Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Le cinéma français et le film de genre, c'est pas trop ça. Ce serait intéressant de chercher les raisons de cette espèce de non-miscibilité. Et pourtant, Les yeux sans visage, c'est la preuve par A+B qu'on est tout à fait capable de le faire. Ambiance morbide soulignée par un somptueux travail photographique, style clinique anticipant celui de Cronenberg, pitch fascinant, voilà autant d'ingrédients qui assurent au film de Franju sa force obsédante. J'ai été impressionné par la maturité du traitement, cette volonté d'appréhender le sujet de façon rigoureuse, économique, sans éclat baroque et sans pour autant renoncer à une forme de poésie tragique. Sa singularité et sa modernité restent toujours aussi vives, notamment dans la scène d'opération que j'ai trouvée insoutenable (ça m'a retourné le bide, il a fallu que je détourne les yeux à la fin). C'est un film qui, par ses idées et ses images, évoque quelque chose de profondément viscéral... Franju formalise des angoisses organiques fondamentales (l'absence de visage, le scalpel, les yeux) et ça, ça restera dérangeant quelques soient les époques. Dommage que le dernier acte apparaisse un peu faiblard - justement un desserrement de cette rigueur de traitement, le volet policier, avec l'appât, brisant l'envoûtement du huis-clos et n'étant pas très convaincant. En l'état c'est quand même un grand film.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Je me suis souvent posé la question. Pourquoi si peu de films fantastiques, d'horreur, et encore moins d'anticipation et de SF (dont pas mal de bides et de ratés) comparé aux anglo-saxons ? Le cartésianisme n'explique pas tout. Quid de tous les romanciers baroques de la fin du 19ème siècle si souvent adaptés (et parfois remarquablement) ailleurs. Sans parler de Jules Verne. Restent quelques essais bizarres et étranges dont Les yeux sans visages est un des sommets (mais dans l'esprit, Franju appartient davantage au 19ème et aux débuts du 20ème qu'à son époque). Il y a aussi La main du diable de Tourneur, La dame d'onze heures de Devaivre, les tentatives intéressantes mais pas totalement convaincantes de Christian de Challonge...Demi-Lune a écrit :Le cinéma français et le film de genre, c'est pas trop ça. Ce serait intéressant de chercher les raisons de cette espèce de non-miscibilité.
La télévision période ORTF (et un peu après) a plus souvent tenté l'aventure mais elle aussi avec des résultats disons... mitigés. Comme Tout spliques étaient les Borogoves, Mycènes, celui qui vient du futur, La poupée sanglante, Le golem, Le passe-muraille, La duchesse d'Avila, L'invention de Morel, Le navire étoile, Le secret de Wilhelm Storitz, Le Cyborg ou le voyage vertical...
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
je conseille d'ailleurs cet excellent livre sur le sujet.Federico a écrit : La télévision période ORTF (et un peu après) a plus souvent tenté l'aventure mais elle aussi avec des résultats disons... mitigés. Comme Tout spliques étaient les Borogoves, Mycènes, celui qui vient du futur, La poupée sanglante, Le golem, Le passe-muraille, La duchesse d'Avila, L'invention de Morel, Le navire étoile, Le secret de Wilhelm Storitz, Le Cyborg ou le voyage vertical...

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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Il y a pour moi un vrai paradoxe : la cinéphilie française me semble globalement très amatrice et admiratrice du cinéma de genre mais sans aucun écho dans la production cinématographique nationale. Et quand des mecs s'y essaient, c'est souvent la cata. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me demandais du coup si les rares grandes réussites du fantastique français (les films de Cocteau, Les yeux sans visage ou même une bizarrerie inclassable comme L'année dernière à Marienbad) n'étaient pas "boostées" par ce que le cinéma français a progressivement perdu : le sens de l'esthétique, le "pouvoir de faire des images", qui me semble particulièrement essentiel pour ce genre. Voilà, question à deux balles.Federico a écrit :Je me suis souvent posé la question. Pourquoi si peu de films fantastiques, d'horreur, et encore moins d'anticipation et de SF (dont pas mal de bides et de ratés) comparé aux anglo-saxons ? Le cartésianisme n'explique pas tout.Demi-Lune a écrit :Le cinéma français et le film de genre, c'est pas trop ça. Ce serait intéressant de chercher les raisons de cette espèce de non-miscibilité.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Excellente remarque. Je pense que tu viens de mettre le doigt sur un point essentiel. Pour simplifier, je dirai que le cinéma français des 30 dernières années a beaucoup plus misé sur le contenu que le contenant, sur le verbe plus que sur l'image et pourtant il y a encore d'excellents chef op' (et puis d'ailleurs rien n'empêche de faire appel à des techniciens étrangers après tout).Demi-Lune a écrit :Il y a pour moi un vrai paradoxe : la cinéphilie française me semble globalement très amatrice et admiratrice du cinéma de genre mais sans aucun écho dans la production cinématographique nationale. Et quand des mecs s'y essaient, c'est souvent la cata. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me demandais du coup si les rares grandes réussites du fantastique français (les films de Cocteau, Les yeux sans visage ou même une bizarrerie inclassable comme L'année dernière à Marienbad) n'étaient pas "boostées" par ce que le cinéma français a progressivement perdu : le sens de l'esthétique, le "pouvoir de faire des images", qui me semble particulièrement essentiel pour ce genre. Voilà, question à deux balles.Federico a écrit : Je me suis souvent posé la question. Pourquoi si peu de films fantastiques, d'horreur, et encore moins d'anticipation et de SF (dont pas mal de bides et de ratés) comparé aux anglo-saxons ? Le cartésianisme n'explique pas tout.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
En France, nous sommes de tradition rationaliste, et les modes anglo-saxonnes, qu'il s'agisse d'Halloween, de zombies, ou de vampires comme celle qui est revenue ces dernières années avec Twilight, ne trouvent pas beaucoup de répercutions sur notre propre production cinématographique car vous imaginez une histoire de lycée avec des vampires dans le Berry ou le Pas-de-Calais? Ou alors dans ce cas, peut-être parodiées dans des comédies (ça, c'est un genre typiquement franchouillard), je ne sais pas. Personne ne voudrait produire ça.
Il y a quelques cinéastes français aujourd'hui qui tentent l'expérience, faire des films "de genre", des films fantastiques ou d'horreur, avec le succès qu'on connaît
mais, fort logiquement, rares sont ceux qui survivent à leur premier film. Par exemple on a(vait) Alexandre Aja, et vous ne trouvez pas ça curieux qu'il se soit expatrié?
Le public pour les films de genre étrangers est déjà très restreint. Ça n'empêche pas certains (grands) films d'horreur, majoritairement américains, de bien marcher chez nous, pour X raisons.
Mais même, j'ai souvent assisté à des séances, comme L'Exorciste (première version, naturellement) ou Shining par exemple, avec des gens à qui ça ne faisait rien du tout. Enfin si, ça les emmerdait. Profondément. Et ce n'est pas tout neuf (c'est en allant dans une salle parisienne que Brach et Polanski, en voyant le public français rire devant des films d'horreur, ont eu l'idée de faire un film d'horreur où l'humour serait volontaire, d'où Le Bal des vampires).
Un film comme Carrie (le De Palma) fonctionne davantage, notamment par l'ajout d'un humour volontaire qui empêche le spectateur de rire involontairement du film comme ça arrive souvent, et surtout par l'immersion dans une certaine réalité (le lycée, avec ses bizuts et les bourreaux) qu'on a quasiment tous vécu. D'autres films partent trop vite dans une situation trop éloignée, trop vite fantastique pour que le large public adhère, quelle que soit la qualité du film.
Pareil avec la SF d'ailleurs. Je me souviens qu'à la sortie de Mission To Mars, avant même que quiconque n'ait vu le film (donc rien à voir avec sa qualité mineure), il y avait un chroniqueur qui était en train d'en parler sur un plateau télé, et d'annoncer la bande-annonce, quand un invité (un rappeur) disait: "Ah oui Mars, très important. Très très important..." et tout le public se marrait. C'est hélas à peu près ça. On ne croit pas aux fantômes, chez nous, pas plus qu'on ne s'intéresse à la science fiction. On croit à la politique désastreuse et aux banlieues qui brûlent (mais dont il ne faut pas trop parler quand même), et il faut des films d'action produit par Besson avec... des acteurs américains(!) ou bien des comédies avec Gad et des dialogues écrits par Nicolas Bedos, car ce sont majoritairement ses deux seules choses navrantes qui "intéressent" le public français. Enfin en tout cas les producteurs, qui les produisent parce que le public y va pour ces films-là. C'est comme avec les émissions culturelles qui disparaissent: à en croire les micro-trottoirs, personne ne regarde la "Roue de la fortune" mais tous veulent davantage d'émissions sur les livres, le cinéma... Pourtant les audiences ne mentent pas.
Il y a selon moi une différence fondamentale de culture. J'en avais déjà parlé, mais c'est exactement la même différence qu'il y a dans l'interprétation des œuvres de Shakespeare. Quelqu'un qui étudie Shakespeare en Angleterre et passe ses examens en France est sûr de se taper une mauvaise note (pareil en inversant les deux pays) à cause de notre différence d'interprétation. Pour nous tout n'est que symbolique, et on raisonne sur de longues pages explicatives, là où en Angleterre, Shakespeare est pris au premier degré (les fantômes existent réellement, les hallucinations n'en sont pas, etc.). Ça en dit long.
Il y a quelques cinéastes français aujourd'hui qui tentent l'expérience, faire des films "de genre", des films fantastiques ou d'horreur, avec le succès qu'on connaît

Le public pour les films de genre étrangers est déjà très restreint. Ça n'empêche pas certains (grands) films d'horreur, majoritairement américains, de bien marcher chez nous, pour X raisons.
Mais même, j'ai souvent assisté à des séances, comme L'Exorciste (première version, naturellement) ou Shining par exemple, avec des gens à qui ça ne faisait rien du tout. Enfin si, ça les emmerdait. Profondément. Et ce n'est pas tout neuf (c'est en allant dans une salle parisienne que Brach et Polanski, en voyant le public français rire devant des films d'horreur, ont eu l'idée de faire un film d'horreur où l'humour serait volontaire, d'où Le Bal des vampires).
Un film comme Carrie (le De Palma) fonctionne davantage, notamment par l'ajout d'un humour volontaire qui empêche le spectateur de rire involontairement du film comme ça arrive souvent, et surtout par l'immersion dans une certaine réalité (le lycée, avec ses bizuts et les bourreaux) qu'on a quasiment tous vécu. D'autres films partent trop vite dans une situation trop éloignée, trop vite fantastique pour que le large public adhère, quelle que soit la qualité du film.
Pareil avec la SF d'ailleurs. Je me souviens qu'à la sortie de Mission To Mars, avant même que quiconque n'ait vu le film (donc rien à voir avec sa qualité mineure), il y avait un chroniqueur qui était en train d'en parler sur un plateau télé, et d'annoncer la bande-annonce, quand un invité (un rappeur) disait: "Ah oui Mars, très important. Très très important..." et tout le public se marrait. C'est hélas à peu près ça. On ne croit pas aux fantômes, chez nous, pas plus qu'on ne s'intéresse à la science fiction. On croit à la politique désastreuse et aux banlieues qui brûlent (mais dont il ne faut pas trop parler quand même), et il faut des films d'action produit par Besson avec... des acteurs américains(!) ou bien des comédies avec Gad et des dialogues écrits par Nicolas Bedos, car ce sont majoritairement ses deux seules choses navrantes qui "intéressent" le public français. Enfin en tout cas les producteurs, qui les produisent parce que le public y va pour ces films-là. C'est comme avec les émissions culturelles qui disparaissent: à en croire les micro-trottoirs, personne ne regarde la "Roue de la fortune" mais tous veulent davantage d'émissions sur les livres, le cinéma... Pourtant les audiences ne mentent pas.
Il y a selon moi une différence fondamentale de culture. J'en avais déjà parlé, mais c'est exactement la même différence qu'il y a dans l'interprétation des œuvres de Shakespeare. Quelqu'un qui étudie Shakespeare en Angleterre et passe ses examens en France est sûr de se taper une mauvaise note (pareil en inversant les deux pays) à cause de notre différence d'interprétation. Pour nous tout n'est que symbolique, et on raisonne sur de longues pages explicatives, là où en Angleterre, Shakespeare est pris au premier degré (les fantômes existent réellement, les hallucinations n'en sont pas, etc.). Ça en dit long.
Pas d'accord. Le public cinéphile en France est déjà un public assez restreint, mais alors les amateurs de films de genre sont encore moins nombreux. Ça ne veut pas dire qu'un grand film fantastique américain ne marcherait pas chez nous, c'est déjà arrivé plusieurs fois, et pour quelles raisons le public se déplaçait en masse pour voir ce film plutôt qu'un autre, ça dépend. Un grand acteur admiré, un marketing réussi, une envie de se faire peur avec un phénomène de mode (si le film a cartonné aux USA, comme celui qui était vendu limite comme le plus grand film d'horreur de tous les temps, Paranormal Activity, alors il faut parfois impérativement le voir), une nouvelle technique d'effets spéciaux bluffante, etc. Cependant, on peut constater qu'il sort tous les mois plusieurs petits films d'horreur chez nous, pas tous américains (et souvent pas terribles), et ça ne marche simplement pas. J'en ai essayé un, une fois, il n'y avait personne d'autre que celle qui m'accompagnait et moi-même dans la salle.Demi-Lune a écrit :Il y a pour moi un vrai paradoxe : la cinéphilie française me semble globalement très amatrice et admiratrice du cinéma de genre
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
On a quand même eu Jean Rollin en France. Personnellement je n'aime pas du tout mais il bénéficie d'un certain culte dans les pays anglo-saxons tout en étant complétement inconnu chez nous.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Il n'était même pas cité dans la liste des décès qui défile sur un écran (avec la petite musique mélancolique ringarde) à la soirée des Césars l'année de sa mort!Jerome a écrit :On a quand même eu Jean Rollin en France. Personnellement je n'aime pas du tout mais il bénéficie d'un certain culte dans les pays anglo-saxons tout en étant complétement inconnu chez nous.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
La mode commerciale d'Halloween (que 99% des gens prennent à tort pour une tradition américaine) a pourtant bien marché chez nous pendant une dizaine d'années... avant de retomber (faut dire qu'y en avait marre de voir les vitrines en orange un mois par an). Ensuite, tout ce qui est anglo-saxon est vu avec exotisme. Ca marche aussi dans l'autre sens mais nettement moins bien, sorti du pinard, des 2CV et des bérets basques/baguette sous l'bras sur fond de Tour Eiffel (les spectateurs étrangers confondant Paris et la France comme nous New-York ou L.A. avec les USA ou Londres avec la Grande-Bretagne).Major Tom a écrit :Mais non, la raison est plus simple. En France, nous sommes de tradition rationaliste, et les modes anglo-saxonnes, qu'il s'agisse d'Halloween, de zombies, ou de vampires comme celle qui est revenue ces dernières années avec Twilight, ne trouvent pas beaucoup de répercutions sur notre propre production cinématographique car vous imaginez, vous, une histoire de lycée avec des vampires dans le Berry ou le Pas-de-Calais? Ou alors dans ce cas, peut-être parodiées dans des comédies (ça, c'est un genre typiquement franchouillard), je ne sais pas.
Et puis les Américains ont un sens du spectacle et du spectaculaire inné, les Britanniques un même sens du macabre, de la dérision, de l'excentricité, du grotesque. Les Espagnols et les Italiens aussi dans une certaine mesure et ce n'est pas étonnant si leur filmographie de genre est si riche. Idem avec les Sud-Américains, les Mexicains en tête.
Oui enfin... L'exorciste et Shining n'ont pas non plus fait des flops chez nous. Carrie visait effectivement un public plus jeune. Et puis la France est l'un des pays où de Palma (mais aussi Carpenter) sont le plus vénérés.J'ai souvent assisté à des séances, comme L'Exorciste (première version, naturellement) ou Shining par exemple, avec des gens à qui ça ne faisait rien du tout. Enfin si, ça les emmerdait. Profondément. Un film comme Carrie (le De Palma) fonctionne davantage, notamment par l'ajout d'un humour volontaire qui empêche le spectateur de rire involontairement du film comme ça arrive souvent, et surtout par l'immersion dans une certaine réalité (le lycée, avec ses bizuts et les bourreaux) qu'on a quasiment tous vécu. D'autres films partent trop vite dans une situation trop éloignée, trop vite fantastique pour que le large public adhère, quelle que soit la qualité du film.
La SF et l'anticipation, si mal ou peu abordées par le cinéma français, c'est un rendez-vous raté... alors que la littérature associée à ce genre a toujours bien marché. Peut-être moins aujourd'hui mais dans les années disons 50 à 80, il y a eu la revue Fictions, la collection Présence du futur chez Denoël (qui se vendait comme des petits pains alors qu'elle était très chère pour une édition de poche), les formidables anthologies au Livre de Poche et puis un florilège d'exégètes comme Sadoul, Dorémieux,Pareil avec la SF d'ailleurs. Je me souviens qu'à la sortie de Mission To Mars, avant même que quiconque n'ait vu le film (donc rien à voir avec sa qualité mineure), il y avait un chroniqueur qui était en train d'en parler sur un plateau télé, et d'annoncer la bande-annonce, quand un invité (un rappeur) disait: "Ah oui Mars, très important. Très très important..." et tout le public se marrait. C'est hélas à peu près ça. On ne croit pas aux fantômes, chez nous, pas plus qu'on ne s'intéresse à la science fiction. On croit à la politique désastreuse et aux banlieues qui brûlent (mais dont il ne faut pas trop parler quand même), et il faut des films d'action produit par Besson avec... des acteurs américains(!) ou bien des comédies avec Gad et des dialogues écrits par Nicolas Bedos, car ce sont les seules choses navrantes qui "intéressent" le public français.
Des émissions télé très regardées comme L'avenir du futur puis Temps X. Je ferai l'impasse sur Jean-Claude "Je les ai vus, ils sont là !!" Bourret...

Et je ne parle pas de la BD avec Jean-Claude Forest (qui débuta comme illustrateur pour Fictions), Paul Gillon, Les aventures de Valérian (et plein d'autres trucs hyper sympa publiés chez Dargaud) et bien sûr le trio Moebius-Druillet-Caza, la revue Métal Hurlant et j'en oublie des bacs entiers...
Parmi les tentatives cinématographiques, on retrouve souvent une tendance à intellectualiser (quasi-absente ou rarement présente chez les anglo-saxons, bien sûr il existe des contre-exemples) comme avec La jetée, Je t'aime, je t'aime, Alphaville, le sketch Anticipation, ou: l'amour en l'an 2000 de Godard, le très étrange L'alliance de Christian de Challonge... Films qui ne diront rien dans un micro-trottoir... ("Alphaville ? Ah oui, ma soeur écoutait ça en boucle et avait leur poster dans sa chambre..."

Je crois qu'on ne sait tout simplement pas faire à la fois spectaculaire et réflexif comme 2001 : l'odyssée de l'espace ou le sublime Bienvenue à Gattaca. Oui, je sais, certains feront des thèse sur Le 5ème élément mais bon, tout ça pour en arriver à "L'amour est plus fort que tout"...


En même temps, les Britanniques sont aussi les rois de l'understatement... Et savent mieux qui quiconque faire croire qu'ils croient au premier degré... telle Lady Mac Rashley dans une guignolerie bien de chez nous se passant dans un château hanté.Il y a selon moi une différence fondamentale de culture. J'en avais déjà parlé, mais c'est exactement la même différence qu'il y a dans l'interprétation des œuvres de Shakespeare. Quelqu'un qui étudie Shakespeare en Angleterre et passe ses examens en France est sûr de se taper une mauvaise note (pareil en inversant les deux pays) à cause de notre différence d'interprétation. Pour nous tout n'est que symbolique, et on raisonne sur de longues pages explicatives, là où en Angleterre, Shakespeare est pris au premier degré (les fantômes existent réellement, les hallucinations n'en sont pas, etc.). Ça en dit long.

Je me demande si il ne faudrait pas tout simplement distinguer cinéphiles et amateurs de cinéma de genre en France même si les uns peuvent aussi se retrouver dans les autres (en tout bien tout honneur, hein ?). Attention aux effets de mode : en ce moment, ça le fait d'aimer les série B et Z, c'est cool, "décalé" (terme crétin canalplussé que j'utilise à dessein). "Wah ! Corman, je kiffe grave" etc. Moi je m'en fous, j'aimais la littérature et le ciné de genre bien avant d'être plus ou moins catalogable comme cinéphile...Pas d'accord. Le public cinéphile en France est déjà un public assez restreint, mais alors les amateurs de films de genre sont encore moins nombreux. Ça ne veut pas dire qu'un grand film fantastique américain ne marcherait pas chez nous, c'est déjà arrivé plusieurs fois, et pour quelles raisons le public se déplaçait en masse pour voir ce film plutôt qu'un autre, ça dépend. Un grand acteur admiré, un phénomène de mode (si le film a cartonné aux USA alors il faut parfois impérativement le voir), une nouvelle technique d'effets spéciaux bluffante, etc. Mais il sort tous les mois de nombreux petits films d'horreur chez nous, pas tous américains et souvent pas terribles, même souvent mauvais, et ça ne marche pas. J'en ai essayé un, une fois, il n'y avait personne dans la salle.Demi-Lune a écrit :Il y a pour moi un vrai paradoxe : la cinéphilie française me semble globalement très amatrice et admiratrice du cinéma de genre

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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
C'est quoi ta définition de "bien marcher"?Federico a écrit :La mode commerciale d'Halloween (que 99% des gens prennent à tort pour une tradition américaine) a pourtant bien marché chez nous pendant une dizaine d'années...Major Tom a écrit :Mais non, la raison est plus simple. En France, nous sommes de tradition rationaliste, et les modes anglo-saxonnes, qu'il s'agisse d'Halloween, de zombies, ou de vampires comme celle qui est revenue ces dernières années avec Twilight, ne trouvent pas beaucoup de répercutions sur notre propre production cinématographique car vous imaginez, vous, une histoire de lycée avec des vampires dans le Berry ou le Pas-de-Calais? Ou alors dans ce cas, peut-être parodiées dans des comédies (ça, c'est un genre typiquement franchouillard), je ne sais pas.

Ben oui.Federico a écrit :Ensuite, tout ce qui est anglo-saxon est vu avec exotisme.
Exact!Federico a écrit :Et puis les Américains ont un sens du spectacle et du spectaculaire inné, les Britanniques un même sens du macabre, de la dérision, de l'excentricité, du grotesque. Les Espagnols et les Italiens aussi dans une certaine mesure et ce n'est pas étonnant si leur filmographie de genre est si riche. Idem avec les Sud-Américains, les Mexicains en tête.
Non mais je parlais de rétrospectives, hein! Je ne les ai pas vus à leur sortie.Federico a écrit :Oui enfin... L'exorciste et Shining n'ont pas non plus fait des flops chez nous.

Je sais que ça a cartonné, quand même


Mmmoui c'est vrai, m'enfin encore une fois, ça reste assez restreint malgré tout, c'est une fraction de l'auditoire dont je fais partie comme beaucoup d'entre vous qui reste fascinée par ces deux-là.Federico a écrit :Carrie visait effectivement un public plus jeune. Et puis la France est l'un des pays où de Palma (mais aussi Carpenter) sont le plus vénérés.

En littérature, magazines ou BD, c'est complètement autre chose. Un film, même à budget réduit, existe avec la promesse du retour de l'argent sous forme de plus-value, et donc, vieille rengaine connue, la frontière entre l'art et le marché est floue. Il est plus "facile" (dans un certain sens, si vous me permettez) de faire exister des écrits ou des cases avec des dessins quand on a le talent pour ça, même si c'est aussi très dur d'en vivre ou de se faire publier, mais ça ne demande pas autant de main d'œuvre, de temps et de personnes à rémunérer et mobiliser pour un film. Ça demande plusieurs équipes de différents départements: son, image, puis marketing, distribution, etc., surtout pour un film d'anticipation qui parfois compte aussi celui des trucages. Le scénario aurait beau avoir les mêmes ingrédients qu'une BD de Paul Gillon, le public de la bande dessinée n'est pas obligatoirement le même que celui d'une salle de cinéma, déjà. Et un film compte sur beaucoup de choses. Même un cinéaste pas forcément mauvais comme Jacques Demy peut se planter à cause d'un département foireux, en l'occurrence même deux: l'interprétation et la musique pour Parking, voire trois: lui-même, car avec le temps, les grands cinéastes peuvent petit à petit devenir de moins en moins intéressants, et les producteurs s'en rendent compte.Federico a écrit :La SF et l'anticipation, si mal ou peu abordées par le cinéma français, c'est un rendez-vous raté... alors que la littérature associée à ce genre a toujours bien marché. Peut-être moins aujourd'hui mais dans les années disons 50 à 80, il y a eu la revue Fictions, la collection Présence du futur chez Denoël (qui se vendait comme des petits pains alors qu'elle était très chère pour une édition de poche), les formidables anthologies au Livre de Poche et puis un florilège d'exégètes comme Sadoul, Dorémieux,
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Et je ne parle pas de la BD avec Jean-Claude Forest (qui débuta comme illustrateur pour Fictions), Paul Gillon, Les aventures de Valérian (et plein d'autres trucs hyper sympa publiés chez Dargaud) et bien sûr le trio Moebius-Druillet-Caza, la revue Métal Hurlant et j'en oublie des bacs entiers...
En France, la production se renouvèle et les jeunes producteurs (rarement très cinéphiles) ne veulent pas de dinosaures. Ils veulent des choses qui leur parlent, du Jamel comedy club à la poursuite en BMW sur le périph', mais niveau fantastique, ils n'ont pas forcément le cœur qui bat pour. Comment, même un jeune réalisateur très talentueux, réussirait-il à imposer un "film de genre" au milieu de tout ça? (Et aussi, s'il y a des producteurs intéressés par ça, ce sont rarement ceux qui ont l'argent) C'est une grosse prise de risques de faire un film. Autant qu'il soit ancré sur des phénomènes de mode bien français et qu'il ait ses chances de rapporter un peu de sous...
C'est vrai, il s'agit plus d'"amateurs spécialisés" que de "cinéphiles". Truffaut avait déjà séparé les deux dans les années 60: tout intéresse un critique cinéphile, alors qu'un critique spécialisé se consacrera davantage à un ou quelques genres en particulier. Comme Hellrick, ou Mannhunter.Federico a écrit :Je me demande si il ne faudrait pas tout simplement distinguer cinéphiles et amateurs de cinéma de genre en France même si les uns peuvent aussi se retrouver dans les autres

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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Pas facile non plus de rivaliser avec le cinéma gothique italien d'un côté et de l'autre la puissante Hammer Film. A mon avis, la place était déjà bien prise. C'est pas plus mal que la France se soit davantage distinguée dans un autre type de cinéma, plus verbal et intellectuel. D'ailleurs un film comme Buffet Froid de Blier possède une veine très surréaliste je trouve. A certains égard c'est presque un film fantastique. Le début du film par exemple, avec Serrault et Depardieu qui conversent seuls dans le métro, c'est très étrange et irréel comme scène. L'irruption du bizarre et de l'insolite au cœur du quotidien, ça c'est un truc que les français arrivaient assez bien à faire à une certaine époque. Le Locataire de Popo est d'ailleurs assez emblématique.Federico a écrit :Je me suis souvent posé la question. Pourquoi si peu de films fantastiques, d'horreur, et encore moins d'anticipation et de SF (dont pas mal de bides et de ratés) comparé aux anglo-saxons ?Demi-Lune a écrit :Le cinéma français et le film de genre, c'est pas trop ça. Ce serait intéressant de chercher les raisons de cette espèce de non-miscibilité.
Dernière modification par julien le 2 oct. 13, 16:36, modifié 1 fois.

"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Oui voilà, on aurait dû peut-être approfondir ça que d'essayer vainement à, par exemple, reprendre ce qui existe ailleurs, tu as raison. Les Italiens sont les rois de la récupération pour ça (le western, l'horreur...), et chez nous je ne vois pas le western camembert ou le jaunâtre fonctionner des masses...julien a écrit :Pas facile non plus de rivaliser avec le cinéma gothique italien d'un côté et de l'autre la puissante Hammer Film. A mon avis, la place était déjà bien prise. C'est pas plus mal que la France se soit davantage distinguée dans un autre type de cinéma, plus verbal et intellectuel. D'ailleurs un film comme Buffet Froid de Blier possède une veine très surréaliste je trouve. A certains égard c'est presque un film fantastique. Le début du film par exemple, avec Serrault et Depardieu qui conversent seuls dans le métro, c'est très étrange et irréel comme scène.Federico a écrit : Je me suis souvent posé la question. Pourquoi si peu de films fantastiques, d'horreur, et encore moins d'anticipation et de SF (dont pas mal de bides et de ratés) comparé aux anglo-saxons ?
Blier c'est de moins en moins bien au fur et à mesure, mais il y aurait pu y avoir d'autres cinéastes intéressés et intéressants... Pierre Jolivet a aussi tenté des petites choses pas mal non plus mais qui, elles, ne marchaient pas auprès du public.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Et puis les anglais ils ont Stonehenge et le brouillard, les italiens une architecture gothique très expressive... Ça aide beaucoup. Venise par exemple, avec toute ces petites ruelles et ces canaux lugubres, c'est assez effrayant comme ville ; d'ailleurs elle a souvent était utilisée comme décor pour des films d'épouvante.

"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Voilà quelque chose d'intéressant et qui ne demanderait pas spécialement un gros budget. Mais j'ai l'impression que le fantastique aujourd'hui prend une tournure de plus en plus rationnelle, il faut expliquer les choses, il faut que le film soit "réaliste" même si on parle de super héros ou de fantômes. On ne peut plus montrer une maison hantée façon La maison du diable, il faut qu'à un moment on appelle un médium qui déclare "oui mais c'est parce qu'un gamin s'est noyé que la maison est hantée". Le fantastique ça devrait être "perdre pied" avec le réel comme La quatrième dimension ou les romans de Philip K. Dick où toutes les normes s'écroulent. A présent il faut tout expliquer. J'ai lu récemment des commentaires style "le prochain Robocop va être meilleur que le vieux, ça sera bien plus réaliste avec son armure". Bon.julien a écrit : L'irruption du bizarre et de l'insolite au cœur du quotidien, ça c'est un truc que les français arrivaient assez bien à faire à une certaine époque.

Cela dit j'ai l'impression qu'en Belgique nous sommes plus sensibles au fantastique, moins rationnel, on aime bien Halloween, les fêtes un peu folkloriques sur les sorcières et tout ça, ça me parait plus accepté, y compris dans une presse plus généraliste qui n'hésite plus à parler du Bifff ou d'événements plus geek.
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Re: Les Yeux sans Visage (Georges Franju - 1960)
Mocky par contre a fait des films intéressants. D'ailleurs il s'est pas mal inspiré de Franju. Des films comme La Cité de l'Indicible Peur, Litan ou encore Noir comme le Souvenir. La aussi ce sont des films qui cultivent une ambiance étrange et un climat très proche du fantastique.Major Tom a écrit :Pierre Jolivet a aussi tenté des petites choses pas mal non plus mais qui, elles, ne marchaient pas auprès du public.

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