Le Bandit Amoureux (The Kissing Bandit, 1948) de Laslo Benedek
MGM
Sortie USA : 18 novembre 1948
Vous l’attendiez tous… mais rassurez-vous, je ne serais pas long !

Les amateurs de westerns traditionnels peuvent me huer d’avoir intégré cette comédie musicale au sein de cette rétrospective d’autant que sa réputation est franchement exécrable, Sinatra lui-même s’étant fait le porte-parole de cette désastreuse notoriété quant il s’amusait à dire qu’il s’agissait du pire film du monde. Peut-être en avait-il assez d’endosser toujours les mêmes rôles, ceux de personnages naïfs, benêts et timides avec les femmes ? La goutte qui a fait déborder le vase ? Quoiqu’il en soit, il y eut
Harvey Girls quelques pages auparavant en l'année 1946 et il y en aura encore environ six ou sept autres d’ici la fin du parcours ; pas à proprement parler des westerns mais des films dont le background leur est totalement assimilé.
The Kissing Bandit est encore plus à part puisque se déroulant en Californie, Etat bien évidemment à l'Ouest mais pas spécialement 'westernien' ; ayant fait entrer Zorro parmi les grands héros du western (voir à ce sujet l’avis sur
The Sign of Zorro de Rouben Mamoulian), pourquoi ne pas aborder aussi ce qui se révèle être une sorte de parodie de cette histoire de vengeur masqué ? Ce qui est fait ici, Phil Hardy et Jean-Louis Rieupeyrout eux-mêmes m’ayant précédé en le citant également dans leurs anthologies. Ils n'avaient qu'à pas commencer !
Même si Rieupeyrout dans ‘
La Grande aventure du western’ parle à son propos du "
film le plus ambitieux de cette catégorie des ‘Musical Westerns’ " (sic !),
The Kissing Bandit est au contraire réputé comme excessivement médiocre faute à la ‘bêtise du scénario’. Tout ceci est évidemment très excessif car la comédie musicale n’a pas été spécialement avare d'intrigues idiotes et celle qu’Isobel Lennart (auteur par la suite des scénarios plus qu’estimables de
Ville Haute, Ville Basse - East Side, West Side deMervyn LeRoy ou de
Les Pièges de la Passion - Love me or Leave me de Charles Vidor) a écrite pour ce film ne l’est pas plus qu’une multitude d’autres ; il se révèle même parfois assez réjouissant si on veut bien considérer d’emblée qu’il s’agit avant tout d’une bouffonnerie qui se veut comme telle de bout en bout ; il n’y a qu’à voir le maquillage très clownesque de Carrol J. Naish, méconnaissable par le fait d’être affublé d’un énorme pif, pour en être presque certain. Alors ne cherchons pas midi à quatorze heures, nous ne sommes là que pour de la détente pure et dure !

C'est l'histoire de Ricardo (Frank Sinatra), un étudiant bostonien en hôtellerie qui revient succéder à son père défunt pour tenir l'auberge familiale ; mais ce qu'il ignorait c'est que ce travail n’était qu’un à-côté pour son père qui était surtout réputé pour être dans le même temps un bandit de grand chemin, 'The Kissing Bandit'. Et ici, en Californie, on attend surtout Ricardo dans ce rôle, Chico (J. Carrol Naish) se débrouillant très bien tout seul avec la clientèle de la taverne. Gauche et timide, notre jeune homme d'abord réticent, accepte de remplacer son célèbre paternel dans le but de ravir aux jeunes filles tous les baisers qu'il pourra puisque, comme son pseudonyme l’indique, la signature du hors-la-loi consistait à ne pas quitter les lieux de ses méfaits sans s’être rassasié aux lèvres de la gent féminine présente sur place. Mais Ricardo, n’ayant aucune expérience des femmes, tombera amoureux de la première rencontrée, Teresa (Kathryn Grayson), la fille de Don Jose (Mikhail Rasumny), le gouverneur de la province. Après l’avoir sauvée de la mort alors que la diligence s’était mise à caracoler dangereusement, Ricardo, au grand dam de la demoiselle, n’ose même pas l’embrasser. Alors que toutes ses demoiselles de compagnie se vantent d’avoir subi l’outrage suprême et délicieux, elle enrage de n’avoir pas pu goûter aux délices du desperado, autant redouté par les maris qu’ardemment attendu par leurs épouses ! Quant au père, il est soulagé qu’il ne se soit rien passé et est bien décidé à mettre fin aux agissements de ce goujat…

Et bien la surprise est bien agréable. Car, pour prendre un exemple parmi tant d'autres, il me semble assez injuste de trouver des circonstances atténuantes (ridicule volontaire et assumé) à
The Emperor Waltz sous prétexte que Billy Wilder est incapable de réaliser de mauvais films alors, qu'outre un scénario bien plus ridicule, le film n'est jamais drôle quand, la même année, celui de Laslo Benedek se révèle franchement assez amusant. M'enfin, les goûts et les couleurs... Alors oui, rien de très intelligent ni de très léger dans ce sujet (et l'acteur Carrol J. Naish ne fait pas non plus dans la sobriété) mais ce n'est pas très grave puisque tout ceci se suit avec beaucoup plaisir et d'amusement. La gaucherie de Frank Sinatra (dans son éternel rôle de timide puceau) est source de séquences assez cocasses ; mettons que vous trouviez le film complètement crétin (ce qui est loin d’être impossible), je vous mets néanmoins au défi de ne pas rire lors de sa première apparition. Alors qu’on le voit venir de très loin galopant avec élégance sur un magnifique destrier blanc, on ne s’attend vraiment pas à son vol plané à l’arrivée devant sa haie d’honneur. Rien que pour cette séquence, le film ne peut pas être considéré comme entièrement mauvais. De plus, l’acteur chante toujours aussi bien et des chansons comme ‘
What’s Wrong with Me’ apportent encore un bonus supplémentaire au film.
On ne s'ennuie donc quasiment pas une seule seconde mais il faut dire aussi que le Technicolor flamboie comme il se doit, que les quelques extérieurs sont splendides et que la couleur des costumes éclabousse littéralement l'écran. L’atout numéro un de cet agréable 'Musical' est néanmoins la délicieuse Kathryn Grayson qui avait déjà été la partenaire de Sinatra à deux reprises et qui a rarement été aussi belle et si somptueusement vêtue qu’ici (ah, ces robes vertes et jaunes !). La caméra est amoureuse de son jolie visage et la voix de soprano de l'actrice fait une fois encore quelques miracles ; elle l’utilise divinement surtout dans la chanson la plus connue du film,
'Love is Where You Find It' qui sera chantée la même année par l’autre soprano hollywoodienne, Jane Powell. Autre raison de se réjouir, la toujours amusante Mildred Natwick dans le rôle du chaperon qui était prête à se ‘sacrifier’ pour ne pas que ce soit sa protégée qui se fasse embrasser par ce fringant zorro de pacotille. Et puis encore un autre excellent numéro musical filmé par Stanley Donen et qui n’a pas grand-chose à voir avec le reste de l’intrigue sans que ça n'ait d'importance, celui voyant Cyd Charisse et Ann Miller entamer un ‘duel dansé’ pour les beaux yeux de Ricardo Montalban, tous troix se livrant à une chorégraphie espagnole enfiévrée, ‘
Dance Fury’.
Si la mise en scène purement fonctionnelle et les quelques séquences d’action d’une mollesse assez étonnante et entérinent le fait que les amateurs de westerns purs et durs ne devraient trouver absolument rien à grignoter dans ce
Kissing Bandit, nous nous trouvons néanmoins devant un 'western musical' sympathique qui pourra évidemment plaire et trouver preneur auprès des mordus du genre musical même si dans le même style, ils pourront préférer de très loin le magnifique
The Pirate de Minnelli avec qui il possède quelques éléments en commun. En tout cas, loin d'être aussi mauvais que sa réputation le laissait entendre à condition de savoir ce qui nous attend et de ne pas être allergique ni aux grimaces, ni aux cabotinages excessifs et autres éléments kitchissimes. Bref, malgré le plaisir pris à sa vision, je ne le conseillerais pas vraiment de peur de me brouiller. Puisqu’on ne reverra plus le cinéaste en ces lieux, disons rapidement que Laslo Benedek ne restera ensuite dans les annales cinématographiques que pour son adaptation de Tennessee Williams (
Mort d’un Commis Voyageur – Death of a Salesman avec Fredric March) et surtout pour ce film devenu culte qu’est
L’Equipée Sauvage (
The Wild One) avec Marlon Brando en motard blouson noir.