C'est l'histoire d'un type assez banal (Griffin Dunne, inoubliable), un peu gauche, formaté par son boulot. D'ailleurs, ironie de la chose, il est programmateur informatique. Dès les premières images, on sent le rythme routinier de Paul Hackett, tout comme le vide de son existence : il ne semble pas prendre énormément de plaisir à son travail et s'ennuie ferme devant sa télé le soir. Tout est programmé chez cet homme, incarnation des années Reagan, qui, à la tombée de la nuit et au détour d'une rencontre avec une étrange blonde sensuelle (Rosanna Arquette), a comme une envie de tirer son coup. Mais rien ne se passera comme prévu : il y a comme un bug. Tout devient progressivement étrange, décalé, inquiétant, tandis que Paul ne peut plus quitter le quartier new-yorkais de Soho et que sa libido semble se retourner contre lui. Et c'est parti pour une bonne grosse nuit de galère hallucinée. Sorte de
Frantic sur une seule nuit avec des enjeux plus burlesques,
After Hours, œuvre prétendument mineure, est une perle dans la filmographie de Martin Scorsese : je le revois toujours avec un immense plaisir, et je le tiens pour un des tous meilleurs films de son auteur. Déroutant, imprévisible, ce film jubilatoire est une espèce de rêve éveillé, comme quand on n'a plus les yeux en face des trous après une soirée interminable et qu'on subit les choses, dans un état semi-comateux. Bien que drôle, le film joue constamment sur le côté légèrement angoissant des situations toujours plus délirantes dans lesquelles Hackett s'empêtre : plus d'une fois, on hésite entre le rire ou l'inquiétude (la mort de Marcy, ou comme lorsqu'une femme abat son mari froidement et que Hackett prédit qu'on va aussi lui mettre ça sur le dos) alors que le rêve se mue en vrai cauchemar et que les notes de synthés de Howard Shore accentuent ce sentiment de flottement, d'étrangeté. Et la fin n'apaise pas cette impression : est-ce vraiment fini ? Alors, c'est vrai que le film s'apparente un peu à une récréation dans l'œuvre de Scorsese, et que ses thématiques chères semblent éloignées. Cependant, il y a une telle maîtrise et une telle énergie dans la mise en scène, qui dose vraiment bien ses effets, le scénario est tellement barré, et les comédiens si savoureux, qu'
After Hours, fable surréaliste, procure un vrai plaisir de cinéma sur lequel il est impossible de cracher. Vraiment un de mes Scorsese favoris, un petit chef-d'oeuvre.