker)
Henry Hull (Cliff Saul)
Fay Bainder (Ellie Saul)
Libby vit avec ses parents dans une ferme délabrée, isolée au fond d'une vallée de Californie. Depuis son enfance, prisonnière de la relation malsaine qu'entretiennent ses parents désunis, elle s'est repliée sur elle-même et ne se libère de l'emprise familiale que par ses sorties dans la nature environnante. Au cours de l'une d'elle, elle tombe sur un chantier qui se rapproche de la ferme. Des centaines de forçats de la prison de Saint Quentin et leurs gardiens travaillent au percement d'une route surplombant l'océan Pacifique. Libby est fascinée par l'arrivée de ces étrangers et remarque plus particulièrement Barry, l'un des détenus, un jeune homme impulsif et incontrôlable.
Dans les jours qui suivent, Jeff Barker, l'ingénieur responsable du chantier, se rend à la ferme pour puiser de l'eau et le père de Libby en profite pour faire quelques affaires. Le soir, il est invité à la ferme et s'intéresse de très près à la jeune fille qui le repousse tant bien que mal alors que son père s'était absenté, voulant par là favoriser l'initiative de Barker qu'il avait anticipé. Quelques jours plus tard, à la faveur d'un glissement de terrain qui cause de nombreux morts parmi les forçats, Barry, qui avait été mis à l'isolement, parvient à s'échapper, la coulée de boue et de pierres n'ayant fait qu'éventrer sa cellule. Alors qu'il fuit à travers la forêt et qu'une patrouille s'est déjà lancée à sa recherche, il retrouve Libby qui l'entraine dans une cabane abandonnée au milieu des bois. Les deux "sauvages" commencent alors à s'apprivoiser, tandis que la chasse à l'homme s'organise, la police locale et le personnel pénitentiaire parcourant la montagne à la recherche du fugitif...
Quand Roy Earle (La grande évasion) rencontre Johnny Belinda…Ce n'est pas uniquement à ces deux films que fait penser ce petit bijou de Jean Negulesco car on pense aussi obligatoirement à La maison dans l'ombre en raison de la personnalité des deux principaux personnages et de la situation de départ très ressemblante entre, la aussi, un homme violent et une jeune femme vulnérable….et on y pense d'autant plus que dans les deux cas, la fille en question était interprétée par la même actrice : Ida Lupino. Je précise que c'est plus un mélodrame romantique qu'un film noir mais les aspects noirs me semblent suffisamment importants pour le placer dans ce topic. Même si ce film est l'un des meilleurs films de son metteur en scène et qu'Ida Lupino a trouvé la un de ses plus grands rôles (un avis que je partage avec Bertrand Tavernier), le premier casting envisagé dès 1942, l'année de la parution du roman laisse tout de même rêveur : Ann Sheridan, Humphrey Bogart et John Garfield. Les raisons du report du tournage initial sont inconnues et celui de 1947 ne fut pas simple non plus. Ida Lupino était en train de renégocier son contrat avec Warner et le studio, sentant que la comédienne n'allait pas vouloir le renouveler, a voulu mettre en boite un film supplémentaire de toute urgence, puis, une grève dans les studios Warner empêcha d'y tourner les scènes initialement prévues...ce qui fait notre bonheur car l'une des qualités d'une film qui n'en manque pas, c'est précisément le fait qu'il a été presque intégralement tourné en décors naturels…et ils sont magnifiques. La côte très découpée et les paysages de moyenne montagne auraient été mis en boite dans 2 secteurs distincts de la cote californienne, le " Big Sur " et " Palos Verdes ".
Un mot sur la situation de mélo de départ qui anticipe déjà certains aspects d'un film ultérieur de Negulesco, Johnny Belinda. Tourné l'année suivante, ce film lui valu une ribambelle de nominations à l'oscar (12 mais un seul billet gagnant pour Jane Wyman, l'interprète du rôle titre ). Libby, sa "soeur" est une jeune femme introvertie, complexée et maladroite qui s'exprime en bégayant. Elle a grandit dans un isolement complet et ses relations sociales sont inexistantes car elle est totalement étouffée par la relation malsaine qu'entretiennent ses parents. Ils ne se parlent plus depuis que Saul a frappé sa femme des années auparavant et ils se sont répartis la maison, Ellie vivant recluse à l'étage, seulement rejointe par sa fille qui est leur messagère, tandis que Saul occupe le rez-de-chaussée d'une ferme qui, laissée à l'abandon, s'est dégradée comme la situation de la famille. Si le père est un rustre qui se sert de sa fille qu'il croit stupide comme d'une domestique, la relation de Libby avec sa mère est encore plus dévastatrice pour la jeune femme totalement sous la coupe d'une mère vivant dans un monde imaginaire et qui la tient, par ses discours délirants, dans la méfiance des hommes. C'est aussi une manipulatrice, simulant un handicap pour mieux tenir sa fille à son service. Alors Libby fuit cet univers étouffant à la première occasion…
L'homme qu'elle rencontre est au moins en apparence son opposé. Si Libby n'a rien vu de la vie, Barry, lui, en a trop vu. Il s'est retrouvé à 24 ans emprisonné pour une longue durée après avoir été condamné pour un crime qu'il dit n'avoir pas commis. Il prétendra avoir été impliqué dans la mort accidentelle d'un homme qu'il ne connaissait pas un soir ou il était ivre, soupçonnant ses accusateurs d'être les véritables auteurs du meurtre. En fait, il est permis d'en douter tant sa violence est grande. Car si lui aussi est un être asocial, c'est en raison de sa violence prête à exploser à la moindre contrariété. Torturé par son passé et d'une nature impulsive, il se montrera incapable d'avoir le moindre controle sur lui-même et semblera prêt à tout, y compris à tuer pour faire face au moindre danger ou pour conserver sa liberté. Contrairement à Libby qui est l'image de la pureté, la personnalité de Barry a été profondément viciée. On avait découvert vraiment la jeune femme libérée de l'emprise de ses parents dans des scènes idylliques de nature filmées magnifiquement par Negulesco. Les scènes champêtres ultérieures seront plus menaçantes dès qu'elles impliqueront le citadin Barry, déplacé et gauche dans une nature qu'il ne connait pas. C'est guidé par Libby qu'il pourra croire y trouver refuge mais les plans de coupe sur des hommes en armes perchés sur les escarpements rocheux ne laissent guère de doute sur l'issu de la chasse.
Entre temps, il y aura néanmoins eu toutes ces séquences sublimes entre deux êtres transformés par l'amour. La jeune femme totalement dépourvue de confiance en elle et d'estime de soi découvre le sentiment amoureux et surtout le désir car c'est même par là que çà commence, les regards insistants qu'elle jette à distance sur Barry ne laissent guère de doute à ce sujet. Quand il l'embrassera, elle s'arrêtera aussitôt de bégayer…Ce qui est une découverte totale pour elle est sans doute moins inédit pour Barry mais en fait on n'en sait rien. En tout cas, si Libby est totalement transformée par cette relation amoureuse, Barry semblera prendre çà pour une liberté conditionnelle. Même s'il (re)découvre en lui une capacité à aimer, elle est profondément ternie par le poids de son passé qui, sans même la présence menaçante des hommes qui le traque, réapparait soudainement par la simple découverte d'une arme à feu par le couple, une arme qui lui fera presque peur, toutefois moins que la peur qu'elle inspirera à Libby qui avait très vite perçu toute la violence potentielle de cet homme.
Un mot sur les interprètes. Jouer une jeune fille arriérée, c'était dur à interpréter pour Ida Lupino. Certains acteurs/trices n'éprouvaient aucune difficulté à paraitre bête (Fais comme t'en as l'habitude, coco…) mais pour Ida, c'était un rôle de composition et on a du mal à la croire seulement un peu neuneu

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Jean Negulesco a réalisé d'autres films noirs et apparentés plus ou moins faciles à voir. En dehors de Deep Valley, le meilleur est peut-être La femme aux cigarettes (Road House) 1948, avec à nouveau Ida Lupino accompagnée par Richard Widmark et Cornell Wilde (DVD zone 1 avec st français). Je l'ai déjà dit, je ne suis pas fan de ses premiers longs métrages, des thrillers plus ou moins marqués par l'actualité politique et la guerre dans lesquels il employa par 3 fois le "couple" Peter Lorre/Sidney Greenstreet. Même le plus réputé, Le masque de Dimitrios ne m'a jamais totalement convaincu. Je préfère Nobody Lives Forever même si John Garfield a été beaucoup mieux servi par d'autres dans le genre. Negulesco l'emploiera encore dans l'un des films américains de Micheline Presle, La belle de Paris (Under my Skin) (DVD zone 2)…mais c'est assez emmerdant et surtout dans Humoresque (DVD zone 2), qui est au contraire l'une de ses grandes réussites (sauf peut-être pour le cinéphile mélomane). Ce repère du forçat est aussi un des tout meilleur du réalisateur au coté de Johnny Belinda (DVD zone 1 avec st français) et Captives à Bornéo (DVD zone 2). J'adore ce film. La 2ème vision n'a fait que renforcer mon admiration pour ce film très peu connu et diffusé de ce metteur en scène dont la plupart des films ont été soit édités en DVD, soit au moins visibles à la télévision chez nous.
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