La colline des potences (The Hanging Tree - 1959) de Delmer Daves
WARNER
Avec Gary Cooper, Karl Malden, Maria Schell, George C. Scott
Scénario : Wendell Mayes & Halstead Welles d’après le roman de Dorothy M. Johnson
Musique : Max Steiner
Photographie : Ted D. McCord (Technicolor 1.85)
Un film produit par Martin Jurow & Martin Shepherd pour la Warner
Sortie USA : 11 Février 1959
Joseph Frail (Gary Cooper), un médecin taciturne au passé trouble, vient s’installer dans une petite communauté de chercheurs d’or aux alentour de 1873 dans l’État du Montana. Il cache et accueille Rune (Ben Piazza), un jeune homme aux abois, pourchassé pour avoir tenté de voler l'un des prospecteurs du coin, le primitif Frenchy Plante (Karl Malden) ; en échange de son silence (puisque les poursuivants n'ont pas eu le temps de voir son visage), le médecin lui demande de rester à son service. Plus tard, Frail recueille et soigne une jeune femme, Elizabeth Mahler (Maria Schell), seule survivante de l’attaque d’une diligence, devenue momentanément aveugle suite à ce drame. Une fois guérie, Elizabeth ne cache pas sa reconnaissance et sa tendresse à son sauveur, mais ce dernier la repousse, lui conseillant même de retourner dans son pays natal, la Suisse. Vexée, elle décide de rester sur place et d’acheter une concession pour y chercher de l’or ; elle s’associe avec Rune (qui n’est pas insensible à ses charmes) et Frenchy, ce dernier ayant pourtant tenté d’abuser d’elle peu de temps auparavant. La promiscuité avec cet homme malsain, la présence dans le campement d’un prédicateur violent et à moitié fou (Georges C. Scott), les jalousies latentes, l’appât du gain, les rumeurs qui courent sur le compte du docteur, etc., vont attiser la bestialité d’une partie de la population et ne vont pas tarder à causer des morts et des tentatives de lynchage…

The Hanging Tree, alors qu’il marque les débuts à l’écran de George C. Scott, met en revanche non seulement fin au cursus westernien de Delmer Daves mais également à celui de Gary Cooper qui décédera seulement deux ans plus tard. Malade sur le tournage, il ne put pas accomplir tout ce que le cinéaste attendait de lui et notamment monter à cheval lui fut très souvent pénible. Grâce à son amitié avec l'auteur du roman qui ne voyait dans la peau du médecin personne d'autre que lui, l’immense comédien vieillissant trouve en tout cas ici l’un de ses rôles les plus riches et les plus ambigus, celui du docteur au passé énigmatique, mi-ange, mi-démon, capable d’une grande douceur lors de ses consultations, d’une grande tendresse envers la femme à qui il a fait retrouver la vue, mais dans le même temps pouvant avoir de redoutables accès de violence proches de la folie (au point de tuer avec rage son rival en le jetant d’une falaise) ou de prendre ses proches pour des esclaves. Impérial, sachant préserver les mystères de son complexe personnage, le comédien porte admirablement bien le film sur ses épaules. Dans le même temps, Delmer Daves signe donc ici son dernier western, lui qui avait réalisé son premier en tout début de décennie, le célèbre
Broken Arrow (La Flèche brisée), connu non seulement pour ses réelles qualités mais aussi pour avoir été désigné comme le premier western pro-indien d’importance. Ce sera ensuite quatre ans plus tard l’intéressant
Drum Beat (L’aigle solitaire), avant une série de trois chefs-d’œuvre consécutifs,
Jubal (L’homme de nulle part),
The Last Wagon (La Dernière caravane) et
3.10 pour Yuma. En 1958, il est à l’affiche encore deux fois toujours dans le domaine du western avec l’attachant
Cow-Boy et le bien plus mineur
The Badlanders (L’Or du hollandais). A la vue de tous ces titres, on remarque que le cinéaste aura fait tourner de nombreuses grandes stars du genre, à savoir, avant Gary Cooper, James Stewart, Jeff Chandler, Alan Ladd, Charles Bronson, Ernest Borgnine, Glenn Ford, Van Heflin ou encore Richard Widmark. Un beau palmarès !
Dernier des huit westerns réalisés par Delmer Daves,
The Hanging Tree préfigure par certains aspects mélodramatiques (déjà présents dans quasi chacun de ses films précédents, quel que soit le genre abordé, mais encore jamais aussi baroques qu’ici), ses mélodrames de fin de carrière aux situations expressément excessives, interprétés par Troy Donahue et abordant les problèmes des jeunes et de leurs relations avec les adultes, dont le premier se tourne d’ailleurs la même année que son western, le très beau
Ils n’ont que 20 ans (A Summer Place). Une série de quatre films qui ne ressemblent à aucun autre, pas plus aux mélos de Douglas Sirk ou Vincente Minnelli qu’à ceux de Frank Borzage, uniques et paradoxaux puisque leur naïveté n’a d’égale que leur culot, leur premier degré n’a d’égale que leur pouvoir de subversion. A lire, une telle bizarrerie parait quasiment impossible et pourtant il suffit de voir ces fabuleux et étonnants mélodrames pour comprendre comment une telle mayonnaise a pu être rendue réalisable, entre kitsch assumé et lyrisme échevelé. Citons quand même les trois autres titres ne serait-ce que pour essayer de les sortir du relatif anonymat dans lesquels ils sont tombés :
La Soif de la jeunesse (Parrish),
Susan Slade et enfin
Rome Adventure. Enfin, pour continuer à les faire connaitre, il ne faudrait pas non plus oublier le magnifique
Spencer’s Mountain avec Henry Fonda et Maureen O’Hara, daté de 1963, sorte de chronique familiale située à l’époque contemporaine du tournage mais se déroulant dans de sublimes paysages westerniens. Tous ces films existent en DVD aux USA et bénéficient de sous titres français. Mais revenons-en au film qui nous préoccupe et qui, comme nous l’avons dit, augure déjà beaucoup ces mélos à venir.

Un mystérieux médecin au passé trouble qui vient s’installer dans une maison surplombant un campement de mineurs ; un jeune homme recherché pour vol et qui va trouver refuge chez ce docteur qui, en échange de son silence, lui ordonne de rester à son service ; une jeune femme dont la diligence vient d’être attaquée et qui, seule survivante, va errer quelques jours dans la nature et devenir aveugle ; soignée par le médecin, elle va en tomber amoureuse mais va être repoussé par ce dernier pour on ne sait quelle raison alors que dans le même temps la libido d'un des chercheurs d'or va se déchainer à son encontre et que la jalousie du jeune homme va se réveiller… On imagine aisément les situations exacerbées qui vont pouvoir découler d’une telle histoire ; ce sont elles qui donnent d’ailleurs son ton unique à ce beau western mélodramatique qui s’avère par la même occasion plastiquement étonnant. Un film tout en verticalité alors que le western est un genre à priori plutôt dévolu à l’horizontalité de par ses amples paysages (c’est pour cette raison que je trouve le format 1.33 bien mieux convenir au film que le format 1.85 si on va s’amuser à comparer les deux sur DVDbeaver, aucun des deux n’étant évidemment ‘entier’). On ne compte plus ici les plongées et contre plongées, les vues subjectives de l’action du haut d’un promontoire, les mouvements de grue verticaux, etc. On n’oubliera pas de sitôt le premier travelling descendant sur le moulin dévoilant d’un coup le visage inquiétant de Karl Malden, ni l’image de cette cabane perchée à l’à-pic d’une colline et dominant le village, pas plus que le dernier travelling arrière digne de celui d’
Autant en emporte le vent (Gone with the Wind). De par le génie visuel de son réalisateur, le film est déjà un véritable régal pour les yeux alors que certains mouvements de caméra nous procurent parfois un grand sentiment de plénitude.
"
Révolutionnaire plus tranquille qu’Aldrich, Mann et les autres mais non moins obstiné, Daves malmène les genres autant qu’un Ray ou un Fregonese, pulvérise le manichéisme traditionnel et, à travers le désordre formel que sa nature bouillonnante et féconde sème un peu partout, renouvelle profondément le cinéma hollywoodien" écrivait Jacques Lourcelles au sein sa critique de
La Colline des potences que l'on peut lire dans son dictionnaire du cinéma. Je ne peux qu’approuver cette description. Et en effet, aucun manichéisme ici, les personnages possédant tous plus ou moins leurs parts d’ombres, parfaitement retranscrits par des comédiens qui sont tous dirigés de main de maître : que ce soient les protagonistes interprétés par Gary Cooper ou Karl Malden, alors que nous savons très bien pour simplifier à outrance que l’un est le ‘gentil’ et l’autre ‘le méchant’ de l’histoire, chacun des deux peut se révéler tour à tour attendrissant ou détestable. On sent bien là 'la marque de fabrique', la sensibilité et l'intelligence de Delmer Daves qui a par ailleurs très souvent été l'auteur complet de ses films ; et pourtant il n’aurait pas dirigé l’ensemble de ce western. Trop malade pour poursuivre le tournage dès la fin juillet 1958, Karl Malden aurait pris sa suite, Vincent Sherman étant venu lui apporter son soutien. Concernant cette originalité de ton et de situations, il serait également injuste de ne pas évoquer le court roman de Dorothy Johnson qui, aux dires de ses lecteurs, contiendrait déjà tous les éléments qui rendent ce western unique ; à tel point que
The Hanging Tree est le seul film que la romancière avouait préférer à l’un de ses romans : "
Et il m’en coûte fichtrement de vous dire ça" dira-t-elle à Philippe Garnier alors qu’en revanche elle n’aurait pas appréciée celle qui fut faite par John Ford pour
L’Homme qui tue Liberty Valance. Un exemple des premières lignes du roman dont est tiré le film de Daves qui, si vous avez le film en tête, vous feront constater à quel point l’adaptation semble fidèle : "
Juste avant de plonger vers le camp de chercheurs d’or de Skull Creek, la route enjambait le sommet d’une colline aride et passait sous la branche horizontale d’un grand peuplier de Virginie. Une courte longueur de corde, récemment coupée, pendait à la branche et se balançait dans le vent lorsque Joe Frail emprunta cette route pour la première fois, à pied, menant son cheval bâté par la bride…Quand Joe Frail leva les yeux vers la corde, ses muscles se contractèrent, car il se rappelait la malédiction qui pesait sur lui".

On pourra certes trouver Maria Schell peu à sa place et parfois exaspérante à force de cris et pleurnicheries (nous aurions aimé que le cinéaste fasse une nouvelle fois appel à son égérie, la douce Felicia Farr), Ben Piazza bien trop fade et inexpressif, mais en revanche Gary Cooper est donc tout simplement magistral, n’ayant rien perdu de sa légendaire prestance pour ce rôle d’anti-héros, tour à tour déplaisant et vulnérable, monstrueux et généreux. Signalons aussi l’une des premières apparitions, déjà spectaculaire, de l’excellent George ‘Patton’ C. Scott dans la peau du prédicateur enflammé, et surtout d’un Karl Malden truculent et en pleine forme, incarnant avec force conviction ce mineur pittoresque, mélange de brutalité primaire et d'innocence due à son côté simplet ; ses moments de tendresse sont inoubliables d’autant qu’ils sont souvent suivis par le réveil d’une dangereuse libido, ceux deux états successifs contrastant avec une grande efficacité pour le spectateur qui est sans arrête partagé entre sympathie et dégoût. Pour le reste du casting, ce sont quasiment tous des seconds rôles très en retraits, formant le portrait très sombre et très réaliste de cette communauté de chercheurs d’or composée de femmes de petites vertus ou au contraire membres de ligues de vertus réactionnaires, d’hommes presque tous plus rustres les uns que les autres. Depuis
Je suis un aventurier (The Far Country) d’Anthony Mann, nous n’avions pas eu une description aussi formidable et précise de la ruée vers l’or et de ses participants, ainsi que des phénomènes de foule, le groupe devenant littéralement fou suite à la découverte d’un filon, devenant incontrôlable suite à une décision de lynchage. Le dernier quart d'heure est de ce point de vue aussi puissant que certains films de Fritz Lang (
Fury) ou William Wellman (
The Ox-Bow Incident).

Un western insolite et baroque, faisant parfois penser, comme le disait Bertrand Tavernier, à un roman gothique anglais. La nature y tient une fois encore une place considérable, Daves filmant avec autant d’attention que ses comédiens les magnifiques paysages de l’état de Washington au sein desquels s'est effectué le tournage. Le cinéaste en profite aussi pour nous brosser, grâce à de superbes décors, un souci documentaire et un réalisme rarement égalé jusqu’ici, un campement de mineurs au temps de la ruée vers l’or. Un western mélodramatique loin d’être parfait, le scénario manquant quelque peu de rigueur (on s'attarde par exemple trop sur l'histoire de la guérison d'Elizabeth), mais possédant une dose de lyrisme et de tendresse typiquement 'davesiennes' qui devrait ravir les amateurs de westerns adultes et non manichéens. Quand vous saurez que le tout est enveloppé dans l'un des très beaux scores de Max Steiner, et que le réalisateur n’a pas perdu son impressionnant et unique talent de paysagiste ni sa science du cadre, il se pourrait que vous ayez un coup de cœur pour ce western intense et atypique auquel on peut néanmoins préférer, toujours de Daves, les stylistiquement et scénaristiquement parlant moins chaotiques
3h10 pour Yuma,
Jubal ou
La Dernière Caravane. Néanmoins un western qui ne ressemble à aucun autre et qui boucle à merveille l'un des corpus westernien les plus passionnants qui soit.