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Les trois mousquetaires d'André Hunebelle (1953) :
Avec Georges Marchal, Bourvil, Gino Cervi, Danielle Godet, Yvonne Sanson, Jean Parédès, Jacques François, Jean Martinelli... Scénario et dialogues de Michel Audiard (d'après le roman d'Alexandre Dumas père, 1844) - Musique de Jean Marion et Constantino Ferri (ainsi que des compositions de Louis XIII) - Genre : cape et épée - Production franco-italienne - Date de sortie : 07/10/1953
Mon avis :
Les célèbres aventures de D'Artagnan, Aramis, Athos et Portos...
Les 3 mousquetaires est l'un des romans de Dumas père les plus adaptés au cinéma. Cette adaptation est une version condensée des péripéties (nombreuses à l'origine) de D'Artagnan et ses compères, et elle est signée par un Michel Audiard encore sage, même s'il glisse quelques bons mots absents du roman et une ironie dans les propos de la voix-off (très bien servie par le timbre de Claude Dauphin). Voix-off qui d'ailleurs participe à un côté vieillot inhérent à ce genre de production, avec aussi son début montrant les pages d'un livre défiler et poser le contexte de l'histoire. Ici le procédé est aussi utilisé pour zapper de manière assez grossière une partie du roman. L'ennui est que cette voix-off s'incruste alors qu'elle est inutile pour la suite, d'autant que l'histoire est bien connue (même en 1953).
Le ton de cette adaptation est ouvertement orienté vers la comédie, et on a même droit au vieux gag de la tarte à la crème, appuyé par la présence de Bourvil en Planchet, valet de D'Artagnan, avec sa poêle, assommant en rafales les mauvais bougres cherchant noises à son maitre. Il aura d'ailleurs des rôles similaires aux côtés de Jean Marais, en Passepoil dans
Le bossu en 1959, et en Cogolin dans
Le Capitan l'année d'après (les deux réalisés aussi par André Hunebelle), mais en moins bouffon et avec des personnages plus étoffés, sa notoriété grandissant.
Si le film est plaisant, ce côté comique désamorce toute tentative de gravité, et occulte la dimension tragique des aventures du célèbre quatuor. Les combats ne viennent pas rehausser l'ensemble, d'autant que 4 ans avant ce film était sortie en France la version américaine des
3 mousquetaires réalisée par George Sidney (
The three musketeers, 1948) avec ses formidables chorégraphies et son bondissant Gene Kelly.
L'interprétation est inégale, car la direction d'acteur semble absente, laissant le casting dériver parfois dans le théâtral, et George Marchal est assez transparent en Gascon susceptible. On retiendra tout de même, outre le numéro de Bourvil, l'interprétation étonnante de Jacques François en Aramis qu'on n'imagine peu en bretteur fougueux, lui qui personnifiera plus tard la raideur des officiers, directeurs, patrons, préfets, gouverneurs et autres hauts fonctionnaires dans le cinéma comique français des années 1960-70.
On peut tout de même relever une reconstitution soignée du XVIIème siècle, comme souvent dans les productions du genre en France, grâce aux sites historiques encore existants.
Toujours est-il que le film fut un succès en France, confirmant celui de
Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque l'année précédente, ce qui lança une vogue, et une vague, de films d'aventures en costume pour une quinzaine d'années, dont André Hunebelle sera le fer de lance (outre les films déjà cités, il a aussi réalisé dans le genre
Cadet Rousselle,
Le miracle des loups,
Les mystères de Paris) avec Bernard Borderie (une nouvelle adaptation des
3 mousquetaires en deux film en 1961,
Le chevalier de Pardaillan et sa suite
Hardi ! Pardaillan, la saga des
Angélique,
Catherine).
Si l'on s'amuse parfois à la vision de ce film, on peut largement préférer le mélange aventures / comédie que donnera à voir l'américain Richard Lester 20 ans plus tard avec son diptyque
Les 3 mousquetaires (
The three musketeers, 1973) /
On l'appelait Milady (
The revenge of Milady, 1974), suivi, en 1989, d'un
Retour des mousquetaires moins convainquant (
The return of the musketeers d'après le roman de Dumas 20 ans après).
On préfèrera tout de même ce film à la parodie que donnera en 1973 le réalisateur en deux tomes avec la troupe des Charlots :
Les 4 Charlots mousquetaires et
A nous 4 cardinal ! gentiment décalés...
Étoiles : * * . Note : 12/20.
Autour du film :
1. Profitons de ce film pour parler des adaptations existantes du roman Les 3 mousquetaires, même s'il serait fastidieux de les citer toutes puisqu'il en existe plus d'une soixantaine, cinéma et télévision confondus, tant ce roman a vite été exploité par le 7ème art, et ce très tôt, puisqu'on trouve en 1898 la première adaptation (et du roman et d'une œuvre de Dumas) sous le titre
Fencing contest from « The three musketeers », film anglais dont l'auteur est tombé dans les oubliettes de la mémoire (et qui doit être vraisemblablement une courte séquence de duel avec des protagonistes en costume type mousquetaire du XVIIème siècle). La seconde est italienne, et est de Mario Caserini (
I tre moschettieri, sorti chez nous en mars 1909), un pionnier du cinéma transalpin qui ne connaitra pas le parlant puisque décédé en 1920. En 1909 encore, Georges Mélies signe
Le mousquetaire de la reine, mais il faudra attendre 1912 pour voir enfin une véritable adaptation française de ce classique de notre littérature, avec
Les 3 mousquetaires réalisé par le duo André Calmettes / Henri Pouctal.
Plusieurs autres verront le jour avant l'arrivée du parlant, mais la première adaptation marquante est celle de l'américain Fred Niblo en 1921 avec Douglas Fairbanks en D'Artagnan. La même année, le français Henri-Diamant Berger donne sa propre version. Mais déjà, des versions plus marginales voient le jour, comme celle de Max Linder, comique français injustement oublié, avec son
The three must-get-theres (1922), plus connu chez nous comme
L'étroit mousquetaire, Max Linder campant un Dart-in-again burlesque. Henri-Diamant Berger fera une nouvelle version, en 1932, avec un Harry Baur en truculent Tréville, capitaine des mousquetaires protecteur, et ce sera la première vraie adaptation parlante.
Ensuite, il ne se passera pas 5 années sans qu'une version du roman de Dumas arrive sur un écran dans le monde (en France et aux USA bien-sûr, mais aussi en Grande-Bretagne, au Mexique, au Brésil, en Allemagne, en Russie, en Italie, en Espagne, en Lettonie, aux Pays-Bas... ). L'arrivée de la télévision va aggraver la tendance, et les mousquetaires vont être filmés à toutes les sauces, en dessins animés (dont un avec Barbie en 2009 ! ), séries, téléfilms, en passant par la parodie, le film musical (Allan Dwan, 1933), de marionnettes, l'adaptation moderne dans le désert saharien (serial américain en 12 épisodes de Colbert Clark et Armand Shaefer en 1933 avec notamment John Wayne), la fausse suite où on invente une fille à D'Artagnan (Bertrand Tavernier, 1994), le western spaghetti (
Les rangers défient les karatékas de Bruno Corbucci, 1973 : tout un programme ! ) ou même le film cochon (avec le finement nommé
Les mousquetaires de sexe et d'épée)... Si la cadence s'est un peu calmée depuis la fin des années 1990, les mousquetaires n'ont pas fini de faire parler d'eux. Pour preuve l'arrivée prochaine de
The three musketeers de Paul W.S. Anderson avec Milla Jovovitch (si si, le duo de
Resident Evil : ça fait peur non ? ).
2. Une partie du tournage a eu lieu dans le très beau château de Fontainebleau, ce qui n'est pas anachronique puisque celui-ci existait bien au XVIIème siècle, même s'il a subi quelques modifications les siècles suivants. Demeure plus ou moins régulière de souverains français (de François 1er à Napoléon III en passant par Henri IV et Louis XIV, ce haut-lieu historique a vu les tournages de plusieurs films populaires à connotation historique tels que
Le Capitan de Robert Vernay (1946) et d'André Hunebelle (1960),
Napoléon de Sacha Guitry (1955),
Les 3 mousquetaires : les ferrets de la reine de Bernard Borderie (1961),
Les 4 Charlots mousquetaires d'André Hunebelle (1974),
L'homme au masque de fer de Randall Wallace (1998)...
3. Le film d'André Hunebelle sera un gros succès puisqu'avec ses 5 354 839 entrées, le film se classera sixième du box-office français de 1953.
4. Constance est interprétée par Danielle Godet, actrice à la carrière déçue. Née le 30 janvier 1927, elle est un peu le symbole de ces actrices qui n'ont pu percer et devenir des vedettes de premier plan, malgré leur beauté et leur talent. Très tôt, elle se passionne pour la danse et le piano, mais en suivant une amie à un cours d'art dramatique, le déclic se fait en elle, et décide, à 16 ans, de devenir comédienne. Elle court les auditions, et décroche quelques petits rôles avant que René Clair ne s'intéresse à elle pour le rôle féminin principal de son film
Le silence est d'or (1946) mais l'auteur en choisi une autre finalement (Marcelle Derrien, à la carrière météorique). La jeune femme y aura toutefois un rôle secondaire. Henri-Georges Clouzot s'intéresse alors à elle pour le rôle principal de
Manon, mais il choisi finalement Cécile Aubry. Elle décroche alors un rôle important aux côtés d'un autre débutant, Yves Montand, dans
L'idole d'Alexandre Esway (1947, mais qui se rappelle de ce film ? ). Elle enchaine ensuite les films populaires, souvent des comédies et des films musicaux qui semblent destinés aux touristes (
Boum sur Paris,
C'est une fille de Paname,
Paris clandestin,
Nuits de Pigalle... ) et sans envergure, et si à l'instar des
3 mousquetaires ou du
Capitaine Fracasse, elle joue dans des films à succès, elle n'aura jamais de rôle marquant la critique ou de réalisateurs qui la hisseront vers la gloire. Elle tournera bien en Angleterre
The elusive Pimpernel du duo magique Michael Powell / Emeric Presburger en 1950, mais non distribué chez nous suite à un accueil local assez tiède. La fin des années 1950 la voit insatisfaite de ses films pas terribles, et démoralisée par sa vie privée (notamment ses relations avec Yves Montand, Philippe Lemaire et Maurice Ronet). Heureusement, il y a le théâtre, et elle triomphe en 1958 dans la pièce
La brune que voilà de Robert Lamoureux. Le succès incite l'auteur a réaliser une version cinéma de sa pièce, mais il remplace dans celle-ci Danielle par Perrette Pradier. Avec les années 1960, les films vont se raréfier, leur qualité déclinant, et la carrière de l'actrice va se terminer lamentablement avec
Joy en 1983, avatar médiocre tentant de renouveler le succès d'
Emmanuelle... Après cela, on ne la verra plus sur un écran. Elle s'éteint discrètement suite à un long cancer le 12 novembre 2009. Laissons lui le mot de la fin, lucide sur sa carrière : «
J'aime en art ce qui est beau, moi qui au cinéma ne défend que la médiocrité »...