A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
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A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Voici encore un Scorsese étrangement estimé dans sa filmographie...
Adapté d'un roman de Joe Connelly par un des plus brillants collaborateurs du cinéaste, Paul Schrader himself, on se dit que la mise en chantier de Bringing out the Dead se veut un retour en source new-yorkais depuis The Age of Innocence, cinq plus tôt, (et depuis 1988 avec Schrader) ...
Oeuvre nocturne, avec un personnage déphasé qui cherche la rédemption... Un programme qui semble être étudié pour un cinéaste qui a déjà exercé (brillamment) dans cette voie. Sauf que le présent film est curieusement "discret" lorsqu'on évoque son cinéma.
Ce qui fait la beauté du film, en ce qui me concerne, c'est la force incroyable de la mise en scène. Scorsese, en suivant le parcours d'un ambulancier insomniaque "christique", met en place, à l'instar de Taxi Driver, une vision géographique et sociologique subjective à son protagoniste. Bringing out the Dead est une oeuvre singulièrement intense, ne confondant jamais vitesse et précipitation... Elle est un curieux mélange entre une nostalgie des années 70 dans le sujet et son traitement des années 90, dont l'aboutissement formel qu'était Casino en est un bon représentant...
C'est un film qu'on peut avoir déjà vu mais qui marque l'évolution cinématographique du cinéaste... Le parcours christique de Frank Pierce (Nicolas Cage, dans un de ses plus beaux rôles), dont le métier est évidemment une voie de salut, est renforcé par la rencontre avec Mary (forcément), jouée par une tendre Patricia Arquette... La vision de la ville, métamorphosée par les yeux cernés de notre personnage principal, se transforme en paysage spectral, dont le fantôme d'une morte, avec laquelle il se sent responsable de son état, apparaît inlassablement, accentuant la fatigue morale, plus que physique de Frank.
La ville de New York se définit plus comme le Barnum d'un After Hours, dans lequel le héros tente de soigner les maux, c'est-à-dire d'accepter tous les péchés de ses habitants. L'oeuvre contient de plus des moments d'humour culottés (les personnages secondaires sont frappés de ciboulots), qui fait de ce film, par moments, une comédie noire et cynique survoltée, complètement folle.
Puis Bringing out the Dead, au départ oeuvre de commande, devient un film personnel. Parce que les obsessions du cinéaste sont présentes, mais aussi parce qu'il aborde un élément que le cinéaste a bien connu et qu'il a réussi (semble-t-il) à combattre : la dépression. Le regard que pose Scorsese sur son personnage est compatissant, ne faisant jamais de ce dernier un guignol ridicule ou un loser pathétique. Il lui imprègne une grâce, un charisme qui lui donne une aura de martyr compréhensible et éthique, dont l'incommensurable fatigue transmet une certaine admiration...
Ce film magnifique est donc porté par une énergie irrésistible, sans oublier des pauses contemplatives saisissantes. C'est un film porté par un rythme qui semble se modeler sur les appareils médicaux qui boostent la partie cardiaque d'un patient mal en point, on réfléchit puis on nous envoie une dose d'adrénaline réveillant notre attention pour qu'on ne lâche pas cette histoire électrique et belle qui demeure, malgré les éléments habituels des oeuvres de Scorsese, une oeuvre singulière, qui ne ressemble à aucune autre et qui plus est parfaitement interprétée...
Adapté d'un roman de Joe Connelly par un des plus brillants collaborateurs du cinéaste, Paul Schrader himself, on se dit que la mise en chantier de Bringing out the Dead se veut un retour en source new-yorkais depuis The Age of Innocence, cinq plus tôt, (et depuis 1988 avec Schrader) ...
Oeuvre nocturne, avec un personnage déphasé qui cherche la rédemption... Un programme qui semble être étudié pour un cinéaste qui a déjà exercé (brillamment) dans cette voie. Sauf que le présent film est curieusement "discret" lorsqu'on évoque son cinéma.
Ce qui fait la beauté du film, en ce qui me concerne, c'est la force incroyable de la mise en scène. Scorsese, en suivant le parcours d'un ambulancier insomniaque "christique", met en place, à l'instar de Taxi Driver, une vision géographique et sociologique subjective à son protagoniste. Bringing out the Dead est une oeuvre singulièrement intense, ne confondant jamais vitesse et précipitation... Elle est un curieux mélange entre une nostalgie des années 70 dans le sujet et son traitement des années 90, dont l'aboutissement formel qu'était Casino en est un bon représentant...
C'est un film qu'on peut avoir déjà vu mais qui marque l'évolution cinématographique du cinéaste... Le parcours christique de Frank Pierce (Nicolas Cage, dans un de ses plus beaux rôles), dont le métier est évidemment une voie de salut, est renforcé par la rencontre avec Mary (forcément), jouée par une tendre Patricia Arquette... La vision de la ville, métamorphosée par les yeux cernés de notre personnage principal, se transforme en paysage spectral, dont le fantôme d'une morte, avec laquelle il se sent responsable de son état, apparaît inlassablement, accentuant la fatigue morale, plus que physique de Frank.
La ville de New York se définit plus comme le Barnum d'un After Hours, dans lequel le héros tente de soigner les maux, c'est-à-dire d'accepter tous les péchés de ses habitants. L'oeuvre contient de plus des moments d'humour culottés (les personnages secondaires sont frappés de ciboulots), qui fait de ce film, par moments, une comédie noire et cynique survoltée, complètement folle.
Puis Bringing out the Dead, au départ oeuvre de commande, devient un film personnel. Parce que les obsessions du cinéaste sont présentes, mais aussi parce qu'il aborde un élément que le cinéaste a bien connu et qu'il a réussi (semble-t-il) à combattre : la dépression. Le regard que pose Scorsese sur son personnage est compatissant, ne faisant jamais de ce dernier un guignol ridicule ou un loser pathétique. Il lui imprègne une grâce, un charisme qui lui donne une aura de martyr compréhensible et éthique, dont l'incommensurable fatigue transmet une certaine admiration...
Ce film magnifique est donc porté par une énergie irrésistible, sans oublier des pauses contemplatives saisissantes. C'est un film porté par un rythme qui semble se modeler sur les appareils médicaux qui boostent la partie cardiaque d'un patient mal en point, on réfléchit puis on nous envoie une dose d'adrénaline réveillant notre attention pour qu'on ne lâche pas cette histoire électrique et belle qui demeure, malgré les éléments habituels des oeuvres de Scorsese, une oeuvre singulière, qui ne ressemble à aucune autre et qui plus est parfaitement interprétée...

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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Etrangement sous estimé je ne sais pas mais pour moi ce fut un sacré somnifère (comme beaucoup de ses derniers films)
Mais c'est le genre de films auquel je redonnerais volontiers une deuxième chance surtout au vu de tels avis dythirambiques. 


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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Un très grand souvenir alors que je ne suis pas trop friand de Scorsese.
Bizarrement je le trouve plus intéressant que la plupart de ses classiques... Je sais pas si c'est l'ambiance nocturne ou son côté un peu fantastique (par moments), mais c'est un peu le pendant d'After Hours, en plus dramatique.
Bizarrement je le trouve plus intéressant que la plupart de ses classiques... Je sais pas si c'est l'ambiance nocturne ou son côté un peu fantastique (par moments), mais c'est un peu le pendant d'After Hours, en plus dramatique.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
C'est vrai qu'il est un peu sous estimé, il fait parti de mes Scorsese préférés.
Pas évident à voir, il m'a fallu je crois 2 ou 3 visions pour l'apprécier à sa juste valeur.
Le dernier grand film du cinéaste à mes yeux, ce qui a suivi n'est pas mauvais loin de là, mais ça reste en dessous.
Pas évident à voir, il m'a fallu je crois 2 ou 3 visions pour l'apprécier à sa juste valeur.
Le dernier grand film du cinéaste à mes yeux, ce qui a suivi n'est pas mauvais loin de là, mais ça reste en dessous.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
A l'instar de New-York New-York, voici un très bon Scorsese qui me laisse frustré. Formellement, A Tombeau ouvert se situe effectivement à la confluence de la flamboyance scorsésienne des années 1990 et le style sec des années 1970. Là encore, ça dégouline de virtuosité et de fièvre, mais le film n'évite pas, à mon sens, quelques scories : hystérie, narration pas toujours très fluide, situations parfois un peu outrancières... Celles-ci peuvent participer de l'atmosphère frénétique du film, calqué sur la perception insomniaque du personnage superbement campé par un Nicolas Cage plus très frais. Mais ça plombe un peu le film, je trouve. Il faudrait que je le revoie. J'avais assez buté sur cette alternance entre une "simplicité naturaliste et un expressionnisme forcené", comme le dit Michael Henry Wilson, qui, même pertinente, me paraissait aboutir sur un résultat légèrement boursouflé.
Le fait est que, par rapport à un Taxi Driver auquel on pense forcément (Paul Schrader a scénarisé les deux films et Scorsese singe presque le générique de son film palmé dans celui qui nous occupe ici), A Tombeau ouvert est plus décalé. C'est presque une relecture optimiste, vingt ans plus tard. Le film joue souvent sur une forme d'humour ubuesque, avec sa galerie de personnages excentriques plongés dans des situations improbables ; la mise en scène de Scorsese appuie cette dimension en multipliant les cadrages baroques (cf. le plan à 180° incliné à la perpendiculaire qui suit l'ambulance sur une avenue), en jouant sur les accélérés, en découpant furieusement l'action comme dans un cartoon. De sorte que cet objet filmique est assez insolite, et pas forcément évident à appréhender en ce qui me concerne. C'est comme si Scorsese s'amusait à déjouer toutes les attentes. Le résultat est à mon sens un peu bancal mais passionnant. Malgré son postulat et son émouvante première scène d'intervention, je trouve que son film n'est pas tellement mélodramatique : il baigne au contraire dans une sorte de transe burlesque, avec des pauses diurnes d'accalmie développant la relation entre Cage et Arquette. Contrairement aux allusions voilées qui parsemèrent sa filmographie, le parallèle christique tracé par le film est explicité (jusque dans les prénoms des personnages et l'affiche du film) dans une forme d'humour étrange. Le scénario de Schrader inverse en outre celui de Taxi Driver : au lieu de bouillir face à la décrépitude urbaine qu'il serpente, et d'exploser dans la violence, le personnage principal s'abandonne au contraire aux autres, leur prodigue toute sa personne ; l'urbanité lui pèse tout autant mais il trouve son propre salut dans son altruisme, sa compassion. L'apaisement spirituel Kundun étant passé par là, A Tombeau ouvert ne semble pouvoir être, pour Scorsese, un monument de noirceur et de désespoir comme il aurait pu le faire des années auparavant. Son film est chaleureux et humaniste, parfois grandiloquent, et s'achève sur une allégorie mariale pleine de douceur et de réconfort. L'ambulancier Frank Pierce serait un Travis Bickle qui aurait enfin trouvé la paix intérieure dans sa mission salvatrice. Il peut enfin dormir. Dans les bras d'une femme qui peut enfin le comprendre. Rien que pour cette scène finale qui signifie tant de choses pour le cinéaste, le film est indispensable.
Le fait est que, par rapport à un Taxi Driver auquel on pense forcément (Paul Schrader a scénarisé les deux films et Scorsese singe presque le générique de son film palmé dans celui qui nous occupe ici), A Tombeau ouvert est plus décalé. C'est presque une relecture optimiste, vingt ans plus tard. Le film joue souvent sur une forme d'humour ubuesque, avec sa galerie de personnages excentriques plongés dans des situations improbables ; la mise en scène de Scorsese appuie cette dimension en multipliant les cadrages baroques (cf. le plan à 180° incliné à la perpendiculaire qui suit l'ambulance sur une avenue), en jouant sur les accélérés, en découpant furieusement l'action comme dans un cartoon. De sorte que cet objet filmique est assez insolite, et pas forcément évident à appréhender en ce qui me concerne. C'est comme si Scorsese s'amusait à déjouer toutes les attentes. Le résultat est à mon sens un peu bancal mais passionnant. Malgré son postulat et son émouvante première scène d'intervention, je trouve que son film n'est pas tellement mélodramatique : il baigne au contraire dans une sorte de transe burlesque, avec des pauses diurnes d'accalmie développant la relation entre Cage et Arquette. Contrairement aux allusions voilées qui parsemèrent sa filmographie, le parallèle christique tracé par le film est explicité (jusque dans les prénoms des personnages et l'affiche du film) dans une forme d'humour étrange. Le scénario de Schrader inverse en outre celui de Taxi Driver : au lieu de bouillir face à la décrépitude urbaine qu'il serpente, et d'exploser dans la violence, le personnage principal s'abandonne au contraire aux autres, leur prodigue toute sa personne ; l'urbanité lui pèse tout autant mais il trouve son propre salut dans son altruisme, sa compassion. L'apaisement spirituel Kundun étant passé par là, A Tombeau ouvert ne semble pouvoir être, pour Scorsese, un monument de noirceur et de désespoir comme il aurait pu le faire des années auparavant. Son film est chaleureux et humaniste, parfois grandiloquent, et s'achève sur une allégorie mariale pleine de douceur et de réconfort. L'ambulancier Frank Pierce serait un Travis Bickle qui aurait enfin trouvé la paix intérieure dans sa mission salvatrice. Il peut enfin dormir. Dans les bras d'une femme qui peut enfin le comprendre. Rien que pour cette scène finale qui signifie tant de choses pour le cinéaste, le film est indispensable.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Au contraire j'aime beaucoup ses derniers films, mais j'ai un peu la même opinion que toi sur celui-ci. Et je l'ai vu 2 ou 3 fois, dont une il n'y a pas si longtemps.Jeremy Fox a écrit :Etrangement sous estimé je ne sais pas mais pour moi ce fut un sacré somnifère (comme beaucoup de ses derniers films)Mais c'est le genre de films auquel je redonnerais volontiers une deuxième chance surtout au vu de tels avis dythirambiques.
Je n'arrive pas à m’empêcher d'y voir une variation sur le thème de Taxi Driver en plus faible. Et ce à tous point de vus, interprétation, mise en scène, ... Dans ma hiérarchie, c'est un des Scorsese que j'aime le moins, alors que le cinéaste est un de mes favoris.
Ceci étant vos avis sont très intéressants, ça donne envie de s'y replonger tout de mêms.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
6 messages seulement pour ce film ? Les voies Classikiennes sont définitivement impénétrables.
J'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour ce film, mon premier Scorsese vu en salles. Et la révision fut un émerveillement. J'ai beau apprécier les œuvres du cinéaste au cours du XXIe siècle, je vois en Bringing out the Dead son dernier (très) grand film. Un film charnière en pointillés, comme Les nerfs à vif avait pu l'être dans le genre technique cette fois. À l'époque de la sortie, quasiment toutes les critiques (fainéantes, faut le dire) se contentaient de faire des parallèles entre Taxi Driver et cette comédie noire. Mais pour en tirer quelles conclusions ? Que c'était mieux avant ? Certes, le débordement d'énergie fait que certains passages peuvent être un peu bancals (le côté Jukebox par exemple - même si l'utilisation récurrente du T.B. Sheets de Van Morrison compte parmi les grands moments musicaux scorsesiens à mes oreilles), là où l'étendard du Nouvel Hollywood est traversé d'une constance souveraine. Mais même si je reste un amoureux des virées nocturnes de Travis Bickle, le film de 1999 se démarque tellement dans le ton, dans le point de vue sur le monde, dans son appréciation empathique... qu'on ne peut décemment en rester là. Scorsese n'est plus ce jeune homme seulement connecté au monde par le cinéma. Il a du vécu, entre autres l'expérience du deuil, les dépressions et les séjours à l'hôpital. En résulte un film étrangement apaisé, parcouru d'une énergie un peu punk, mais in fine cherchant la douceur, l'apaisement et la connexion à l'autre. Tout ce qui a valeur humaine donc, et qui reste commodité rare à NYC. Une New York pré-Giuliani ("ce film se déroule au début des années 90" promet le carton introductif), au moment où Hell's Kitchen devient Clinton la gentrifiée, mais avant les attentats du 11 septembre. On note d'ailleurs l'habileté du cinéaste, qui parvient à habiller son film et le rendre crédible avec finalement une quantité relativement faible de plans larges posant l'environnement. Parce qu'ici plus qu'ailleurs chez Scorsese, le gros plan règne en maître, mettant à l'honneur le regard cadavérique de Nicolas Cage, digne d'un Nosferatu inversé (il est vampirisé, investi par toute la douleur du monde, mais il la garde pour lui - et c'est bien là le problème de Frank Pierce). Kundun est bien évidemment passé par là, et en revenant en terres familières, Scorsese en écoule les principes nouvellement acquis au sein d'un enfer urbain qu'il cherche à investir de positivisme. D'où le plan final en pieta, certainement une des plus belles compositions ET conclusions de film chez Scorsese, toutes époques confondues.
Il est à noter (les échecs public et critique expliquant sans doute cela) que Scorsese, à l'époque nouvellement père de famille et révulsé par l'apex de violence qu'il avait atteint à la fin de Casino, reviendra par la suite à des affaires faisant un peu fi de cet apaisement. Sa colère légitime suite au 9/11 et à l'invasion de l'Irak iront directement nourrir des monuments de noirceur comme Les infiltrés ou Shutter Island, dont l'italo-américain catholique déclare à chaque fois "c'est le dernier" ou "ce film a failli avoir ma peau". À tombeau ouvert ne se voile jamais la face, il regarde cette même laideur droit dans les yeux. Mais cette fois, ce que le cinéaste choisit d'en retirer est d'une beauté qui réchauffe le cœur.
For the record, j'étais très amusé d'y retrouver Michael Kenneth Williams et Sonja Sohn en mode pré-The Wire dans des petits rôles !
J'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour ce film, mon premier Scorsese vu en salles. Et la révision fut un émerveillement. J'ai beau apprécier les œuvres du cinéaste au cours du XXIe siècle, je vois en Bringing out the Dead son dernier (très) grand film. Un film charnière en pointillés, comme Les nerfs à vif avait pu l'être dans le genre technique cette fois. À l'époque de la sortie, quasiment toutes les critiques (fainéantes, faut le dire) se contentaient de faire des parallèles entre Taxi Driver et cette comédie noire. Mais pour en tirer quelles conclusions ? Que c'était mieux avant ? Certes, le débordement d'énergie fait que certains passages peuvent être un peu bancals (le côté Jukebox par exemple - même si l'utilisation récurrente du T.B. Sheets de Van Morrison compte parmi les grands moments musicaux scorsesiens à mes oreilles), là où l'étendard du Nouvel Hollywood est traversé d'une constance souveraine. Mais même si je reste un amoureux des virées nocturnes de Travis Bickle, le film de 1999 se démarque tellement dans le ton, dans le point de vue sur le monde, dans son appréciation empathique... qu'on ne peut décemment en rester là. Scorsese n'est plus ce jeune homme seulement connecté au monde par le cinéma. Il a du vécu, entre autres l'expérience du deuil, les dépressions et les séjours à l'hôpital. En résulte un film étrangement apaisé, parcouru d'une énergie un peu punk, mais in fine cherchant la douceur, l'apaisement et la connexion à l'autre. Tout ce qui a valeur humaine donc, et qui reste commodité rare à NYC. Une New York pré-Giuliani ("ce film se déroule au début des années 90" promet le carton introductif), au moment où Hell's Kitchen devient Clinton la gentrifiée, mais avant les attentats du 11 septembre. On note d'ailleurs l'habileté du cinéaste, qui parvient à habiller son film et le rendre crédible avec finalement une quantité relativement faible de plans larges posant l'environnement. Parce qu'ici plus qu'ailleurs chez Scorsese, le gros plan règne en maître, mettant à l'honneur le regard cadavérique de Nicolas Cage, digne d'un Nosferatu inversé (il est vampirisé, investi par toute la douleur du monde, mais il la garde pour lui - et c'est bien là le problème de Frank Pierce). Kundun est bien évidemment passé par là, et en revenant en terres familières, Scorsese en écoule les principes nouvellement acquis au sein d'un enfer urbain qu'il cherche à investir de positivisme. D'où le plan final en pieta, certainement une des plus belles compositions ET conclusions de film chez Scorsese, toutes époques confondues.
Il est à noter (les échecs public et critique expliquant sans doute cela) que Scorsese, à l'époque nouvellement père de famille et révulsé par l'apex de violence qu'il avait atteint à la fin de Casino, reviendra par la suite à des affaires faisant un peu fi de cet apaisement. Sa colère légitime suite au 9/11 et à l'invasion de l'Irak iront directement nourrir des monuments de noirceur comme Les infiltrés ou Shutter Island, dont l'italo-américain catholique déclare à chaque fois "c'est le dernier" ou "ce film a failli avoir ma peau". À tombeau ouvert ne se voile jamais la face, il regarde cette même laideur droit dans les yeux. Mais cette fois, ce que le cinéaste choisit d'en retirer est d'une beauté qui réchauffe le cœur.
For the record, j'étais très amusé d'y retrouver Michael Kenneth Williams et Sonja Sohn en mode pré-The Wire dans des petits rôles !
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Je suis tout à fait d'accord El Dadal! 


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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Oui! Je suis d'accord!El Dadal a écrit :D'où le plan final en pieta, certainement une des plus belles compositions ET conclusions de film chez Scorsese, toutes époques confondues.
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- odelay
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Dans la rubrique «on peut peut-être le placer dans un dîner », le titre du film vient de là (je ne plaisante pas)
Dernière modification par odelay le 26 juil. 20, 18:45, modifié 1 fois.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
.
Dernière modification par 7swans le 16 déc. 24, 21:17, modifié 1 fois.
Point.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
J'avais beaucoup aimé ce Scorsese, au point de compter parmi mes préférés, découvert il y a quelques années dans une qualité stream bofbof, j'ai depuis acheté le DVD mais pas encore revu et ça ne saurait tarder j'y pense régulièrement. En revanche, bien qu'appréciant toutes les restaurations que j'ai pu voir en BR jusqu'à maintenant, bizarrement j'ai un doute sur l'intérêt et les conséquences d'appréciation concernant A tombeau ouvert...7swans a écrit :Moi je veux un Blu-Ray.
Dans mon souvenir, c'est dans celui-ci que Scorsese expérimente pas mal niveau montage/effets et se met sur la voie de ce qu'on retrouvera par la suite dans Gangs of New York (que j'ai du mal à apprécier à cause de cet esthétique justement).
"Puisqu'il y a des hommes qui s'unissent pour faire le mal, pourquoi n'y en auraient ils pas qui s'unissent pour faire le bien ?"
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Pareil, un des très rares Scorsese à ne pas avoir eu droit à la HD. Revu en DVD, ça passe de justesse, et encore parce que j'ai une vieille 42".Papus a écrit :J'avais beaucoup aimé ce Scorsese, au point de compter parmi mes préférés, découvert il y a quelques années dans une qualité stream bofbof, j'ai depuis acheté le DVD mais pas encore revu et ça ne saurait tarder j'y pense régulièrement. En revanche, bien qu'appréciant toutes les restaurations que j'ai pu voir en BR jusqu'à maintenant, bizarrement j'ai un doute sur l'intérêt et les conséquences d'appréciation concernant A tombeau ouvert...7swans a écrit :Moi je veux un Blu-Ray.
Dans mon souvenir, c'est dans celui-ci que Scorsese expérimente pas mal niveau montage/effets et se met sur la voie de ce qu'on retrouvera par la suite dans Gangs of New York (que j'ai du mal à apprécier à cause de cet esthétique justement).
Sinon, pas trop d'accord avec Papus. C'est justement parce que la photo de ce film est spéciale qu'il faut y mettre le paquet. On y trouve un peu les même halos et la lumière blafarde et spectrale que Robert Richardson utilisait déjà sur JFK et Nixon.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Vu à 12 ans dans mon cinéma de banlieue, ce fut un de mes premiers -sinon le premier- chocs cinématographiques.
À l’époque je connaissais vaguement Scorsese de nom, mais n’ayant rien vu de lui auparavant je n’avais aucune attente. J’avais bien sûr vu des grands films avant, mais c’est la première fois que j’ai compris à quel point un mouvement de caméra, un montage, un jeu d’acteur, pouvait faire passer de l’émotion. J’en étais sorti remué avec le besoin de parler de mon expérience.
Je ne l’ai pas revu depuis, et peut-être devrais-je le laisser là où il est dans mes souvenirs. En le comparant à d’autres Scorsese plus réputés, ce serait peut-être la douche froide. Mais en attendant, je garde une affection particulière pour ce Bringing out the dead.
À l’époque je connaissais vaguement Scorsese de nom, mais n’ayant rien vu de lui auparavant je n’avais aucune attente. J’avais bien sûr vu des grands films avant, mais c’est la première fois que j’ai compris à quel point un mouvement de caméra, un montage, un jeu d’acteur, pouvait faire passer de l’émotion. J’en étais sorti remué avec le besoin de parler de mon expérience.
Je ne l’ai pas revu depuis, et peut-être devrais-je le laisser là où il est dans mes souvenirs. En le comparant à d’autres Scorsese plus réputés, ce serait peut-être la douche froide. Mais en attendant, je garde une affection particulière pour ce Bringing out the dead.
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Re: A tombeau ouvert (Martin Scorsese - 1999)
Il existe en HD sur Amazon Prime US. L'image est satisfaisante, pas remastérisée, mais tout à fait correcte.El Dadal a écrit :Pareil, un des très rares Scorsese à ne pas avoir eu droit à la HD. Revu en DVD, ça passe de justesse, et encore parce que j'ai une vieille 42".Papus a écrit : J'avais beaucoup aimé ce Scorsese, au point de compter parmi mes préférés, découvert il y a quelques années dans une qualité stream bofbof, j'ai depuis acheté le DVD mais pas encore revu et ça ne saurait tarder j'y pense régulièrement. En revanche, bien qu'appréciant toutes les restaurations que j'ai pu voir en BR jusqu'à maintenant, bizarrement j'ai un doute sur l'intérêt et les conséquences d'appréciation concernant A tombeau ouvert...
Dans mon souvenir, c'est dans celui-ci que Scorsese expérimente pas mal niveau montage/effets et se met sur la voie de ce qu'on retrouvera par la suite dans Gangs of New York (que j'ai du mal à apprécier à cause de cet esthétique justement).
Sinon, pas trop d'accord avec Papus. C'est justement parce que la photo de ce film est spéciale qu'il faut y mettre le paquet. On y trouve un peu les même halos et la lumière blafarde et spectrale que Robert Richardson utilisait déjà sur JFK et Nixon.