Le Train sifflera trois fois (High Noon , 1952) de Fred Zinnemann
STANLEY KRAMER PRODUCTIONS
Avec Gary Cooper, Grace Kelly, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges, Lee Van Cleef, Otto Kruger, Katy Jurado, Lon Chaney Jr, Henry Morgan
Scénario : Carl Foreman
Musique : Dimitri Tiomkin
Photographie : Floyd Crosby
Une production de Stanley Kramer
Sortie USA : 24 juillet 1952
S’il est une chose que l’on ne peut pas enlever au
Train sifflera trois fois, c’est d’avoir en quelque sorte adoubé le genre auquel il fait partie auprès des critiques et spectateurs du monde entier qui, pour la plupart, se sont extasiés à son propos. Un génial concours de circonstances (le film est arrivé à un moment propice et le public lui a fait une immense ovation malgré le climat de suspicion qui régnait à l’époque) pour au final un western à l’inhabituelle notoriété excepté en France où beaucoup firent au départ la fine bouche avant de suivre le mouvement.
La Chevauchée fantastique (Stagecoach) avait amorcé la pompe de la reconnaissance en 1939 mais c’est bien le film de Fred Zinnemann qui aura entériné la chose, donnant une définitive légitimité au western, considéré depuis comme un genre pouvant prétendre être aussi adulte et sérieux que n'importe quel autre (les années suivantes allant enfoncer le clou). En ce sens, il mérite effectivement sa place d’une importance capitale dans l’histoire du western et du cinéma. Que les amoureux du film se rassurent, la seule incursion de Zinnemann au sein du western (il y aura néanmoins également la comédie musicale
Oklahoma qui prendra sa place au sein de ce parcours) n’aura pas à pâtir de mon ressenti très négatif à son encontre puisque dans l’ensemble il a fait et fera encore le consensus autour de lui, restera toujours l'un des westerns les plus renommés qui soit. D’ailleurs, il est dit qu’il s’agirait aussi du western américain classique préféré de ceux qui n’apprécient pas forcément le genre ; tranquillisez-vous à nouveau, ce n'est pas pour aller bêtement à l’encontre de cette assertion ou tout simplement l’inverser que je le critiquerais en mal ; car au vu de ce que j’ai pu lire ici et là, même parmi les aficionados du genre, une immense majorité le porte également au pinacle. Ceci étant dit, remémorons nous l’histoire de ce grand classique, voyons par quel biais Carl Foreman a pu pondre un pamphlet antimaccarthyste alors qu’il n’en avait pas du tout été question dans le scénario initial.

Un matin de juin 1875 dans l'état de New Mexico. A 10.30, dans la petite bourgade d'Hadleyville, le Marshall Will Kane (Gary Cooper) vient de passer l’alliance au doigt d’une jeune et jolie Quaker, Amy (Grace Kelly). Alors qu'au grand soulagement de son épouse non-violente, il doit raccrocher ses armes et rendre son insigne étoilée le soir même, Will apprend l’imminent retour en ville de Frank Miller (Ian McDonald), un bandit qu’il avait jadis arrêté et envoyé en prison pour cinq ans. Miller est en route pour Hadleyville avec la ferme intention de régler son compte à celui qui l'a conduit sous les verrous ; il doit d’ailleurs arriver par le train de midi tapante (High Noon) ; trois de ses complices viennent l'attendre à la gare pour le soutenir dans sa vengeance. Alors qu'ils s'étaient néanmoins décidés à partir pour ouvrir une boutique dans une bourgade voisine, le couple fait demi-tour, Will ne pensant pas pouvoir commencer une nouvelle vie sans s'être débarrassé de celui dont il pense qu'il le retrouvera où qu'il aille. Malgré les supplications de sa jeune épouse, Kane est déterminé à attendre de pied ferme Miller et ses complices ; il tente de recruter des hommes auprès des habitants de la ville. Mais, l'un après l'autre, chacun a une bonne excuse pour se dérober et refuser de lui venir en aide. C’est donc seul qu’il devra livrer le combat face aux quatre hommes. La tension et le danger s'accroissent de minute en minute…

En 1969, lors d’un entretien avec Bertrand Tavernier pour le N°102 de Positif, Carl Foreman décrivait ainsi la genèse de son scénario pour
High Noon : "
Au début, quand j'ai écrit le scénario, je voulais en faire une parabole sur l'ONU. Mais tout à coup, la menace de la Commission des Activités Anti-américaines s'est précisée. Ils se dirigeaient vers Hollywood [ ...] Et la peur a commencé à grandir, une peur insidieuse qui envahit peu à peu toute la ville. J'ai décidé alors de changer d'optique et d'écrire une parabole sur Hollywood et la maccarthysme. Pendant la fabrication du film, je reçus un petit papier rose me convoquant devant la commission et je me suis trouvé rapidement dans la situation de Gary Cooper. Mes amis m'évitaient. Quand je voulais voir quelqu'un, il n'était pas là... je n'ai plus eu qu'à transposer certains dialogues dans un cadre de western pour obtenir High Noon". C’est tout à son honneur d’avoir voulu écrire un salutaire et virulent pamphlet contre la chasse aux sorcières qui sévissait alors, contre la lâcheté d'une partie de ses concitoyens et amis. Foreman était d’ailleurs tellement motivé par son sujet qu’il voulait même au départ le réaliser mais le studio refusa. Il offrit alors le bébé à son ami Richard Fleischer qui dut décliner pour cause de préparation d’un film qu’il allait tourner pour les studios Disney et qui ne serait autre que
20.000 lieues sous les mers avec Kirk Douglas. Gregory Peck refusa de son côté d’endosser la défroque de Kane prétextant avoir déjà tenu un rôle semblable dans
La Cible humaine (The Gunfighter) de Henry King ; il eut peut-être plutôt peur d’un deuxième bide de la même ampleur,
High Noon devant être lui aussi un western psychologique à petit budget. On le proposa donc à Gary Cooper qui tomba amoureux du rôle au point d’accepter de n’être payé que le quart de son salaire habituel. Anecdote amusante ; l'acteur n’aurait jamais vu dans ce film l'allégorie politique qu’il était censé être ; alors, info ou intox ? Il faut dire à sa décharge qu’il n’y a pas besoin de s’en rendre compte pour apprécier ou non le film, l'histoire pouvant parfaitement bien fonctionner au premier degré.
Quoi qu'il en soit c’est donc à Fred Zinnemann qu’échut le film. Le cas de ce réalisateur m’est un peu curieux. Paradoxalement, ce sont ses deux films les plus célèbres que je trouve les moins intéressants et les moins réussis (outre
High Noon, l'insipide
Tant qu’il y aura des hommes) alors que parmi ses films moins connus se cachent de petites pépites telles
La Septième croix (The 7th Cross) ou encore
Acte de violence (Act of violence), ce dernier déjà écrit par Carl Foreman, scénariste qui ensuite ne fera plus grand-chose de bon, ces derniers travaux étant même assez désastreux ; qu’on se souvienne de ceux réalisés par Jack Lee Thompson :
Les Canons de Navarone ou, pire encore,
L’or de MacKenna. Pour en revenir au film qui nous intéresse, que ce soient Fred Zinnemann ou Carl Foreman, j'estime que les deux auteurs sont aussi fautifs l'un que l'autre quant à la très mauvaise impression qu'il m'a faite. Dans tous les points positifs pointés ici et là, je n’y vois au contraire que des défauts. A moi de justifier maintenant ce qui me fait le trouver aussi raté et surtout foncièrement ennuyeux. Mais avant tout, même si je comprend sans problème qu'on puisse trouver ce film génial, il ne faudrait pas le surévaluer à coups de faux arguments comme l'a fait Leonard Maltin par exemple. Quels étaient-ils quant il affirmait que
High Noon se démarquait complètement des westerns de l'époque ?
1- Que d’une part le héros admet avoir peur.
2- Que le film ne comporte que très peu de scènes d’action.
3- Qu’il soit tourné en noir et blanc ce qui était rarissime en 1952.
4- Qu'il ait une bande son dépouillée (sic !)
1- Des héros de westerns admettant avoir peur : soit, il n'y en eut peut-être pas encore énormément avant Will Kane mais au moins un célébrissime quand même, le soldat joué par Audie Murphy dans
The Red Badge of Courage de John Huston (d'ailleurs à propos de la modernité de la réalisation sans cesse mise en avant lorsqu'est évoqué
High Noon, comparativement à celle du Huston, celle du film de Zinnemann ne lui arrive pas à la cheville). Mais il y eut aussi quelques mois avant
High Noon, Rod Cameron dans
Fort Osage sauf que cette série B n'a du être vu que par quelques aficionados et que son acteur principal n'était pas forcément une grande star. 2- Des westerns avec aussi peu de scènes d'action, il y en a déjà eu avant lui à la pelle aussi ; sortir cet argument relève à mon sens d'une certaine méconnaissance du genre. Et d'ailleurs, il n'en fallait pas plus dans
High Noon car les deux que nous y trouvons sont loin d'être enthousiasmantes techniquement parlant et notamment le combat à poings nus mis en scène sans vigueur ni génie. A sa vision, je m'étonne encore que beaucoup parlent de réalisation parfaite (André de Toth pouvant le confirmer ayant filmé des scènes de ce style avec autrement de punch et de vitalité). 3- Qu'il soit tourné en noir et blanc relève plus d'une question de restriction budgétaire qu'autre chose ; et d'ailleurs nous pourrions trouver également maints autres exemples de westerns en noir et blanc datant de ces années ; ce qui ne veut absolument rien dire quant à la qualité ou non d'un film. 4- Le pompon va néanmoins à la bande son dépouillée alors que la musique assez pénible de Dimitri Tiomkin (et je ne parle pas que de la répétition jusqu'à plus soif du thème de la chanson de Ned Washington, '
Do not forsake me oh my darling') est omniprésente et même totalement envahissante. Bref, cette mini démonstration pour illustrer que rien que par rapport à Maltin, on peut très facilement contrer ses quatre arguments. Mais élargissons un peu le sujet !

On le sait depuis longtemps, les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films. Trop préoccupés par leur volonté de démonstration (un peu systématique et répétitive), les auteurs en ont oublié de donner chair et sang à leurs personnages et, pire encore, de donner tout simplement de la vie à leur film qui s’en trouve du coup totalement dépourvu. La direction d'acteur est la première blâmable ; malgré un casting 4 étoiles, hormis Gary Cooper qui porte le film sur ses épaules (même s'il a été bien plus inspiré par ailleurs), on a l'impression de voir un défilé de marionnettes venant faire leur tour et s'en allant, tous les seconds rôles déclamant leurs dialogues avec théâtralité et force grimaces quant ils ne se révèlent pas au contraire tout bonnement transparents (pauvre Grace Kelly dont le personnage s'avère on ne peut plus sacrifié). Une star qui fait ce qu'il peut pour nous faire vibrer au milieu de pantins inertes ou au contraire se démenant comme de beaux diables pour un résultat peu convaincant. La mise en scène proprement dite a aussi sa part de responsabilité. Stylistiquement, le film apparaît très bancal : on a l'impression que le film a été réalisé par deux cinéastes, comme si Joseph Kane et Samuel Fuller avaient filmés simultanément une scène sur deux ; ce qui lui donne un aspect très mal équilibré, peu harmonieux, passant continuellement de séquences d'une platitude absolue à des plans ou des idées de mise en scène effectivement très modernes mais qui semblent venir comme un cheveu sur la soupe et paraissant du coup totalement artificiels. Soit il aurait fallu être austère et rigoureux de bout en bout comme avait su si bien le faire William Wellman avec
The Ox-Bow Incident (western au moins aussi courageux d'ailleurs), soit foncer tête baissée dans le baroquisme grandiloquent comme Samuel Fuller le fera dans
Forty Guns (40 tueurs) un peu plus tard. Cette trop grande disparité stylistique, de la fadeur à l'artifice, nuit à mon avis grandement au film : rigorisme et modernité ne font pas forcément bon ménage au sein d'un même film.

Quant à l'idée de départ, elle était plus qu'honorable mais malheureusement l'écriture est malhabile, le scénario trop didactique (on a droit dès le début à une parabole -au travers une histoire que raconte un habitant- sur ce qui va arriver par la suite comme si nous serions trop bête pour comprendre sans cette explication) et pesant notamment au travers de son découpage qui me semble aujourd'hui avoir horriblement mal vieilli tout comme le montage (pourtant louangé et même récompensé aux Oscars) franchement démonstratif et calamiteux ; on passe d'un lieu à l'autre, d'un personnage à l'autre sans liant, brusquement et sans apparemment avoir réfléchi à des idées de raccords (serait-ce la faute à Stanley Kramer qui y a grandement participé ? Les horloges ont-elles plus de temps de présence que n'importe quel second rôle ?) Que l'on analyse le phénomène de foule alors qu'elle devient hystérique ou au contraire qu'elle se taise et se terre par peur, le résultat est le même : un mort en résultera presque à coup sûr ! Ici on aura un lynchage (
Fury de Fritz Lang,
The Ox-Bow Incident de William Wellman ou
L'Intrus de Clarence Brown), là 'l'assassinat' de celui que l'on abandonne à son triste sort sans lui porter secours comme dans
Le train sifflera trois fois. Bref, tout ça pour dire qu'il n'y a pas plus de courage à montrer une foule silencieuse et lâche qu'une foule prise dans l'engrenage de la violence et qu'il faut peut-être un peu minimiser la réputation du film de Zinnemann quant à sa hardiesse polémiste comme si elle n'avait jamais eu de précédent. On s'est aussi extasié sur le déroulement de l'histoire en temps réel avec unité théâtrale de lieu : qu'on se souvienne qu'il y eut quand même, autrement plus puissants dramatiquement parlant,
Nous avons gagné ce soir (The Set-up), l'un des plus beaux films de Robert Wise et, dans le domaine du western, le superbe
La Cible humaine signé Henry King bien plus passionnant et surtout émouvant là où
High Noon n'arrive pas à nous faire vibrer pour son héros dont on se demande d'ailleurs longtemps pourquoi il n'a pas obéi aux conseils de s'en aller loin d'ici aux côtés de sa chère et tendre épouse.

La thématique est néanmoins intéressante, on ne peut pas le nier. Le vieux professionnel intègre se trouvant lâché par ses concitoyens pusillanimes, veules et mesquins, lui préconisant de partir de la ville pour faire fuir dans le même temps les hommes qui sont à ses trousses, faisant par la même occasion se déplacer la violence dans un autre endroit. Un homme honnête et intransigeant se retrouvant seul face aux habitants d'une ville en proie à l'angoisse, ces derniers prêts à tout pour retrouver la tranquillité y compris sacrifier le représentant de la loi qu'ils avaient eux-mêmes élu pour avoir quelques années plus tôt réussi à instaurer la paix dans ce même patelin. Si j'ai été aussi sévère, c'est peut-être aussi en raison de sa réputation et également parce qu'il avait tout pour me plaire : j'aurais tant voulu l'aimer ! Car malgré l'ennui qui ne m'a presque pas quitté une seule minute, j'ai pu y puiser quelques motifs de réjouissances même s'ils furent bien frugaux : quelques secondes assez touchantes lors du mariage (notamment la complicité qui lient les deux époux et leurs sourires de connivence) et surtout le splendide mouvement de grue ascendant qui isole Gary Cooper au milieu des rues de la ville désertée. Sans ça, un western que j'ai trouvé hiératique, sentencieux, mécanique et parfois anémié, incapable de gérer un rythme.

Mais nous aurons l'occasion d'aborder de nouveau ce film plus tard, quant il sera nécessairement mis en comparaison avec d'autres dont des paraboles sur le maccarthysme moins solennelles et surtout beaucoup plus fortes dramatiquement parlant :
Silver Lode (Quatre étranges cavaliers) de Allan Dwan par exemple ou
Johnny Guitar de Nicholas Ray. Des histoires assez approchantes donnèrent également lieu à de petites pépites :
Riding Shotgun de André De Toth,
A Lawless street de Joseph H. Lewis et à des chefs d'œuvre :
3.10 pour Yuma de Delmer Daves ou
Decision at Sundown de Budd Boetticher. Il est permis aussi de lui préférer son remake version science-fiction :
Outland de Peter Hyams avec Sean Connery. Mais nous nous égarons dans le futur. Revenons en à l'année 1952 où il fut néanmoins très bon de trouver sur les écrans américains, en pleine chasse aux sorcières, un western libéral et progressiste.
Bon, les fans du film, vous ne m'abandonnerez pas pour si peu ? Un petit passage aux goudrons et aux plumes et on oublie tout hein ?
