Avec cette histoire se déroulant presque exclusivement à l'intérieur de la fameuse salle de concert, Ulmer signe sans doute son film le plus personnel, lui qui fut un grand amoureux de la musique classique. Je dois avouer ne pas y connaître grand chose surtout dans le nom des musiciens emblématiques mais le film fourmille de nombreux et prestigieux guest-stars qui jouent leur propre rôle (Artur Rubinstein par exemple).
La passion de Ulmer transpire à chaque séquence musicale où il fait preuve d'une virtuosité vibrante en unisson avec les mélodies. Ce sont des suites de séquences anthologique où l'invention au niveau du cadrage, des mouvements de caméra et de la perspective atteint ici un raffinement et un lyrisme qui n'a été égalé (dans mon opinion) que par le final fiévreux en enflammé de Hangover Square de John Brahms.
Celà dit, si ces séquences sont admirables au plus haut point, ça se suffit pas à rendre le film prenant. Tout d'abord il dure 2h20 et une bonne moitié est dédiée aux séquences de concerts, parfois pendant 40 minutes non stop. Ca n'évite pas la lassitude ou la fatigue d'autant que l'intrigue qui est sensé faire le lien n'est guère passionnante et il est vite rempli de stéréotypes alors que l'introduction annonçait du prometteur. Mais comme les personnages disparaissent régulièrement pendant plusieurs dizaine de minutes, on se désintéresse rapidement de ce qui leur arrive. Le film souffre de cette construction un peu bâtarde entre le mélodrame familiale et la pure captation de spectacle. Les deux genres s'additionnent au lieu de se compléter.
Mais c'est une œuvre à découvrir quoiqu'il en soit (avec un doigt sur la touche de chapitrage ?) pour toutes les séquences musicales qui, je ne le dirais jamais assez, atteignent une grâce magistrale d'autant que Ulmer a bénéficié d'un budget conséquent ce qui lui permet l'occasion signer quelques impressionnant mouvements de caméra et soigner comme rarement sa photographie.
Her sister's secret (1946)
L'un des excellente surprise de cette rétrospective. C'est un mélodrame dans la lignée de No man of her own de Mitchell Leisen ou de la vieille Fille avec Bette Davis, c'est à dire une jeune femme qui tombe enceinte après une nuit d'amour avec un homme que la guerre éloigne. Ne pouvant le garder, elle confie l'enfant à sa sœur.
Ulmer signe un très beau film, émouvant avec des personnages bien écrits, vivants, justes, touchants. Ils sont vivants avant tout et sont donc loin d'être des êtres parfaits aux comportements toujours louables. Ils font des erreurs, sont maladroits, ne savent pas toujours comment s'y prendre et c'est ce qui les rendent crédibles. Ulmer choisit en plus de ne pas justement tomber dans le lacrymale. Son film est assez sobre, avec un lyrisme discret mais bien présent. Son budget est relativement correct pour lui permettre une technique solide tout en détournant l'économie vers quelques chose de doucement épuré comme ce décor qui devient de plus en plus dépouillé lors de la confrontation finale entre les deux sœurs, filmée par ailleurs en un long plan-séquence discret.
De plus, les péripéties sont plutôt réalistes y compris dans ce qu'elles ont de plus improbables avec les amants qui se croisent et se manquent à plusieurs reprises. Ce genre de rebondissements évitent les poncifs des mauvais romans de gare parce qu'elles reposent sur les personnages plutôt que sur le destin et que les seconds sont également bien composés, même s'il sont peu présent à l'image. Un mot d'ailleurs sur un casting formidable qui tranche un peu avec les benêts avec lesquels Ulmer devait parfois composer à cette époque.
Et puis, sa durée relativement courte (85 minutes) favorise les ellipses, une narration qui n'a pas le temps de s'attarder et les non-dits, ce qui est finalement une bonne chose dans un mélodrame.
Voilà, un joli film, sensible, sincère, jamais lourd ou insistant. Le genre de titre qui mérite sortir de l'oubli.
Jive Junction (1943)
Un nouveau film musical mais qui ressemble quand beaucoup à une douche froide d'autant que son histoire lorgne sans vergogne sur le genre de musicals à la Garland/Rooney avec des jeunes musiciens/artistes voulant monter leur propre spectacle pour faire leur preuve.
Il y a pas de budget, pas de vrai décor, les acteurs sont tous plus pathétiques et agaçants les uns que les autres, les gags sont relativement vulgaires (les adolescentes se maquillant comme des entraineuses de bar

Pourtant Ulmer ne semble pas vouloir baisser les bras et abdiquer. Il parvient à donner une certaine élégance à plusieurs reprises (le plan séquence d'ouverture, l'ample mouvement de grue dans la grange), il rue dans les brancards pour accélérer le décalage d'une situation (la course pour obtenir aux instruments) et il réussit un injecter son amour pour la musique symphonique assez adroitement.
Cette modestie, le tempo qu'il essaie d'insuffler sur la fin, cet envie de ne pas vouloir voler le spectateur donnerait presque envie d'être indulgent.