Selon l'année Imdb (et non les sorties françaises en 2010).

1. The Ghost Writer – Roman Polanski
Il suffit d'un brouillard insulaire, d'un bunker-aquarium ou d'un jardinier-Sisyphe tout droit sorti de chez Ionesco pour déceler dans ce magistral thriller, vénéneux, racé, maîtrisé jusqu'au vertige, la marque de son auteur. Comme Trelkovsky autrefois, le héros-fantôme suit jusqu'à l'évaporation une trajectoire qui redouble le monde réel de son envers paranoïaque, et de perspectives métaphysiques. Soit, derrière un divertissement de toute première classe, l'oeuvre d'un auteur unique.
2. Oncle Boonmee, Celui qui se souvient de ses vies antérieures – Apichatpong Weerasethakul
Un buffle absorbé par la touffeur tropicale de la jungle à l'heure du loup ; un singe-spectre dont le regard phosphorescent laserise le spectateur ; une princesse défigurée qui s'abandonne aux flots sensuels d'un torrent... Le chaman Weerasethakul ouvre la fenêtre du multivers. Sa Palme d'Or est un sésame ensorcelant aux reflets fauves de pulsions d’harmonie, un flot perceptif abolissant les frontières entre les mondes, le tangible et l’intangible, l’homme et l’animal, la vie et la mort.
3. Mystères de Lisbonne – Raoul Ruiz
Peut-être l'avertissement est-il de mise avant de s'aventurer dans les méandres picaresques, proustiennes, de cette étourdissante saga romanesque - on risque de ne pas en sortir. Organisant un foisonnement narratif gigogne, jamais repu, Ruiz orchestre son tourbillon de masques et de voltes, de fictions et d'identités, tel un enveloppant mille-feuilles battant le cœur d'une vie rêvée, sous l'égide du rêve, de l'imaginaire et de la mort. On n'est pas loin d'Il était une fois en Amérique.
4. La Dernière Piste – Kelly Reichardt
Il faut un sacré tempérament, un courage sans faille, et le talent qui suit, pour oser cela aujourd'hui. Soit un western minimal, hellmanien, réduit à ses composantes essentielles : trois roulottes, trois couples, deux guides, et toute la conquête de l'Ouest à travers eux. D'une pureté idéale, métaphorique mais vivant de toutes ses pores (vent, sable, rochers), c'est une allégorie fascinante sur la communauté, l'évolution idéologique, la peur et le pouvoir. Un coup de maître.
5. Entre Nos Mains – Mariana Otero
Chronique d'une aventure ordinaire et pourtant admirable, élevée par la magie du regard et la conviction de ceux qui la vivent en utopie magnifique. Au diktat de la réalité économique, les employé(e)s d'une PME sous perfusion opposent une volonté de fer, un enthousiasme nourri d'optimisme, qui transforme leur aventure sociale et collective en ode à la persévérance. Et voilà comment le quotidien est réenchanté avec les couleurs du merveilleux.
6. Incendies – Denis Villeneuve
Villeneuve se confronte à la tragédie et au mythe, et sans craindre le mélo outrancier tire un film d'une force brute qui interroge l'exil, la privation du passé, la quête de soi-même, des ses racines, de son histoire, de sa famille et de son identité à travers une démarche rédemptrice – renvoyant évidemment au chaos d'un pays déchiré. Nécessité de la transmission, don de la mémoire d'une mère à ses enfants, lien filial et fraternel y dessinent les lignes d'une œuvre très émouvante.
7. Toy Story 3 – Lee Unkrich
Pixar remonte aux sources et boucle la boucle. L'adieu à son titre-phare s'effectue les larmes aux yeux, littéralement – celles des jouets, des enfants qui n'en sont plus, des spectateurs qui ont vécu avec eux. L'heure est au chagrin résigné, tandis que ses héros prennent acte de leur condition, à moins que le sourire et la permanence de l'enfance (la fillette, pur trésor) ne viennent réenchanter le monde pour un dernier tour de manège.
8. Another Year – Mike Leigh
Mary et sa dépression chronique qu'elle subit sans comprendre, Ronnie, muet et hagard, aux traits émaciés à la Willie Nelson et aux "Yeah" taciturnes... Deux très beaux personnages parmi d'autres : le nouveau chapitre du tableau du désarroi social dressé par Mike Leigh est une poignante chronique des quatre saisons, qui ménage la générosité et l'humanisme et s'interroge sur les limites de l'altruisme, la porosité de la détresse et la préservation du bonheur.
9. Vous Allez Rencontrer un Bel et Sombre Inconnu – Woody Allen
Woody Allen plus cruel et incisif que jamais. Tels des fétus de paille ballotés par le destin, ses personnages se piègent malgré eux dans la nasse de leurs illusions. Cette ronde triste et émouvante est une oeuvre mélancolique et désenchantée, dispensant un humour amer face à l'ironie de nos aspirations si dérisoires. La (fausse) comédie est à la fois cocasse de lucidité rieuse, et très émouvante dans sa bienveillance affligée.
10. Carlos – Olivier Assayas
Près de trois heures compactées, ultra-denses, multipliant les changements d'axe et les bifurcations inattendues pour mieux dresser le portrait d'un homme aux motivations insaisissables, à la fois histrion arrogant et héraut de l'utopie anticapitaliste. Assayas dissèque le mythe du combattant révolutionnaire porté par ses idéaux, dresse la vue en coupe d'une nébuleuse obscure, sur plus de trente années : celle des accointances entre politique, économie et terrorisme. Soufflant.
Sur le banc : The American (Anton Corbijn), Carancho (Pablo Trapero), Comment Savoir (James L. Brooks), Copie Conforme (Abbas Kiarostami), The Myth of the American Sleepover (David Cameron Mitchell)...