Cinq Fusils à l’Ouest (Five Guns West - 1955) de Roger Corman
PALO ALTO
Avec John Lund, Dorothy Malone, R. Wright Campbell, Mike Connors, Jonathan Haze, Paul Birch
Scénario : R. Wright Campbell
Musique : Buddy Bregman
Photographie : Floyd Crosby (Pathécolor 1.37)
Un film produit par Roger Corman pour Palo Alto Productions
La première relative bonne surprise de ce mois d’avril 1955 riche en sorties westerniennes provient du western au plus petit budget, celui d’une série Z d’ailleurs, à peine plus de 60.000 dollars ! Il s’agit du premier film réalisé par Roger Corman qui sera un des cinéastes les plus prolifiques d’Hollywood dans les années qui suivront, auteur d’une cinquantaine de films en tant que réalisateur et près de 400 avec la casquette de producteur. Il sera surtout un formidable ‘chasseur de têtes’ puisqu’il dénichera non moins que Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Ron Howard, Joe Dante, Peter Bogdanovich ou Jonathan Demme qu’il contribuera tous plus ou moins à lancer dans le métier. Alors qu’il distribua également aux USA des réalisateurs de renom (Fellini, Bergman, Truffaut…), dès qu’il se retrouvait derrière la caméra, sa conception du cinéma était à l’opposé de celle de ces grands noms, entièrement tournée vers le pur divertissement avec comme paramètres, entre autres un budget très faible, une grande liberté dans l’écriture et une durée de tournage limitée au maximum (rarement plus d’une semaine ; 9 jours néanmoins pour son premier western). Filmés dans ces conditions, parmi ses films les plus connus, on pourra citer
La Petite Boutique des horreurs, comédie horrifique,
Mitraillette Kelly, film de gangsters avec Charles Bronson ou encore, dans le domaine du film de guerre,
L’Invasion Secrète avec Mickey Rooney. Mais c'est surtout son cycle Edgar Allan Poe qui contribua à sa réputation. S’entourant d’une équipe qui lui restera fidèle, soignant plus qu’à l’habitude ses mises en scène, il en résultera toute une série de films plastiquement assez recherchés :
La Chute de la Maison Usher,
Le Masque de la mort rouge,
La Chambre des Tortures ou
Le corbeau. Mais revenons-en à son premier film !

La Guerre Civile touche à sa fin ; les Sudistes sont aux abois. Ne disposant plus que d’un nombre d’hommes restreint et ne voulant pas encore en perdre de trop, l’armée confédérée fait parfois appel à des prisonniers auxquels elle demande d’effectuer des missions délicates et dangereuses en échange d’être graciés. C’est ainsi qu’on offre la chance à cinq condamnés à mort ou à perpétuité – l’Old Timer J.C. Haggard (Paul Birch) ; le joueur Hale Clinton (Mike Connors) ; les frères Candy, tueurs psychopathes, John (Bob Campbell) et William (Jonathan Haze) ; l’assassin désigné comme chef de groupe, Govem Sturgess (John Lund) - d’être amnistiés à condition qu’ils ramènent mort ou vif un traître à la cause sur le point de donner au camp adverse non seulement une liste contenant les noms d’espions sudistes infiltrés mais aussi 30.000 dollars en or. Cette dernière information n’est pas tombée dans l’oreille de sourds ; les cinq hors-la-loi acceptent le travail avec déjà en tête l’idée de s’enfuir avec cette manne financière leur tombant du ciel. Ils devront d’abord traverser l’hostile territoire Comanche afin de se rendre dans le Kansas, plus précisément dans une ville abandonnée, Dawn Springs, où seule reste active une station de diligence à laquelle doit s’arrêter l’escorte nordiste conduisant Stephen Jethro, l’homme à appréhender. Arrivés à destination presque sans encombre, les cinq hommes apprennent par Shalee (Dorothy Malone), la tenancière du relais (simplement accompagnée par son oncle alcoolique), qu’ils devront patienter quelques jours avant l’arrivée de la diligence. Il ne va pas être facile pour le chef de groupe de maintenir ses hommes au calme à cause de la tension qui monte suite à l’impatience qui s’accroit, des alliances traitresses qui se créent et surtout de la présence féminine qui réveille en eux quelques primitifs instincts…

Un commando constitué de brutes, de tueurs, d’indésirables et de hors la loi, recruté par l’armée pour effectuer une mission dangereuse, ce sera à nouveau le thème principal de
L’Invasion secrète (The Secret Invasion), un très bon film de guerre réalisé en 1963 à nouveau par Roger Corman avec Raf Vallone, Mickey Rooney et Stewart Granger ; il sera ensuite repris dans ce qui demeurera le modèle du genre, le célèbre
Dirty Dozen (Les Douze Salopards) de Robert Aldrich en 1967. Mais, pour en revenir à ce western fauché qui innovait en quelque sorte avec cette idée, Roger Corman, pour son premier film, prouvait (après Lesley Selander et quelques autres) qu’à l’aide d’un scénario plutôt bien construit, de personnages fortement caractérisés et de dialogues efficaces et cinglants, on pouvait maintenir l’attention du spectateur 75 minutes durant sans avoir recours à trop d’action et malgré un certain bâclage technique (faux raccords en pagaille, micros dans le champ, éclairages studio réglés à la va-vite…). Avec des bouts de ficelles, un résultat somme toute plaisant, ce qui n’était pas le cas des quelques westerns disposant de moyens bien plus conséquents et sortis sur les écrans américains la même semaine, à commencer par le film de prestige de Mervyn LeRoy à la Warner,
Une étrangère dans la ville (Strange Lady in Town). Le casting de
Cinq Fusils à l’Ouest étant constitué d’au moins deux comédiens assez ‘connu’ à l’époque (Dorothy Malone et John Lund), les moyens financiers qui restaient pour les autres secteurs devaient être plus que limités. On s’en rend compte surtout au travers des séquences de bagarres pour lesquelles la production n’a probablement pas du pouvoir payer de cascadeurs, ce qui rend, il faut bien l’avouer, ces moments assez risibles. En y regardant de plus près et sans que ça nous ait gêné, on constate aussi que le film, au vu de son budget, n’est presque quasiment constitué que de scènes dialogués. Mais comme nous le disions juste avant, le scénario étant très bien écrit et bénéficiant de dialogues d’une grande efficacité, on ne s’ennuie pas même si par moment, on ressent une petite de lassitude, l'ensemble piétinant et tournant un peu en rond à partir de la mi-film.

Mais dans l’ensemble, le visionnage fut constamment plaisant d’autant que Roger Corman a su s’entourer de comédiens s'étant tous pris au jeu et qui se sont tous avérés plutôt bons à commencer par John Lund qui nous avait habitué jusqu’ici à jouer les sympathiques médiateurs entre blancs et indiens dans les westerns de George Sherman et qui est tout à fait convaincant dans la peau de ce personnage nous réservant une surprise de dernière minute. Paul Birch n’est pas en reste dans la peau de l'attachant Old Timer et nous découvrons ici dans le rôle du joueur sans morale le futur interprète de Mannix, Mike Connors. Les deux frères psychopathes, ce sont Jonathan Haze et R.Wright Campbell qui les incarnent ; ils s’en sortent aussi relativement bien d’autant que le second n’était pas acteur mais scénariste (notamment sur ce film). S’étant plaint à Corman de son salaire pour son travail d’écriture (200 dollars !), il put en contrepartie s’amuser en s’essayant au métier d’acteur. Le seul personnage féminin, c’est à Dorothy Malone qu’il échoit. Déjà au générique d’une dizaine de westerns sans trop s'être fait remarquer, on ne peut pas dire que ce soit encore dans celui-ci qu’elle fasse montre d’un grand talent mais sa prestation se révèle néanmoins correcte. Grâce à ce casting plutôt homogène, au scénario bien construit et à un bon sens de la répartie,
Cinq Fusils à l’Ouest n’est pas le nanar qu’il aurait facilement pu être, ce que nous faisait redouter le générique un peu ringard voyant cinq bras armés pointés vers le spectateur durant toute sa durée.
Five Guns West bénéficie d’ailleurs aussi de photogéniques extérieurs, d’une photographie automnale de Floyd Crosby assez agréable en pathécolor (procédé qui ressemble un peu au Cinecolor, mettant en avant les bruns, mais un peu plus nuancé) et d’une musique pas déplaisante de Buddy Bregman. Satisfait du travail du scénariste, du compositeur et du chef-opérateur, Roger Corman fera de nouveau appel à eux par la suite ; ils formeront ainsi une sorte de famille cinématographique. Le cinéaste utilise aussi assez bien le peu de décors construits qu’il a eu à sa disposition, notamment le relais de diligence et ses alentours où se déroulera la majeure partie de la deuxième moitié du film. L’idée de l’attaque finale des héros cloitrés dans la station par un ‘Bad Guy’, celui-ci s’étant faufilé sous le plancher pour tirer sur les assiégés par-dessous, est très bien vue et permet de maintenir un suspense assez efficace, le tueur tirant en fonction des bruits de pas au dessus de sa tête. Pour résumer, une stricte économie de moyens (peu de décors, d’action et de figurants) qui n'empêche pas la tension dramatique de s'installer, les conflits internes menaçant à chaque instant de faire se désintégrer le groupe, le maintien d'un assez efficace suspense, quelques ingénieuses idées scénaristiques et de mises en scène pour un divertissement au ton âpre et peu glamour (un peu à la manière de
Yellow Sky de Wellman sans pour autant, loin s'en faut, lui arriver à la cheville), tout à fait honorable même si immédiatement oublié une fois le film terminé.
Five Guns West n'avait de toute manière aucune autre prétention que d’être une récréation pour le public du samedi soir. Mission plutôt réussie !