LES ORGIES DE RASPOUTINE
En 1983, le petit monde du porno a déjà sombré dans les abîmes des tournages vidéo et des « films » sans inspiration commercialisé à la chaîne. Pourtant, un petit groupe résiste encore, quasiment seul contre tous, mené par l’Autrichien Ernst Hofbauer (qui décèdera l’année suivante). Refusant la facilité de la vidéo, le cinéaste s’accroche aux tournages en 35 millimètres et aux productions prestigieuses, dans la lignée de la rafraichissante saga JOSEFINE MUTZENBACHER qui fit la renommée de la comédie porno en costumes pendant une quinzaine d’années. Pour ce qui sera son dernier film, Ernst Hofbauer voit grand et, aidé à la réalisation par Klaus König, se lance dans l’adaptation de la vie incroyable de Grigori Raspoutine. La même année on retrouve une équipe identique à la tête (à queue, oui c’était facile), du porno allemand le plus cher et le plus ambitieux de tous les temps, CATHERINE LA TSARINE NUE, exploité en deux parties vue sa durée déraisonnable (3 heures !).
Pour son intrigue, Ernst Hofbauer reste fidèle au « film historique » et s’inspire d’un personnage fascinant, à la fois célèbre et méconnu, déjà incarné plusieurs fois à l’écran, entre autre par Christopher Lee dans le distrayant RASPOUTINE LE MOINE FOU. Nous suivons donc la vie de Raspoutine, moine paillard très respecté dans l’Empire russe en raison de son charisme magnétique, de son appétit sexuel débridé et de ses apparents pouvoirs guérisseurs. Raspoutine utilise d’ailleurs ces derniers pour guérir le fils agonisant du Tsar, ce qui lui permet d’accéder aux arcanes du pouvoir politique. Véritable éminence grise à l’influence énorme, Raspoutine devient, à Saint Petersbourg, le conseiller de la tsarine Alexandra. Il s’attire aussi les faveurs des dames de la cour et les jalousies des hommes qui décident finalement de l’évincer…
Aventurier mystique qui se prétendait moine (ce qui n’a jamais pu être prouvé), Raspoutine devint un véritable mythe en Russie et, près d’un siècle après son assassinat, perpétré en décembre 1916, il est devenu difficile de démêler le vrai du faux dans son incroyable existence. Réputé pour ses appétits sexuels et la taille monumentale de son pénis (29 centimètres !) qui devint, après sa mort, une relique sacrée pour certains cultes de la fertilité (il serait, actuellement, détenu par le Musée de l’érotisme de Saint Petersbourg), Raspoutine vécut une vie de débauche, séduisant les nobles de Russie, violant des jeunes filles ou déflorant des nonnes lors de nombreuses orgies. Il aurait été, également, l’amant de la Tsarine et peut-être même d’hommes politiques russes influents. Vérités, affabulations, exagérations, rumeurs colportées par ses ennemis ? Nul ne le sait, la légende ayant définitivement pris le pas sur la véracité historique dans l’imaginaire collectif.
C’est bien sûr cette légende qu’Ernst Hofbauer va illustrer, de manière détaillée, avec LES ORGIES DE RASPOUTINE, une grande fresque de deux heures située dans la lignée de CALIGULA, le modèle insurpassable de la « superproduction porno sanglante historique ». Moins réussi que le long-métrage aberrant de Tinto Brass, l’œuvre n’en est pas moins fort sympathique même si certains pourront lui reprocher son manque de focus. Assis entre deux (voire davantage) chaises, le film oscille en effet entre la reconstitution historique relativement soignée et bénéficiant de moyens conséquents (en tout cas à des années lumières du tout venant du X), la comédie paillarde (représentée, entre autre, par un personnage d’homosexuel caricatural), l’action violente (avec quelques tortures et passages gentiment gore) et la pornographie pure et simple.
De ce côté, les scènes X sont, d’ailleurs, d’un intérêt variable. Alexandre Conté, qui incarne un Raspoutine cabotin finalement convaincant, est, par exemple, doublé par un « hardeur » aux fesses poilues lors des passages hard pas très esthétiques. Cette substitution très visible gâche beaucoup les scènes chaudes de la première heure, lesquelles auraient sans doute gagnés à se limiter au « soft ». Par contre, les orgies en costume à la cour du Tsar possèdent une véritable intensité et leur potentiel érotique, sublimé par des décors fastueux, tranche résolument avec le porno de base. Joliment éclairées, filmées avec soin, équilibrant de belle manière les plans larges érotiques et les gros plans gynécologiques, ces passages valent le coup d’œil et démontrent le savoir-faire sensuel des cinéastes. Les séquences au bord de la piscine témoignent ainsi d’un soin rare dans le domaine de la pornographie et sont sans doute les meilleures du film. Certaines scènes s’avèrent, toutefois, un brin longuettes et auraient mérité d’être écourtées en dépit de la beauté très naturelle des comédiennes, menées par Uschi Karnat (le rôle titre de CATHERINE LA TSARINE NUE).
Les scènes de tueries, de massacre et de tortures ponctuent, elles, le long-métrage à intervalles réguliers. Ni trop nombreuses ni trop explicites, elles restent cependant brutales et surprenantes dans un tel contexte, LES ORGIES DE RASPOUTINE hésitant entre le sérieux et l’humour. Quelques scènes en extérieur, maladroitement filmées, tirent en outre l’entreprise vers le bas et rappellent les péplums italiens fauchés des sixties. De menues scories qui empêchent néanmoins le film d’être une vraie réussite.
La reprise de la bande originale de LA FOLIE DES GRANDEURS témoigne, de son côté, d’un certain mépris du copyright mais se révèle bien utilisée, tout comme divers mélodies de guitares ou de mandolines très entrainantes. Enfin, quelques emprunts à la musique folklorique russe, employés lors des copulations, les transforment en véritables chevauchées sauvages et leur donnent un côté joyeux bienvenus.
Exploité en version longue porno (d’une durée de deux heures) et courte (expurgée d’une trentaine de minutes explicites), LES ORGIES DE RASPOUTINE constitue une aberration cinématographique bancale et inégale mais finalement divertissante et jamais ennuyeuse. Si le résultat risque de décontenancer les amateurs de X pur et dur, le tout demeure plaisant et constitue un mélange aussi improbable que fascinant qui s’adresse surtout aux inconditionnels de l’exploitation la plus outrageuse.