
L’une de ses œuvres qu’une inextinguible mélancolie travaille en secret.
Avant que de prendre chair en 1987, Morse – il ne révèlera son prénom qu’à l’occasion de l’antépénultième épisode – était créature de papier sous la plume de l’écrivain Colin Dexter, lequel, de 1973 à l’an 2000 (treize romans et deux recueils de nouvelles), confia à son personnage le soin de mener ses enquêtes dans le théâtre compassé de l’académique citadelle d’Oxford.

Comme les ouvrages, la série – trente-trois épisodes produits par ITV - reprend à son compte la tradition authentiquement britannique de l’intrigue à énigmes, mais la trouble de la singularité de l’inspecteur chef Morse.
La mine savamment désabusée, le propos sarcastique, Morse traîne une irréductible vacuité existentielle qu’il dilue méthodiquement dans l’alcool – il lâchera même dans le dernier épisode qu’il ne boit pas par plaisir, mais parce que cela l’aide à penser –, ou qu'il dissipe dans sa passion pour les mots croisés et son amour de l’opéra (particulièrement Wagner).
Sa vie affective ne lui offre guère matière à réjouissance – souvent, Morse succombe maladroitement au charme de celles-là mêmes qui s'avèreront être soit les victimes, soit les coupables – et ses avances auprès de la gente féminine sont sanctionnées par de cruelles déceptions ou d’amers échecs.

On apprendra au détour d’un épisode qu’il fut un boursier prometteur de la prestigieuse université d’Oxford, mais qu’il saborda ses études à la suite de déboires sentimentaux. Il lui en reste une grande érudition qu’il distille à plaisir au fil de ses enquêtes, principalement à l’adresse de son adjoint le sergent détective Lewis (Kevin Whateley), un père de famille pragmatique dont le bon sens peine à suivre les circonvolutions intellectuelles de son supérieur, et dont la tolérance est parfois mise à rude épreuve par son humeur changeante.

Pour Morse, chaque enquête est un jeu de l’esprit dans lequel sa perspicacité fini par s’égarer, et il doit souvent à un concours de circonstances de trouver la lumière au bout du labyrinthe.
Au fond Morse est malheureux, et chaque dossier lui apporte son lot de désillusion quant à la nature humaine. Malheureux comme ceux qui ne peuvent s’empêcher d’espérer un bonheur dont il savent pertinemment que toujours il leur échappera.
Un personnage ne serait rien sans son interprète, et c’est l’acteur John Thaw qui lui apporte tout son poids d’humanité, subrepticement déchirante. Vedette consacrée du petit écran, ancien élève de la Royal Academy of Dramatic Arts, il se coule avec un naturel confondant dans la peau du personnage – à moins que ce ne soit l’inverse -, dont il livre l’intériorité au compte-gouttes, chaque nuance, chaque détail comme une porte fugitivement entr’ouverte sur les tréfonds de son âme.

Du fond de sa solitude – et au volant d’une jaguar Mark II -, Morse suit la route d'un théâtre itinérant du crime qui installe son chapiteau tour à tour sur l’impeccable gazon des terrains de cricket, dans les couloirs feutrés de solennelles enceintes académiques, ou au cœur des arcanes de la bonne société locale ; et chaque fois le rideau ne se refermera pas avant que ne soient tombés les masques.


A la manière d'un Conan Doyle, Colin Dexter décida de mettre fin aux jours de sa création à la conclusion d’une ultime enquête (The Remorseful Day). Et ainsi, le 15 novembre 2000 au soir, 13 millions de téléspectateurs dirent adieu à celui qui était devenu une véritable institution nationale. La mort - solitaire, comme il se doit - du personnage devait précéder de deux années celle de l’acteur , lequel avait par ailleurs endossé depuis 1995 la toge de l’avocat James Kavanagh dans une autre série à succès.

Les épisodes l'Inspecteur Morse sont présentement éparpillés sur la grille de la chaîne TMC, avec comme point d'ancrage le mercredi soir à 20h45.