joe-ernst a écrit :Federico a écrit :Le Guitry dramaturge et dialoguiste aura énormément influencé un génie comme Lubitsch
Pourrais-tu nous en dire plus ? Cela m'intéresse beaucoup. Merci !

Si seulement le grand Ernst pouvait encore être parmi nous, ou si j'avais 1/10000000ème de son talent pour répondre correctement à cette question...

Lubitsch a toujours été un admirateur du théâtre de Guitry (jusqu'à - paraît-il - vouloir adapter sa pièce
Debureau pour ses débuts à Hollywood au temps du muet). C'est assez flagrant dans ses grands films à l'élégance boulevardière de très haut luxe, son talent pour filmer une porte sans montrer ce qui se passe derrière mais avec des ellipses si parlantes que c'est comme si le spectateur avait la vision X-Ray de Superman (la scène des bretelles du roi dans
La veuve joyeuse par ex.). Un sens du suspense comique au moins équivalent au suspens dramatique d'Hitchcock (qui lui aussi savait parfois suggérer sans montrer). Et puis qui d'autre que Lubitsch aurait pu faire sienne la fameuse réplique de Guitry répondant à ceux qui l'accusaient d'être léger à l'excès :
"Ne vaut-il pas mieux être excessivement léger qu'excessivement lourd ?".
Il y aussi cet art du sous-entendu qui ne franchit jamais la barrière de la grivoiserie (Lubitsch surpasse même Guitry, parfois plus direct).
Et puis, même si c'est peut-être plus anecdotique, plus d'une comédie de Lubitsch met en scène des milieux et des lieux chers à Guitry (riches oisifs, escrocs élégants, le Gai-Paris, la Riviera...).
La différence - de taille - entre ces deux génies : Lubitsch s'effaçait derrière ses personnages quand Guitry se mettait lui-même en scène et en avant, faisant la roue comme un paon. Tous deux avaient néanmoins en commun la passion des seconds rôles (ou character actors). Les plus excentriques possibles. Le summum ayant été atteint avec l'hilarant Edward Everett Horton, un poème à lui seul. J'allais oublier la touche indispensable d'humour juif Mitteleuropa qui donne la force de rire de presque tout à commencer de soi-même, y compris dans les situations les plus tragiques (cf
To be or not to be).
Mais bon, le mieux est de revoir et ré-écouter les dialogues entre Melvin Douglas et Garbo dans
Ninotchka...
Ninotchka, it's midnight. One half of Paris is making love to the other half.
...Miriam Hopkins dans
Trouble in Paradise...
I want you as a crook. I love you as a crook. I worship you as a crook. Steal, swindle, rob ! Oh, but don't become one of those useless, good-for-nothing gigolos !
...Edward Everett Horton dans
Design for living (mon préféré)...
Immorality may be fun, but it isn't fun enough to take the place of one hundred percent virtue and three square meals a day.
...ou s'adressant à Miriam Hopkins...
- Do you love me?
- Oh, Max, people should not ask that question on their wedding night. It's either too late or too early.
etc. etc.
